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Faut-il voter utile pour faire barrage à l’extrême-droite au premier tour ?

Ce qui fait dire à Martial Foucault, professeur à Sciences Po et directeur du CEVIPOF que : « le potentiel du vote utile est estimé à 7 % pour M. Mélenchon et à 6 % pour Mme Le Pen. Ce qui mettrait le leader de La France insoumise à 23 % d’intentions de vote, s’il fait le plein de votes utiles (16+7), et Marine Le Pen à 27,5 % (21,5+6). Reste à savoir si l’un et l’autre sont capables de mobiliser ce vote utile d’ici à dimanche. »

À deux jours du premier tour de l’élection présidentielle, la petite ritournelle est partout : certains candidats appellent à voter utile, quand d’autres rejettent cette stratégie par peur de perdre des voix. Au milieu, les électeurs ayant à cœur d’œuvrer pour une société plus juste et écologique sont perdus. Ils hésitent entre leurs convictions profondes, la volonté de faire barrage à l’extrême-droite, et le souhait de mettre fin au règne mortifère de la Macronie. Alors que faire ? Analyse des éléments qui peuvent permettre de prendre une décision, par Florian Grenon.

L’appel à voter Mélenchon 

Le vote utile est un vote qui n’est pas synonyme d’adhésion idéologique, mais qui choisit le candidat ayant supposément plus de chances d’être élu que celui vers lequel on se tournerait par pure conviction. 

En 2022, Jean-Luc Mélenchon apparaît comme le seul candidat de gauche à pouvoir faire barrage à l’extrême-droite dès le premier tour. Selon les derniers sondages, le candidat de la France Insoumise s’est solidement installé à une troisième place intéressante mais insuffisante. Seulement, le débat autour du vote utile favorise également Marine Le Pen, qui bénéficie d’un rabattage des voix à droite.

De fait, l’adhésion politique massive au besoin de faire barrage au Rassemblement National s’est effritée, conséquence de la politique de dédiabolisation du parti de Marine Le Pen depuis de nombreuses années.

Un certain nombre d’électeurs de gauche déclare ne pas vouloir aller voter en cas de duel Macron/Le Pen. Combien sont-ils ? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c’est que l’abstention au second tour des partisans LFI, des Verts, du PS et du PC pourrait être plus importante qu’en 2017. 

Dans ce contexte anxiogène, 2 000 artistes, comédiens et écrivains ont tiré la sonnette d’alarme en appelant à voter Mélenchon pour faire barrage à l’extrême-droite dès le premier tour. Parmi eux, Bruno Solo, Anny Duperey, Romane Bohringer, Corinne Masiero, Caroline De Haas, Sanseverino, Annie Ernaux, d’Yvan Le Bolloc’h et de Robert Guédiguian ou encore Blanche Gardin

« Si la gauche est au second tour, l’extrême droite n’y est pas », expliquent-ils. 

Le week-end dernier, 800 universitaires dont le politiste Rémi Lefebvre, la philosophe Sandra Laugier, le sociologue Bernard Lahire, le politiste Rémi Lefebvre avaient déjà appelé à voter Mélenchon. Ils « refusent » notamment un second tour « dont les seules thématiques seraient l’identité, la sécurité et l’immigration ».

« Parce que nous souhaitons remettre au cœur de la vie politique un projet de société démocratique, solidaire et écologique, nous prenons la parole ensemble, pour dire que nous voterons pour l’Union Populaire représentée par Jean-Luc Mélenchon, la seule candidature aujourd’hui à même de faire entendre les voix de gauche au second tour et donc de gagner la présidentielle » expliquent les universitaires dans leur tribune. 

Des tribunes de 600 acteurs de l’éducation nationale et de 160 économistes ont également été publiées. Toutes reprennent les mêmes inquiétudes, la crainte d’une élection où « seules la droite et l’extrême droite » occuperaient « l’espace médiatique » et au sein de laquelle « la gauche, les questions climatiques et les enjeux d’égalité seraient loin, très loin, derrière ». 

Les équipes de Changer La Donne 2022, guidées par l’eurodéputé Pierre Larrouturou, appellent également à voter Mélenchon. « Le seul moyen que Le Pen ne puisse pas gagner le second tour de cette présidentielle, c’est qu’elle n’y soit pas », déclarent-ils. 

Changer La Donne s’attaque notamment aux tentatives de Marine Le Pen de se faire passer pour « la candidate du pouvoir d’achat », alors qu’elle propose de « baisser les impôts, baisser les cotisations sociales, baisser la TVA […] Son projet social n’est qu’une illusion destinée à dédiaboliser un programme qui reste fondamentalement xénophobe ». 

« Avec Le Pen, comment financerait-on les hôpitaux, les écoles, la police, la justice, les retraites et tous les mécanismes qui permettent de freiner l’explosion des inégalités ? Son projet social n’est qu’une illusion destinée à dédiaboliser un programme qui reste fondamentalement xénophobe » explique Changer La Donne. 

Aux électeurs de gauche qui se disent indécis, ou qui voudraient voter pour le PC, les Verts, ou le PS, Changer La Donne déclare : 

« Qui face à Macron au second tour de la présidentielle ? Le Pen ou Mélenchon ? Malgré nos désaccords, il n’y a pour nous aucune hésitation : l’une est profondément raciste. L’autre porte un programme profondément humaniste. »

Le Rassemblement National n’a jamais été aussi fort 

Plus les jours passent, plus l’écart entre Macron et Le Pen dans un possible second tour se réduit selon les sondages. Nous rappelons que ceux-ci restent des prédictions inexactes dans une temporalité finie avec une marge d’erreur conséquente. En effet, plus l’échantillon de personnes interrogées est faible, plus la marge d’erreur progresse. Tout reste donc possible.

L’électorat potentiel de Marine Le Pen serait en forte hausse. Selon une enquête Kantar Public – Epoka basée sur un panel de 1467 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, 38% des français envisagent de voter pour la candidate RN, elle est au coude à coude avec Macron qui obtient, lui, 39%. 

On parle ici d’électorat potentiel, cela ne veut pas dire que parmi les français inclus dans ces 38% et 39% tous iront voter Le Pen ou Macron, ils envisageraient seulement de le faire. Jean-Luc Mélenchon se retrouve là encore en troisième position avec 29% d’électeurs qui pourraient mettre son nom dans l’urne. 

Ces potentiels électoraux doivent être comparés avec le vote certain en faveur des candidats. Pour rappel, le vote certain est un choix définitif pour un candidat, quels que soient les événements, ou la campagne, l’électeur ne changera pas d’opinion. Plus le vote certain en faveur d’un candidat est fort, moins le potentiel électoral du candidat en question diminue le jour du scrutin. 

En 2017, avant le premier tour, Emmanuel Macron bénéficiait d’un potentiel électoral de 45 %, Jean-Luc Mélenchon de 36% et Marine Le Pen seulement de 30%. Et d’après une enquête d’Ipsos pour l’OBS, en 2017, 76 % des électeurs de Marine Le Pen étaient certains de leur choix, contre 41% pour Emmanuel Macron et 56% pour Jean-Luc Mélenchon. 

Le faible vote certain en faveur de Macron a engendré un résultat de 24,1% au premier tour en 2017. Même schéma pour Jean-Luc Mélenchon, qui a rassemblé 19,58% des voix. Au contraire, forte d’un vote certain élevé, Marine Le Pen avait quant à elle obtenu 21,30% des suffrages. 

En 2022, la candidate RN a augmenté son potentiel électoral de 8 points, passant de 30% en 2017 à 38% aujourd’hui, tout en réhaussant le vote certain en sa faveur, 76% en 2017 contre 85% aujourd’hui, soit le plus important de tous les candidats d’après une enquête  enquête Kantar Public – Epoka pour le Figaro. La dynamique actuelle est donc ultra-favorable au Rassemblement National. 

Le barrage contre l’extrême-droite s’étiole. La dédiabolisation du RN, bien aidée par l’entrée en lice d’Eric Zemmour et la reprise de leurs thématiques sécuritaires dans les médias traditionnels, est réussie. 

Évoqué par les électeurs de gauche depuis quelques semaines, le vote utile, qui apparaît comme le seul recours possible pour faire barrage à l’extrême-droite, est paradoxalement insidieux. Plus le terme est repris dans la presse, plus le vote utile en faveur de Marine Le Pen augmente. L’appel au « vote efficace » par Louis Aliot, vice-président du Rassemblement National, cette semaine s’avère payant. 

Ce qui fait dire à Martial Foucault, professeur à Sciences Po et directeur du CEVIPOF que : « le potentiel du vote utile est estimé à 7 % pour M. Mélenchon et à 6 % pour Mme Le Pen. Ce qui mettrait le leader de La France insoumise à 23 % d’intentions de vote, s’il fait le plein de votes utiles (16+7), et Marine Le Pen à 27,5 % (21,5+6). Reste à savoir si l’un et l’autre sont capables de mobiliser ce vote utile d’ici à dimanche. »

Ce phénomène se traduit dans les sondages. Entre le 4 mars dernier et le 5 avril, la candidate du Rassemblement National est passée de 16,7% des intentions de vote à 23%, selon la moyenne des sondages réalisés. A contrario, Valérie Pécresse a connu une chute vertigineuse, passant de 13,1 à 8,7%, tout comme Eric Zemmour qui était à 12,4% des intentions de vote le 4 mars et qui n’était plus qu’à 9,7% il y a deux jours. 

Lire aussi : L’extrême-droitisation des médias sert les intérêts privés des grands groupes auxquels ils appartiennent

Existe-t-il un espoir pour Jean-Luc Mélenchon ? 

En un mois, Jean-Luc Mélenchon est passé de 11,4 à 15,6%. Le candidat LFI bénéficie, à l’instar de Marine Le Pen, d’un vote utile, d’un rabattage des voix de gauche en sa faveur.

Mais, à l’aube du premier tour, les sondages annoncent un écart conséquent entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. La dernière enquête d’Ipsos-Sopra Steria, basée sur un panel de 1716 personnes interrogées, estime que la candidate RN obtiendrait 22% des voix tandis que Jean-Luc Mélenchon serait à 17% ce dimanche. 

De plus, l’indécision à gauche est plus forte qu’à droite, Fabien Roussel (50 % d’indécis), Anne Hidalgo (50 %), Yannick Jadot (58 %), ce qui pourrait engendrer un rabattage des voix et un vote utile important ce dimanche pour le leader de La France Insoumise. 

Autre élément à prendre en compte, la campagne présidentielle connaît un regain d’intérêt. Mercredi dernier, seulement 68% des français comptaient aller voter. D’après Ipsos, ce chiffre atteignait 72% hier, soit une augmentation de 4 points.

En une semaine, entre le 1 avril et le 7 avril, Marine Le Pen est passée de 20% des intentions de voix à 22%, et Jean-Luc Mélenchon de 16 à 17%. La hausse de la participation semble très nettement impacter les dynamiques des deux candidats. 

Le nombre d’électeurs s’élèvent à 48,7 millions de personnes. Preuve de la fébrilité électorale qui touche les français, le nombre de procurations a explosé ces derniers jours, atteignant un million selon le Ministère de l’Intérieur, avec une hausse de 250 000 rien que sur la journée de mardi. 

En 2017, au premier tour de l’élection présidentielle, l’abstention s’élevait à 22,23%. Le précédent record remonte à 2002, avec 28,4% d’abstention. On a bien vu où cela nous a conduit, avec un duel Chirac-Jean-Marie Le Pen au second tour.

20 ans plus tard, la tendance est légèrement différente puisque l’abstention pénaliserait notamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui glanent tous deux un nombre de voix important chez les catégories populaires et chez les jeunes, principaux abstentionnistes. 

Ainsi, malgré l’écart annoncé dans les sondages entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, une petite fenêtre d’espoir reste ouverte pour les partisans de la “tortue sagace”. Tout l’enjeu de ces derniers jours pour le candidat de La France Insoumise sera de mobiliser les catégories sociales abstentionnistes qui lui sont potentiellement favorables. 

Une de ses cibles de coeur : la jeunesse, un électorat volatile. Seulement 58% des 18-24 ans sont sûrs d’aller voter dimanche selon un sondage Opinionway-Kéa. Cet électorat vote traditionnellement à gauche. En 2017, les moins de 25 ans avaient voté principalement pour Jean-Luc Mélenchon (28 %), puis pour Marine Le Pen (23 %), et Emmanuel Macron (22%).

En outre, Jean-Luc Mélenchon a bénéficié cette semaine d’une aide apolitique inattendue, celle d’une multitude d’associations et du think tank The Shifters, qui œuvrent pour une économie libérée du carbone.

The Shifters a analysé les programmes de chaque candidat en fonction de la SNBC, Stratégie Nationale Bas Carbone, qui établit une feuille de route pour honorer les engagements français de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux horizons 2030 et 2050. Résultat, le candidat étant le plus proche des orientations de la SNBC s’avère être Jean-Luc Mélenchon.

Face au monopole médiatique des idées identitaires et sécuritaires, les préoccupations des citoyens français autour de l’écologie, la question agricole, et le projet de refonte de la démocratie trouveront-elles un écho dans les urnes ? Réponse dans deux jours. 

Crédit photo couv : Eric PIERMONT / AFP

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