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Facebook censure petit à petit les médias indépendants, une menace pour la démocratie

Face au monopole des réseaux sociaux à décider de ce qui est une vraie information d’une fake news, il revient donc à chaque citoyen.ne éclairée de devoir être vigilant à prendre le temps d’aller chercher l’information qui lui paraît pertinente, le temps où elle apparaissait d’elle-même sur un fil d’actualité étant décidément révolu.

Début avril, Facebook menaçait de supprimer la page du média indépendant Cerveaux Non Disponibles pour avoir partagé des images de la lutte des féministes mexicaines. Fin mai, c’était au tour d’une publication de Mr Mondialisation de subir la censure du réseau social pour avoir posté la photo d’une manifestante brandissant une pancarte avec une inscription anti-Macron. Loin d’être anodins, ces deux événements révèlent une tendance antidémocratique à l’œuvre depuis quelques années sur les réseaux sociaux, et dont La Relève et La Peste est également l’objet : le blocage temporaire, la censure et surtout l’invisibilisation insidieuse des contenus postés par les médias indépendants et comptes militants, et ce dans de nombreux pays du monde. Et ce phénomène ne risque que de croître les prochaines années. En février 2021, Mark Zuckerberg a annoncé que les contenus politiques seront de moins en moins visibles sur Facebook par les jeux d’algorithme. Au cœur de cette censure demeure une question démocratique cruciale : doit-on laisser des entreprises privées décider de la légitimité d’un média ?

La censure sur les réseaux sociaux en France

Samedi 3 avril 2021, l’équipe de la page Cerveaux non Disponibles a reçu « la notification la plus menaçante depuis la création de notre page » : « Cerveaux non Disponibles risque de ne plus être publiée » (entendez supprimée). Elle faisait déjà l’objet d’un fort déréférencement.

La raison de cette menace de suppression : une vidéo publiée relatant une manifestation féministe ayant eu lieu à Mexico, suite au meurtre d’une salvadorienne étouffée par la police. Cette vidéo montre notamment plusieurs manifestantes frapper les boucliers de la police avec des marteaux.

Le poste était très informatif sur la situation dans le pays, mais cette vidéo a été considérée comme un appel à la haine par les algorithmes, sans doute à cause du titre provocateur « Détruire la société patriarcale et capitaliste… au marteau ! ».

Deux semaines plus tôt, FB supprimait également un dessin posté par la page rendant hommage au coup d’éclat de Corinne Maserio, lors de la cérémonie des Césars, qui s’était dénudée pour dénoncer la souffrance des intermittents du spectacle. Une forte mobilisation a permis à Cerveaux Non Disponibles de sauver leur page en expliquant leur position.

« Ces épisodes sont devenus monnaie courante. Cela fait plus de deux ans qu’on a des problèmes de restrictions et de visibilité : on a doublé le nombre d’abonnés mais notre audience a baissé. C’est une invisibilisation progressive et douce de notre page qui s’opère sur FB. Le problème, c’est qu’il est extrêmement difficile de réussir à avoir un contact chez Facebook pour plaider pour notre cause. Trouver un interlocuteur est un véritable parcours du combattant. » raconte Camille, de Cerveaux Non Disponibles, pour La Relève et La Peste

Parfois, la censure des algorithmes est cocasse : comme cette ville de Moselle, Bitche, dont la page officielle a été supprimée à cause de la consonance avec l’insulte anglophone ; ou cette photo d’oignons jugée trop sexy par les algorithmes. Un peu plus préoccupante quand onze photos de croix du patrimoine local breton ont aussi été supprimées du site Facebook de la mairie de Crac’h dans le Morbihan. A chaque fois, il est quasiment impossible pour les pages concernées de joindre un interlocuteur pour résoudre le problème.

Dans le secteur des médias indépendants, Cerveaux Non Disponibles est loin d’être le seul concerné par cette lente invisibilisation. Le phénomène a pris de l’intensité en 2019, lorsque de nombreuses pages de la gauche radicale française ont vu leur audience chuter soudainement, sans aucune explication officielle, la veille du G7 organisé à Biarritz.

« Depuis l’audience est un peu revenue. Il y a eu deux autres grandes périodes d’invisibilisation et une décroissance de l’audience permanente alors que le nombre d’abonnés ne font que croître. On en vient à une situation où par rapport au nombre de personnes qui s’abonnent, il y a beaucoup moins de gens qui ont accès à nos publications. On sait que Facebook limite de plus en plus la portée des publications d’actualité politique. » décrypte Camille pour La Relève et La Peste

En mai 2021, l’administrateur de Mr Mondialisation, cumulant plus de 1,5 millions d’abonnés, a eu son compte personnel banni du réseau social pendant plusieurs jours avec interdiction de commenter, publier, et même de « réagir » ou mettre un like à des publications. Cette sentence s’est accompagnée de la suppression totale de ses pouvoirs d’administrateur de la page FB Mr Mondialisation.

Camouflé sous le rectangle noir, il était écrit « Macron ta tête sur un bâton, les femmes font la révolution » – Crédit : Tiphaine Blot

Le motif : avoir publié cette photographie d’une manifestante, dans un lot d’une vingtaine d’autres prises pendant une manifestation à Paris. Le texte anti-Macron sur la pancarte a fait l’objet d’une campagne de signalements « de la part de macronistes », selon le sentiment de l’équipe de la page, de manière à faire censurer la photographie, tout en entraînant le blocage de l’administrateur principal et en menaçant la page de suppression totale.

« Je ne pense pas que les pratiques soient nouvelles mais j’ai le sentiment que c’est de plus en plus courant, en tout cas qu’il y a eu un renforcement des motifs de blocages. Le souci avec les campagnes de signalement, c’est qu’on n’a pas de preuves matérielles donc on ne peut que faire des suppositions. Sur certains sujets de publication comme la procréation médicalement assistée, les droits LGBT, le sujet de la famille, ou de la religion, la vague d’engouement est souvent accompagnée de repartages « contre » le sujet traité ou pour nous ridiculiser. Cela draine des gens extérieurs à la communauté avec des attentions malfaisantes, et donc inévitablement un grand nombre de signalements.

On s’expose en tant que média engagé et indépendant beaucoup plus que n’importe qui d’autre. Le souci, c’est que Facebook ne prend pas en compte le caractère médiatique d’une publication : nous ne sommes pas protégés ni considérés dans notre travail de journalistes. Facebook considère par défaut qu’un témoignage médiatique publié représente notre volonté propre. Le cas de la photographie est exemplaire en ce sens.

Nous sommes les yeux de nos lecteurs, nous sommes le médium de la réalité de ce qu’il se passe sur le terrain, si on publie une photographie avec une personne dont la pancarte est politisée ce n’est pas nécessairement notre positionnement politique, mais Facebook va considérer que c’est forcément de la responsabilité du journaliste. Je peux considérer qu’il y ait un signalement pour un appel à la haine envers le Président, mais ici Facebook ne fait pas que supprimer une photo, il m’a aussi banni de son réseau social pendant plusieurs jours, c’est là où on va dans l’exagération.

Puis la suppression d’une image montrant qu’il y a une colère réelle d’une partie de la société envers le président empêche de médiatiser cet état de fait. On va dans la censure du journaliste dans une confusion totale entre ce que présentent les médias et l’intention de nuire qui est transposée du manifestant au journaliste. Je pense que c’est extrêmement grave car cela ne viendrait jamais à l’idée du CSA de censurer un journaliste de France2 ou de TF1 qui publie pendant le JT un reportage vidéo où l’on voit ce genre de pancartes. » explique ainsi le fondateur de Mr Mondialisation à La Relève et La Peste

Le gouvernement français est d’ailleurs l’un de ceux à travailler en étroite collaboration avec le géant américain pour « lutter contre les fake news et contre la haine ».

Cette connivence s’est distinguée par plusieurs étapes importantes sous le mandat d’Emmanuel Macron qui demandait déjà pendant la lutte des Gilets Jaunes une « levée progressive de l’anonymat ». Il a aussi mis en place un groupe de travail gouvernemental avec des employés Facebook en novembre 2018, et suite à la suppression de la loi Avia par le Conseil Constitutionnel, le projet de loi séparatisme, actuellement en navette parlementaire, veut encadrer les réseaux sociaux pour « lutter contre la haine ».

Ce leitmotiv est ainsi régulièrement mis en avant par de nombreux membres du gouvernement, le chef d’Etat en premier lieu, comme lors d’un récent déplacement où Emmanuel Macron dénonçait le rôle des réseaux sociaux pour alimenter la violence de la société.

Le directeur général de Facebook France est d’ailleurs très bien connu du monde politique français. Il s’agit de Laurent Solly, en poste depuis 2013 et ancien collaborateur ministériel de Sarkozy ainsi que directeur adjoint de sa campagne présidentielle en 2007. Il défend ardemment l’action du réseau social contre les fausses informations, notamment sur le coronavirus.

Facebook n’est évidemment pas le seul réseau social à être soupçonné de censure pour des revendications sociales. Twitter a ainsi suspendu les comptes de plusieurs militantes féministes qui avaient tweeté « Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ? », en continuité du mouvement MeToo pour libérer la parole des femmes. En octobre 2020, plusieurs comptes de militants écologistes avaient également été bloqués par l’oiseau bleu, la veille d’une action nationale.

Lire aussi : Alerte censure : de nombreux comptes des militants climats bloqués par Twitter la veille d’une action nationale

A l’international

Sur la scène internationale, la censure du compte de Donald Trump par Twitter puis Facebook, Instagram et Youtube a largement fait couler de l’encre, plongeant de nombreux observateurs dans la perplexité face à une décision qui peut paraître raisonnable au vu du nombre de scandales créés par cet ancien Président des USA.

Mais pour certains experts, cette mesure a un but bien moins louable que lutter contre la haine, il s’agirait surtout d’une façon « de régler leurs comptes avec un pouvoir qui a tenté d’entraver l’irrésistible progression des GAFAM. »

En effet, sous le mandat Trump, la Federal Trade Commission avait condamné Facebook à 5 milliards de dollars d’amende, pour avoir permis, en 2018, à la firme de conseil britannique Cambridge Analytica de puiser dans les données de quelques 50 millions de ses utilisateurs sans le leur notifier.

« La censure du compte de Trump est un cas très particulier. Elle a le mérite de rappeler qu’il ne faut pas attendre des grandes plateformes qu’elles soient les garantes de la liberté d’expression ou de la démocratie. Facebook ou Twitter sont certes devenus des lieux de débat, y compris politiques, mais ce sont avant tout des entreprises privées. Leur modèle économique, leur organisation est entièrement orientée vers le gain financier et les revenus publicitaires – qui représentent jusqu’à 95% du chiffre d’affaires dans le cas de Facebook. Il s’agit donc, pour elles, d’organiser la visibilité des publications de sorte à inciter les utilisateurs à rester ou à revenir. Ce qui est totalement incompatible avec ce que pourrait être un outil de débat d’intérêt public. Il faut voir que, entre les plateformes et le gouvernement, tout le monde a à y gagner dans ce jeu-là : d’un côté les plateformes gagnent en légitimité, ce qui est bon pour les affaires… et leur permet également de continuer à enfreindre la loi en matière de protection des données personnelles et de publicité sans être jamais inquiétées, parce qu’elles font le sale boulot de la censure du Web pour le compte de l’État. Aujourd’hui, s’il n’y a pas quotidiennement des scandales, des affaires d’harcèlement qui conduisent au suicide, c’est aussi parce que Facebook et Google font le travail que ne fait pas la justice parce qu’elle n’est pas du tout équipée. Et ça les gouvernements en ont parfaitement conscience. » explique La Quadrature du Net, spécialisée sur le sujet, à l’Observatoire des Médias Acrimed

Le traitement réservé par les réseaux sociaux aux personnalités politiques « dangereuses » change ainsi radicalement d’un pays à l’autre. De fait, le président philippin Rodrigo Duterte insulte nommément et régulièrement des journalistes sur Twitter en toute impunité, et le premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, qui avait appelé à « tuer des millions de Français » a toujours un compte actif.

Les cas de l’Inde et de la Birmanie sont particulièrement intéressants pour décrypter les relations fluctuantes entre réseaux sociaux et gouvernements. Dans l’Inde de Narendra Modi, toutes les personnes ayant l’audace de critiquer le pouvoir autoritaire en place est systématiquement pourchassée.

Le gouvernement a été jusqu’à demander à Twitter de bloquer plus de 500 comptes qui relayaient les revendications des paysans s’étant soulevés contre la réforme des tarifs céréaliers. Le gouvernement indien a également réclamé aux réseaux sociaux de nommer trois interlocuteurs en mesure de répondre à ses demandes, sous menace d’engager des poursuites criminelles pour tous ce que leurs abonnés mettront en ligne. Mardi 25 mai, le Times of India affirmait que Facebook avait l’intention de se conformer aux demandes des autorités indiennes

En Birmanie, l’armée a d’abord utilisé Facebook à son avantage pour propager une haine anti-musulmane ayant participé à la persécution de la minorité musulmane des Rohingya. L’armée a notamment créé un nombre important de faux comptes, allant jusqu’à s’approprier les profils de célébrités nationales, afin de diffuser leurs rumeurs.

Epinglé par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, le réseau social a alors lancé des représailles en bloquant les comptes de plusieurs responsables militaires particulièrement actifs. Suite à quoi l’armée birmane a coupé purement et simplement l’accès au réseau pendant quelques jours. Le 21 février, Facebook a fini par supprimer la page principale de l’armée birmane, estimant qu’elle enfreignait les règles du réseau social sur l’incitation à la violence.

Lire aussi : Mobilisation paysanne en Inde : la jeune activiste climat Disha Ravi a été arrêtée

Se libérer de l’emprise des réseaux sociaux

Reste alors une question : qui peut vraiment contrôler les GAFAM ? Les gouvernements qui s’y risquent subissent des représailles rocambolesques. L’Australie a ainsi provoqué le courroux de Facebook lorsque le gouvernement a voulu mettre en place une loi imposant aux Big Tech de payer la presse qui diffuse des contenus sur leurs plateformes.

En réponse, Facebook a alors totalement coupé l’accès à la presse en ligne australienne, provoquant de nombreux dégâts pour les sites d’information officiels du gouvernement qui relayaient des informations sur la marche à tenir face à des catastrophes naturelles.

Ce sont parfois les salariés qui lancent l’alerte sur la censure opérée par leurs compagnies, des employés de Facebook ont ainsi dénoncé une « censure » de contenus pro-palestiniens sur le réseau social. Mais ce n’est pas le Conseil de Surveillance créé par Facebook qui pourra inverser le rapport de force pour l’instant, soucieux de ne pas bloquer son créateur.

De son côté, Amnesty International a accusé Facebook et Google d’aider à censurer l’opposition pacifique et la liberté politique au Vietnam. Amnesty a averti que, bien qu’elles aient été « autrefois le grand espoir pour l’essor de la liberté d’expression dans le pays, les plateformes des réseaux sociaux sont en train de devenir rapidement des zones sans droits de l’homme ».

« Nous, on a perdu ¾ de notre audience. Les conséquences sont très graves en termes de liberté de la presse. D’aucuns diront que les médias autonomes n’ont pas besoin d’être sur les réseaux sociaux mais on en est tous tributaires et jusqu’à présent c’est pas près de changer… Nous essayons d’offrir un contrechamp sur l’actualité des luttes sociales, pour visibiliser des situations délaissées par les médias dominants, dénoncer les abus et situations qu’on estime anormales et injustes, mais aussi essayer de lancer des pistes pour réfléchir différemment à faire société ensemble. Nous n’avons pas d’affiliation politique : nous partageons les valeurs de l’écologie, de l’antiracisme et du féminisme mais les points de vue peuvent être différents selon les tribunes, les vidéos et les appels. Et c’est important d’avoir cet espace d’expression. » détaille Camille de Cerveaux Non Disponibles pour La Relève et La Peste

« Je pense que cette tentative de créer des nouveaux termes de « journalisme militant », consiste à jouer sur la confusion pour créer une sorte de division entre ce qui serait le bon journaliste et le mauvais journaliste ; en omettant totalement de dire qu’il n’y a aucune neutralité dans le journalisme en général. C’est un mythe répandu, preuve en est avec les médias libéraux et pro-croissance qui n’assument pas leur orientation et prétendent à une neutralité qui n’existe pas. La seule arme qu’on ait actuellement, c’est de dire aux gens et à ceux qui nous lisent d’aimer les contenus qui ont du sens, réagir, prendre le temps de lire les articles, de ne pas se limiter aux titres et d’aller en profondeur, je comprends que ça prenne du temps, on est dans cette consommation de l’information. » explique le fondateur de Mr Mondialisation pour La Relève et La Peste

Face au monopole des réseaux sociaux à décider de ce qui est une vraie information d’une fake news, il revient donc à chaque citoyen.ne éclairée de devoir être vigilant à prendre le temps d’aller chercher l’information qui lui paraît pertinente, le temps où elle apparaissait d’elle-même sur un fil d’actualité étant décidément révolu.

Pour les médias indépendants, comme La Relève et La Peste, Mr Mondialisation, Cerveaux Non Disponibles et tous les autres, la lutte continue pour donner libre accès à une information de qualité sans tomber dans le risque de l’auto-censure face aux caprices des algorithmes. C’est pour cela que nous avons mis en place une newsletter vous permettant de vous passer des réseaux sociaux pour vous informer.

Et nous laisserons, en conclusion, cette question ouverte : qui décide de la légitimité d’un média ou pas ?

Laurie Debove

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