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En Alsace, on gaspille moins d’eau potable que dans les autres régions

« Si vous avez une baisse des pertes, vous avez une baisse des volumes produits, donc vous avez moins à pomper pour produire de l'eau. Donc il y a un gain énergétique. Il y a aussi, de ce fait, un gain pour l'environnement puisqu'on réduit l'utilisation des énergies qui ont un impact sur l'environnement. Puis on réduit aussi les prélèvements d’eau, permettant de soulager les ressources qui sont souvent en tension ces dernières années »

Meilleure élève de France en matière de consigne pour réemploi, la région d’Alsace l’est tout autant dans la gestion et la préservation de son eau potable. Grâce au travail du Syndicat des eaux et de l’assainissement Alsace-Moselle (SDEA), elle atteint un rendement de 85% sur ses réseaux, contre 81,5% pour le reste de la France. Pour mieux comprendre ce chiffre, La Relève et la Peste a rencontré l’équipe en charge de la recherche de fuites du SDEA.

Des rendements d’eau potable à améliorer

En France, environ 20% de l’eau potable est perdue lors de son acheminement vers les robinets. Sur l’année 2020, l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement et de l’Office de la biodiversité (OFB) indiquait « que plus de 937 millions de mètres cubes d’eau avaient été perdus sur l’année 2020 en raison des fuites, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’environ 18 millions d’habitants ».

Un chiffre alarmant, aussi bien économiquement qu’environnementalement parlant, quand on connaît la valeur de cet or bleu qui se fait de plus en plus rare (ou privatisé) à travers le monde. Pour tenter d’améliorer ces rendements, Emmanuel Macron avait présenté en mars 2023 un « Plan eau » de 180 millions d’euros consistant à accompagner les territoires où les taux de fuites sont supérieurs à 50%.

En Alsace, le SDEA a pris les devants il y a bien longtemps concernant la gestion de l’eau potable. Avec 5300 kilomètres de réseaux exploités, le syndicat s’est armé d’équipes et d’outils d’une expertise redoutable afin de traquer les fuites du mieux possible et ainsi se placer en première position des régions affichant le meilleur rendement d’eau potable de France.

« Le service que je gère regroupe cinq entités, avec cinq métiers totalement différents dont la recherche de fuite. On touche vraiment à tout, qu’il s’agisse de l’assainissement, de l’eau potable ou même de l’administratif, puisqu’on gère aussi toute la partie des demandes de travaux, ce qu’on appelle un diagnostic », explique Benoît Fuchs pour La Relève et la Peste, chef de service chargé de la recherche de fuite et responsable du service de diagnostic opérationnel des réseaux.

Deux outils majeurs pour lutter contre les fuites

Le syndicat intervient sur deux types de demandes publiques : lors d’une augmentation de production suspecte ou lors d’une remontée d’eau. Alors, pour repérer les fuites et ainsi préserver un maximum d’eau potable, le service peut compter sur deux outils majeurs : la sectorisation et la pré-localisation.

La sectorisation consiste à scinder numériquement, en un peu plus de 80 périmètres de différentes typologies, les 5300 kilomètres de réseaux d’eau potable. Les secteurs sont eux-mêmes découpés en plusieurs zones. Cela permet de faire une première analyse et recherche de fuite à l’échelle globale, puis s’orienter vers telle ou telle commune pour y voir ce qu’il s’y passe.

Les pré-localisateurs de fuite se présentent quant à eux sous forme de « loggers ». Ils sont positionnés sur les bouches à clé, qui permettent l’accès aux vannes d’eau potable présentes sur la voirie. Grâce à un système d’écoute avec carte SIM, des données sont transmises une fois par jour, et permettent de détecter la présence d’un bruit, qui peut révéler une fuite d’eau.

Aujourd’hui, trois villes sont équipées de ce système : Saverne, Sélestat et Erstein. Les pré-localisateurs de fuite vont permettre une détection beaucoup plus fine que la sectorisation et sont davantage utilisés en zone urbaine.

« L’appareil va permettre d’écouter un bruit mais aussi nous permettre de les filtrer. On a en effet la possibilité d’augmenter ou de baisser la fréquence du bruit qu’on va vouloir entendre pour enlever les bruits parasites qui nous détourne du bruit des fuites », ajoute Benoît Fuchs.

Equipe de recherche de fuites en action – Crédit : SDEA

Atteindre un rendement de 85%

L’objectif : réduire les fuites pour atteindre un rendement de 85% sur les réseaux.

« Lorsque vous mettez un volume en production, environ 15% de celui-ci va être perdu via des fuites avant d’arriver aux consommateurs. Cela peut paraître beaucoup, mais, en secteurs ruraux, c’est déjà un objectif très ambitieux. Des grosses villes telles que Paris peuvent viser des rendements beaucoup plus élevés, environ 95%. Mais les deux chiffres ne sont pas du tout comparables. Nous ne sommes pas sur les mêmes typologies de secteurs », explique Hugo Baron, chef de projets Maîtrise d’ouvrage Eau Potable au sein du SDEA.

Les plus faibles taux enregistrés en 2023 se situent entre 50 et 60 %, quand les plus hauts peuvent atteindre 95%. Au niveau national, les rendements moyens se situent entre 78% à 80%. Le SDEA se place donc en meilleure position, et l’Alsace, dans son ensemble, atteint des rendements supérieurs aux autres régions.

Un pourcentage élevé de rendements va ainsi permettre des gains énergétiques, notamment dans un contexte où les prix de l’énergie ont nettement augmenté.

« Si vous avez une baisse des pertes, vous avez une baisse des volumes produits, donc vous avez moins à pomper pour produire de l’eau. Donc il y a un gain énergétique. Il y a aussi, de ce fait, un gain pour l’environnement puisqu’on réduit l’utilisation des énergies qui ont un impact sur l’environnement. Puis on réduit aussi les prélèvements d’eau, permettant de soulager les ressources qui sont souvent en tension ces dernières années », ajoute Hugo Baron pour La Relève et la Peste.

Petite particularité supplémentaire qui permet au SDEA d’être performant : tous les outils informatiques de suivi du rendement sont conçus en interne, sans faire appel à des prestataires extérieurs. Un avantage non négligeable permettant aux équipes de maîtriser les opérations de l’analyse jusqu’aux interventions de terrains. Superviseurs, dessinateurs, calculateurs du bureau d’études, tout est fait maison.

« Le gros avantage qu’on a avec le fait qu’Hugo ait la double casquette, c’est que, lorsqu’il fait des schémas directeurs et des études, il peut tout directement les lier à l’exploitation qu’il y aura derrière. Ça, c’est un très gros avantage qu’on a aujourd’hui, que vous ne retrouvez pas dans tous les bureaux d’études », explique Benoît Fuchs.

Vue du logiciel de pré-localisateurs de fuites sur le secteur d’Erstein – Crédit : SDEA

Une cartographie pour les agents de terrain

Une fois les fuites détectées, c’est l’équipe de terrain qui prend le relais. Jérôme Bedel est technicien recherche de fuites depuis 20 ans au SDEA. Il est aujourd’hui le responsable d’une équipe de 6 chercheurs et a vu naître le développement de la sectorisation dès 2009, où le SDEA s’affichait déjà comme précurseur dans la recherche de fuites, avec l’installation des premiers compteurs.

Les fuites, après avoir été pré-localisées par les logiciels de cartographie, sont analysées par les agents de terrain. Jérôme Bedel, lui, est capable d’analyser le bruit, de le définir en tant que fuite ou non, ce qui relève d’une véritable expertise.

Les équipes, qui se relaient, sont opérationnelles 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, avec un service d’astreinte composé d’une soixantaine d’électriciens, de mécaniciens et d’agents.

« Le plus gros risque lié à notre métier, c’est la circulation routière. L’avantage des pré-localisateurs de fuite réside également dans le fait qu’au lieu d’envoyer les agents partout, les données de ces outils permettent de faire un pré-repérage et de pouvoir optimiser le temps mais aussi la sécurité des agents », explique Jérôme Bedel pour La Relève et la Peste.

L’impact du changement climatique

Si les équipes interviennent tout au long de l’année – près de 700 fuites ont été détectées en 2023 par les équipes de recherche de fuites – des périodes de tension sont aussi à prévoir. Jusqu’ici, il s’agissait de la saison hivernale. Mais le changement climatique est venu rebattre les cartes du calendrier.

« On savait qu’en général, de fin novembre à février/mars en Alsace, on avait des périodes de gel. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. On s’est rendu compte qu’avec les périodes de sécheresse ou de fortes pluies, les ruptures sont réparties sur toute l’année. Pour la simple et bonne raison que ce n’est pas le gel qui va faire casser une conduite qui est en moyenne à 1m50 de profondeur, mais c’est le fait que le sol va geler, puis dégeler. C’est le mouvement de sol qui va créer la rupture. En Alsace, les mouvements de sol étaient vraiment liés au gel. Or là, nous avons eu deux années de forte sécheresse, en surface mais aussi dans le sol », détaille le chef de service pour La Relève et la Peste.

Il y a également un pic d’activité lorsque les communes approvisionnées par des sources n’ont plus beaucoup d’eau. À la moindre fuite, le service est en alerte.

« La priorité dans notre démarche d’intervention c’est trouver les fuites au plus vite pour éviter les manques d’eau. La deuxième priorité va être le respect du rendement parce que les collectivités peuvent subir des pénalités si elles n’ont pas un bon rendement », conclut Benoît Fuchs.

Sources : « Publication du 13ème rapport national de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement édition 2023 », Office français de la biodiversité, 20/06/23 / « Plan eau : découvrez la liste des territoires prioritaires dans la lutte contre les fuites », France Bleu, 31/03/23

Juliette Boffy

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