Décédée à l'âge de 11 ans suite à une exposition prénatale aux pesticides, Emmy Marivain est la première enfant dont le décès a été reconnu par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticide (FIVP). Ancienne fleuriste, sa mère conteste l'indemnisation proposée par le Fonds. Le délibéré sera rendu le 4 décembre prochain.
Une enfant tuée par des fleurs empoisonnées aux pesticides
L’information a fait le tour de la presse et pourtant, elle n’en reste pas moins insoutenable. Après des années à lutter contre le cancer, Emmy Marivain est décédée à l’âge de 11 ans en mars 2022. Un décès très médiatisé, puisque la jeune fille a été le premier enfant dont le décès a été reconnu par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), en juillet 2023, selon les informations du Monde et de la cellule investigation de Radio France.
De fait : alors que la mère de l’enfant, Laure Marivain, a travaillé plusieurs années comme fleuriste puis comme représentante de fleurs dans les Pays de la Loire, le Fonds a reconnu « le lien de causalité entre la pathologie [de la petite fille] et son exposition aux pesticides durant la période prénatale », développent nos confrères du Monde.
Pendant sa grossesse, la mère était en contact avec des fleurs et plantes traitées aux pesticides en provenance des Pays-Bas et d’Amérique du Sud. Cette exposition in utero aux pesticides s’est traduite dès la grossesse par des signes alarmants.
« Je prenais très peu de poids et mon bébé aussi », explique Laure Marivain auprès de Radio France.
S’en suivent de longues années de calvaire pour sa fille : d’abord un accouchement difficile, puis des douleurs osseuses dès trois ans, le diagnostique d’une leucémie l’année suivante, avant plusieurs années de combat, entre chimiothérapies, greffes et opérations, contre ce cancer des cellules de la moelle osseuse particulièrement mortel et agressif.
« Je me suis rendu compte que sur un bouquet, il pouvait y avoir 43 pesticides différents, continue la mère de famille auprès de Radio France. J’ai compris que les fleurs étaient des tueuses invisibles. »
Contre « ces tueuses invisibles », et pour rendre justice à sa fille à qui elle en a fait la promesse, Laure Marivain a saisi la justice. Devant la cour d’appel de Rennes, elle a, le 9 octobre dernier, contesté la décision du FIVP d’octroyer à chacun des parents la somme forfaitaire de 25 000 euros.
Aux côtés de Me François Lafforgue, qui défend des victimes de pesticides depuis plus de dix ans, la famille demande plus d’1 million d’euros au Fonds créé en 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale, afin d’« indemniser la souffrance qu’a connu leur enfant avant de mourir, ainsi que les autres membres de la famille », détaillent nos confrères de Reporterre.
Un cadre législatif peu protecteur
Un combat soutenu par l’association Phyto-victimes, qui accompagne depuis plus de dix ans les professionnels victimes des pesticides.
« Dès lors qu’un professionnel est exposé aux pesticides dans le cadre de son métier et qu’il développe des pathologies, il a des droits, entame Aline Fournet, directrice de l’association pour La Relève et La Peste. Notre rôle, c’est de les accompagner pour les faire valoir. »
Et de renchérir : « Les professionnels du monde agricole sont en première ligne, mais aussi d’autres professions auxquelles on pense moins comme les dockers, les menuisiers, les paysagistes ou justement les fleuristes ».
A l’heure actuelle, l’association compte deux fleuristes adultes accompagnés. Un chiffre très bas, en plus du dossier d’Emmy Marivain. Pour autant, le cas de la fille de Laure Marivain, suivi par Phyto-victimes, n’a malheureusement rien de très surprenant pour Aline Fournet.
« On n’est clairement pas tombés de quinze étages quand Madame Marivain nous a contactés, relate la professionnelle. On connaissait la problématique de l’exposition prénatale aux pesticides et on sait bien qu’en France, les fleurs peuvent contenir des produits interdits sur le territoire. »
De fait, contrairement aux fruits et légumes, il n’y a pour l’heure pas de réglementation européenne pour fixer des limites maximales de résidus. N’existe pas non plus de contrôle de ces résidus, notamment dans les fleurs importées, qui peuvent pourtant contenir des pesticides interdits d’usage en Europe.
Et ce alors même que les risques liés aux résidus de pesticides sur les fleurs coupées sont connus, notamment grâce à une étude scientifique belge publiée dans la revue Human and Ecological Risk Assessment qui démontre que les fleuristes se retrouvent exposés à des niveaux de pesticides bien supérieurs aux niveaux considérés comme sûrs pour les travailleurs.
Des professions « sous les radars »
« Ces risques existent, mais ils étaient très peu connus de la profession, continue Aline Fournet. Les démarches de Laure Marivain et la médiatisation de l’affaire ont permis de mettre le doigt sur une profession qui passait sous les radars », poursuit celle dont la structure est désormais « sur-sollicitée ».
Depuis un mois, l’association a reçu de nombreuses demandes de contact de la part de fleuristes, inquiets d’éventuelles pathologies adultes. La structure a également été contactée par de nombreux professionnels du monde agricole. Des pathologies adultes qui ne doivent pas écarter les cas d’exposition prénatale aux pesticides, comme pour Emmy Marivain.
« En 2023, le FIVP a reçu 10 dossiers enfants, détaille Aline Fournet pour La Relève et La Peste. C’est probablement très sous-demandé par rapport au nombre d’enfants réellement exposés. »
En cause, des freins multiples telle que la méconnaissance des parents des liens qui peuvent exister entre l’exposition prénatale dans le cadre professionnel et les pathologies qui peuvent en résulter.
« Il y a aussi le fait que la priorité absolue est de soigner son enfant plutôt que d’entamer des démarches », poursuit la professionnelle.
Sans compter que « c’est extrêmement dur de se dire qu’on a empoisonné son enfant », corrobore Michel Besnard pour La Relève et La Peste. Président du Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’ouest, qui vient aussi en soutien aux professionnels exposés aux pesticides, ce dernier était présent, aux côtés d’autres membres du collectif, à l’audience devant la cour d’appel de Rennes.
« On tient à être là en nombre lors de ces moments importants, détaille celui qui bataille pour l’interdiction des pesticides. Ces cas particuliers reflètent un problème beaucoup plus global. »
Pour l’heure, la famille d’Emmy attend, aux côtés des associations, le délibéré qui va être rendu d’ici quelques jours, le 4 décembre prochain. « On est dans une forme de statu quo », conclut Aline Fournet, aux côtés de Michel Besnard qui espère que la médiatisation du décès d’Emmy Marivain permettra également aux « consommateurs de mesurer l’importance d’acheter des fleurs locales et sans pesticides ».
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