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Deux yourtes destinées à l’habitat léger et solidaire attaquées en justice

Propriétaire d’un terrain de 5 800 m², ce chorégraphe de profession, passionné de recyclage et roi de la débrouille, a eu l’idée, il y a une dizaine d’années, d’installer une yourte kirghize, à deux pas de son habitation, pour y héberger une ou plusieurs personnes en difficulté.

Les yourtes de la Belletière devront-elles être démontées ? À Nort-sur-Erdre, près de Nantes, Jean-Marc Perrigot est convoqué en justice pour avoir élevé, sur sa propriété, deux yourtes destinées au logement solidaire. À l’origine de la plainte, la municipalité lui reproche de ne pas respecter le code de l’urbanisme.

Bienvenue au hameau de la Belletière, une cinquantaine de jolies maisons ramassées entre champs et forêt, en lointaine périphérie de Nantes. C’est là, dans un ancien corps de ferme, que notre protagoniste, Jean-Marc Perrigot, a jeté l’ancre il y a 28 ans.

Propriétaire d’un terrain de 5 800 m², ce chorégraphe de profession, passionné de recyclage et roi de la débrouille, a eu l’idée, il y a une dizaine d’années, d’installer une yourte kirghize, à deux pas de son habitation, pour y héberger une ou plusieurs personnes en difficulté.

« J’étais seul dans ce grand espace, et j’avais envie de le partager, témoigne Jean-Marc Perrigot à La Relève et la Peste. D’un autre côté, je voyais que la crise du logement était très compliquée dans la région, et que de plus en plus de gens ne pouvaient pas vivre dignement de leur salaire. »

Très attractive, comme tout le Grand-Ouest, la Loire-Atlantique accueille en moyenne, chaque année, 14 000 habitants supplémentaires. Cette croissance se concentre dans la sphère d’influence de Nantes, où la recherche de logement équivaut désormais à un parcours du combattant.

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Face à ce constat, Jean-Marc Perrigot décide de tenter l’expérience. En 2015, il aménage une partie de son terrain, qu’il raccorde à l’eau potable et à l’électricité. Afin de pouvoir faire machine arrière si la cohabitation tourne mal, il décide d’acheter une yourte, qui a ce double avantage d’être facilement démontable et de ne pas artificialiser les sols. C’est ce qu’on appelle « l’habitat léger ».

Crédit photo : Jean-Marc Perrigot

L’heureuse élue, Anne, professeure de musique et cheffe de chœur, emménage en juin de la même année. Très vite, les deux habitants du « 104 La Belletière », comme on le surnomme, créent un mode de vie fondé sur le partage. Anne ne paie pas de loyer, mais elle participe à l’entretien du terrain, règle des factures, donne de son temps et son énergie.

« Alors que les yourtes et ma maison personnelle restent des espaces privés, détaille Jean-Marc Perrigot, d’autres espaces sont mis en commun, comme l’atelier, les lieux de stockage, les congélateurs et la cave. Nous nous chauffons au bois, alors nous faisons le bois ensemble : une partie est prélevée sur le terrain, une autre est récupérée chez un fabricant de charpentes. »

De deux à quatre puis à sept

Comblé au-delà de ses attentes, Jean-Marc décide de renouveler l’expérience. En juillet 2018, Cécile Valembois, fonctionnaire dans l’animation, et son compagnon, Louis, ébéniste et accordeur de pianos, s’installent dans une seconde yourte élevée un peu plus loin dans le jardin.

« Nous voulions fonder une famille et nous ne parvenions pas à trouver de location correspondant à nos critères, nous explique Cécile Valembois. Les bailleurs étaient trop exigeants, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Nous en étions rendus à chercher jusqu’à Angers [à 90 kilomètres de Nantes, ndlr] et quand nous téléphonions, nous étions bien souvent les trente ou quarantièmes sur la liste. »

D’abord frileux, le couple finit par accepter la proposition de Jean-Marc. C’est un vrai pari, car Cécile est enceinte, et Louis travaille souvent à Paris. Mais là encore, la cohabitation se passe à merveille. Un premier enfant naît en 2018, puis un second en 2021. Le couple est surpris de trouver son compte dans cet habitat qu’il imaginait trop exigu.

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« Au fil du temps, insiste Cécile, notre situation a complètement dépassé la crise du logement. Nous sommes passés de la nécessité au partage, à l’entraide, à la construction de quelque chose de collectif, un autre modèle de vie. Et ce passage s’est fait tout seul. »

À l’automne 2021, Anne s’en va du 104 après six ans de vie commune. Louis aide alors Jean-Marc à remettre la première yourte en état ; les travaux sont menés collectivement, ce qui ne laisse de réjouir le chorégraphe. Les deux hommes profitent de l’occasion pour adjoindre une caravane à l’arrière du logement de Cécile et Louis, afin de soulager leur foyer qui s’est agrandi.

Crédit photo : Jean-Marc Perrigot

Enfin, début 2022, un second couple, Guillaume et Claire-Hélène, fait son entrée dans la première yourte entièrement rénovée. À l’heure actuelle, sept personnes habitent donc au « 104 » sans que le moindre mètre carré de béton ait été coulé.

La mairie en embuscade

L’expérience prometteuse de Jean-Marc, en phase avec son temps, aurait pu se prolonger indéfiniment si la municipalité de Nort-sur-Erdre, dont dépend le hameau de la Belletière, ne l’avait pas attaquée en justice.

« Lorsque Anne s’est installée, en 2015, nous n’avons reçu aucun courrier, aucune visite de la part des autorités, se souvient Jean-Marc. Trois ans ont passé et ce n’est qu’en 2018, après l’installation  de la deuxième yourte, que la mairie s’est manifestée. »

Les habitants du 104 apprennent à ce moment que toute résidence démontable « créant une surface de plancher totale supérieure à quarante mètres carrés » (les yourtes en font 50) et « constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs » nécessite, selon le Code de l’urbanisme, un « permis d’aménager » délivré par les services communaux.

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Le 4 octobre 2018, Jean-Marc, Anne, Cécile et Louis sont convoqués à la mairie de Nort-sur-Erdre. Rappelé à l’ordre, le propriétaire du terrain dispose tout de même de dix-huit mois pour débarrasser les yourtes. Dans leur intransigeance, les élus se sont montrés sensibles à son projet, et à ses arguments. Mais passé ce délai, préviennent-ils, l’affaire sera portée devant les tribunaux.

« Quatre mois seulement après le 4 octobre, continue Jean-Marc, les policiers municipaux sont venus prendre des photos, puis ils ont dressé un procès-verbal dont s’est saisi le procureur, qui a lui-même mandaté la gendarmerie. »

À cause de la pandémie, le chorégraphe n’apprend l’existence de l’enquête qu’en juillet 2021, lorsque les gendarmes le convoquent. Aucun document officiel ne lui est présenté. Après des mois d’incertitude, Jean-Marc reçoit enfin une double convocation au tribunal.

« La première était programmée pour juin 2022, raconte-t-il. C’était une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, durant laquelle on n’aurait pas débattu sur le fond du dossier, mais juste sur la peine. Comme je l’ai refusée, la seconde s’active, et un véritable procès aura lieu en février 2023. »

La lutte continue

S’il perd son procès, Jean-Marc encourt une amende ainsi qu’une injonction à démonter les yourtes, sous peine d’astreinte quotidienne. Quelle que soit la décision des tribunaux, le chorégraphe prévoit déjà d’y obéir.

En attendant, la troupe du 104 s’est lancée dans la bataille de l’habitat léger. Pour faire de leur cause un emblème, Jean-Marc, Céline et les autres ont fondé en avril dernier l’association « Libres toits », qui compte 260 adhérents. Son objet est « de fédérer et défendre les intérêts et la diversité de l’habitat léger, mobile et réversible » dans le département de Loire-Atlantique.

Une pétition de soutien aux yourtes de la Belletière a également récolté, sur internet, près de 40 000 signatures. La mairie de Nort-sur-Erdre se laissera-t-elle convaincre ? Contactée plusieurs fois par notre rédaction, celle-ci n’a pas souhaité exercer son droit de réponse.

Augustin Langlade

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