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« Dès que la police n’a plus de comptes à rendre, l’abus de pouvoir est garanti »

"Contrairement à ce que prétend Darmanin, ce sont bien des armes dites « de guerre » qui sont utilisées en maintien de l’ordre civil. C’est en cela que la France se distingue de la grande majorité de ses voisins."

De passage à Toulouse, le cinéaste et écrivain David Dufresne improvise un temps d’échange avec des étudiants de Sciences Po et de l’ENSAV, école nationale de cinéma. Le réalisateur d’"Un pays qui se tient sage" porte depuis plusieurs années une réflexion autour de la place de la police en France. Une question qui revêt une importance toute particulière dans le contexte politique actuel. 

Système et dysfonctionnements 

« Police et politique se rattachent à la même racine. C’est de la vie de la cité dont on parle. Alors effectivement on peut parler de doctrine, de gestion d’hommes et de femmes. On peut parler d’ordre, de consignes. Mais le véritable intérêt c’est l’espace public. Qu’est-ce que l’espace public ? À qui il appartient ? À qui est la rue ? » interroge le réalisateur.

Ces questionnements l’animent profondément et l’ont amené à plusieurs reprises sur des plateaux télévisés.

« La grande difficulté c’est d’arriver sur un plateau pour essayer d’expliquer la relation police-politique, et l’une des premières choses qu’on vous demande c’est : est-ce que vous êtes contre les violences et lesquelles ? », raconte à ce sujet David Dufresne.

« C’est donc très difficile d’avoir un débat au-dessus. Vous êtes amenés malgré vous à répondre à la question : Ce sont des bavures ou non ? Des dysfonctionnements ou pas ? Et vous dites : Non mais moi ce qui m’intéresse c’est le système ! »

La nature de la police

Au fil de son travail, celui-ci s’est de plus en plus intéressé à la nature-même de la police, davantage qu’à ses usages ou son habitus.

« L’argument martelé est que ‘La police est républicaine, donc elle défend la république’. Donc si vous critiquez la police, vous êtes contre la république. Et même aujourd’hui, c’est plus que ça : ‘Elle agit au nom de la Constitution, le texte suprême’. Quelqu’un qui critique la police devient alors un suspect, un mauvais citoyen. »

Pour David Dufresne, cette manière de fermer le débat empêche de se pencher sur le véritable problème.

« C’est une très belle question que pose l’historienne Ludivine Bantigny : Quel ordre les forces de l’ordre protègent-elles ? Aujourd’hui on est dans un système capitaliste. Donc en effet, il s’agit d’une police qui défend le capitalisme, et qui défend les inégalités. En tout cas qui fait en sorte que le statu quo se maintienne. »

Une force publique

D’où l’intérêt de se pencher sur la nature de la police, en ayant en tête les enseignements du passé.

« Il suffit de regarder l’Histoire de la police pour voir qu’en 1940, il y a eu très peu de démissions. Si vous votez Marine Le Pen en 2027, il y aura combien de démissions ? Il n’y en aura pas. Ça pose un vrai questionnement, au sens politique du terme ».

Profondément attaché à la Révolution de 1789 et à ses idéaux, le réalisateur ne manque pas de s’y référer régulièrement.

« L’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen parle bien de l’instauration nécessaire d’une force publique, pour l’intérêt de tous et non l’intérêt particulier de ceux qu’elle emploie. Une force publique, au sens XVIIIe siècle du terme, veut dire publicité : on doit savoir au nom de quoi la police agit. C’est ce qui la différencie de la police du roi, qui était la police secrète. »

Abus de pouvoir

Selon David Dufresne, cette différence prend aujourd’hui tout son sens.

« Quand on voit de plus en plus de policiers anonymisés, on sort de la Déclaration des Droits de l’Homme, on sort de la force publique, on sort de cette idée que cette police a des comptes à rendre. Dès lors qu’elle ne rend plus de comptes, on sait tous ce que cela veut dire : il n’y a plus aucun contre-pouvoir. Et l’abus de pouvoir est garanti. » 

« Peut-on se passer de la police ? » demande alors un étudiant. « C’est une très belle question », répond l’invité.

« Moi je me réfère aux révolutionnaires, qu’ils soient de 1789, ou plus encore les Communards. L’une des premières choses qu’ils font, c’est créer une police. Entre 1789 et 1799, presque chaque année, ses membres changeaient. Certaines années ils étaient élus du quartier, à d’autres moments ils étaient nommés.

Que font les Communards ? Ils prennent la Préfecture d’assaut. À la fois pour vérifier ce qui est dit sur eux, et notamment pour faire la chasse à ce qu’ils appelaient les mouchards, mais aussi pour créer un autre ordre.

La question de l’abolition de la police est souvent présentée comme la seule version révolutionnaire de la police. En réalité l’Histoire nous enseigne que des révolutions ont pensé la police différemment. C’est-à-dire sans l’abolition. » 

Abolir la police

Un vaste ensemble de travaux autour de l’abolition de la police existe aujourd’hui. Le sociologue et essayiste Mathieu Rigouste en est l’une des figures-phares. Son ouvrage La Domination policière, une violence industrielle, publié en 2012, propose par exemple une enquête sur la « contre-insurrection » et les violences d’Etat. L’auteur y démontre à quel point la théorie et les pratiques de la police française trouvent leurs racines dans le système colonial.

« La violence policière est une production rationnelle, structurée par des rapports de force économiques, politiques et sociaux, dont l’État assure la régulation technique. Elle est au centre d’une mécanique de gouvernement des indésirables et des misérables, des damnés et des insoumis », écrit Mathieu Rigouste.

« Il existe des travaux vraiment passionnants, et il faut entendre les abolitionnistes », juge pour sa part David Dufresne. « Néanmoins cela me semble très éloigné de la réalité ».

La doctrine globale

« Quelle est votre analyse de l’évolution de la police et des violences policières depuis les Gilets Jaunes ? » interroge à son tour une étudiante.

« C’est compliqué dans le sens où la police est un paquebot. Pour lui faire changer de cap, ce n’est pas simple. Elle représente des centaines de milliers de personnes, des armements parfois décidés 10 ans à l’avance…

Aujourd’hui on voit un peu moins d’armes dites sublétales, je pense notamment aux LBD. Elles sont là, mais beaucoup moins utilisées. Alors qu’on nous expliquait à l’époque des Gilets Jaunes que c’était vraiment une nécessité… Il a fallu 3 ans, 30 éborgnés, 5 mains arrachées. C’est honteux.

Cela dit il y a d’autres armes dites non-létales, ou à létalité réduite, qui sont utilisées : les GM2L, les grenades assourdissantes…Il faut rappeler que ces armes sont toujours cataloguées « armes de guerre ».

Contrairement à ce que prétend Darmanin, ce sont bien des armes dites « de guerre » qui sont utilisées en maintien de l’ordre civil. C’est en cela que la France se distingue de la grande majorité de ses voisins. Mais ce qu’il faut surtout interroger, c’est la doctrine globale. Qu’est-ce qu’un État qui considère que son dernier rempart est la police ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ce n’est donc pas l’éducation, la santé, le social. C’est la matraque. Voilà ce qu’il faut questionner. »

Pour aller plus loin : Depuis 20 ans, la population française perd de plus en plus de libertés et s’y habitue dangereusement

Marine Wolf

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