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Dans une cité marseillaise, cette habitante s’est battue et a obtenu le retour de La Poste

« J’ai croisé les doigts en lançant l’activité, je ne savais pas comment ça allait être perçu. Et en fait, ça s’est super bien passé. Les gens sont ravis, ils n’ont plus besoin de prendre le bus pour aller à la Poste. On est vraiment dans notre rôle ».

Air Bel est la 2ème plus grosse cité de Marseille. Alors que La Poste avait arrêté de livrer les colis de ses 6000 habitants, Rania Aougaci a décidé d’interpeller les élus pour faire respecter leurs droits avec une association de quartier, l’Amicale des Locataires d’Air Bel. Une magnifique victoire citoyenne face à l’abandon des pouvoirs publics.

L’Amicale des Locataires d’Air Bel

Avec sa surface de 25 hectares, ses 6000 habitants dont 1200 familles et ses 3 bailleurs sociaux, Air Bel se place comme la 2ème plus grosse cité de Marseille. Rania Aougaci y vit depuis 2006. 

« Quand j’ai aménagé dans cette cité, j’ai vu que ce l’était de la cité n’était pas normal par rapport aux charges que je payais », confie-t-elle pour La Relève & La Peste. « J’ai appris qu’il y avait une association existant depuis 1994. Au début, l’esprit c’était une poignée d’habitants qui en avaient marre de ne pas se faire respecter leurs droits en ce qui concernait les charges, la gestion du site, le droit du logement…On leur demandait beaucoup d’argent et en face les prestations étaient insuffisantes ». 

Rania Aougaci a pour sa part travaillé 18 ans durant au sein d’une association de tutelle. 

« Tout ce qui est administratif et représentation de personne, c’est mon cœur de métier. J’ai la fibre sociale, je sais qu’aider les autres correspond à ce dont j’ai envie ». 

La jeune femme rejoint donc l’Amicale des Locataires d’Air Bel, pour laquelle « la tâche est énorme car c’est une grosse cité, avec beaucoup de familles précaires », souligne-t-elle. 

Discrimination à l’adresse

Lorsque survient la période du Covid, Rania est déjà largement investie dans l’aide aux habitants de la cité. Comme partout en France, avec le confinement, le nombre de commandes en ligne explose. À ce moment-là, un désagrément que connaissaient déjà les locataires se fait sentir avec d’autant plus de prégnance : au sein de la cité, depuis 12 ans, les colis ne sont plus livrés à domicile. 

« Quand vous commandez, vous choisissez de faire livrer soit à domicile, soit en Point Relais, et les frais ne sont pas les mêmes », détaille Rania. « Chez nous, quand on demande à être livrés à la maison on paie le tarif le plus élevé, et en fait on n’est jamais livrés. Il faut aller faire la queue à la Poste pour récupérer son colis ». 

D’autant plus que lors de leur commande, les habitants ne sont pas informés qu’ils se trouvent en zone non-livrable. 

« J’ai trouvé ça vraiment injuste. La Poste est censée être un service public. Pourquoi est-ce qu’à Air Bel 6000 habitants sont punis en étant discriminés par leur adresse ? ». 

Rania Aougaci cherche alors à comprendre. On lui explique que les postiers ne s’aventurent plus dans la cité à cause des agressions qui ont eu lieu par le passé. 

« Mais le postier qui poste les lettres, il ne lui arrive rien… », remarque-t-elle. « Et dans n’importe quel quartier de Marseille, il y a des agressions, ce n’est pas pour autant qu’on punit les habitants pendant 12 ans ». 

Rania poursuit ses recherches, et découvre finalement que la véritable raison se situe ailleurs : livrer à Air Bel n’est pas rentable. 

« Je vous explique. Le postier a un pass pour ouvrir le grand panneau qui ferme toutes les boîtes aux lettres et y déposer les colis. Cette serrure est parfois vandalisée et n’est jamais réparée par le bailleur, dont c’est le devoir. Au bout d’un moment, le facteur remplit sa camionnette, fait sa tournée sur Air Bel, sauf qu’à chaque fois qu’il essaie d’ouvrir avec son pass, les panneaux ne s’ouvrent pas. Donc il rentre au bureau de Poste le camion plein ».

Vue aérienne d’Air Bel

Un Relais Pickup

Rania Aougaci décide de se saisir du problème. L’avocate de l’association l’informe que la situation est anormale et qu’elle se trouve en mesure de lancer une action en justice. Rania préfère entamer un dialogue avec la Poste. Elle propose d’installer un Relais Pickup à l’intérieur d’Air Bel, qui serait géré par l’Amicale et permettrait aux habitants de retirer leurs colis.

Cependant, la réunion en visioconférence obtenue avec les cadres de la Poste s’avère peu concluante. 

« Je déroule mon projet, ils m’écoutent, mais je sens que je n’ai pas la crédibilité que j’espérais. J’insiste, en expliquant que je ne suis pas seule, que je travaille sur le terrain depuis des années, que je suis suivie par la déléguée du préfet, la métropole, l’État… Mais Air Bel souffre d’une image peu reluisante, et quand ce sont des personnes de cité qui portent des initiatives, il y a toujours un handicap de crédibilité ». 

Devant la frilosité de ses interlocuteurs, Rania propose alors une réunion en présentiel. 

« Cette fois, j’appelle tous mes partenaires. La déléguée du préfet, mes référents de la métropole, la Fondation de France, qui nous soutient depuis le Covid et qui est le plus gros donateur privé du pays… J’ai mis tout ce beau monde autour d’une table, et quand chacun s’est présenté, les gens de la Poste m’ont regardé un peu différemment ». 

La signature du projet

La Poste accepte finalement le projet du Relais Pickup à Air-Bel. Hasard du calendrier, le président directeur national Philippe Val doit justement effectuer sa visite annuelle à Marseille. Séduit par l’initiative, il vient signer l’accord en personne, escorté par son service de presse. Dans le même temps, les bailleurs sociaux, visiblement rassurés, mettent enfin un local à disposition de l’Amicale des locataires. 

« J’ai croisé les doigts en lançant l’activité, je ne savais pas comment ça allait être perçu. Et en fait, ça s’est super bien passé. Les gens sont ravis, ils n’ont plus besoin de prendre le bus pour aller à la Poste. On est vraiment dans notre rôle ». 

Depuis, Rania s’est vu confier un Point Relais Poste, qui permet aux locataires de venir non seulement retirer mais déposer du courrier. 

Force de proposition 

Malgré la charge de travail et le maigre salaire qu’elle reçoit, Rania Aougaci continue de donner son temps aux habitants d’Air Bel. Investie dans le Projet de Rénovation Urbaine (PRU), elle représente également les habitants et les accompagne dans leurs démarches administratives. 

« Il y a 2 volets dans l’association. Le premier consiste à défendre les intérêts des locataires en s’assurant que les bailleurs honorent leur contrat. Le deuxième est le volet constructif, dans lequel je suis beaucoup plus à l’aise. On réfléchit ensemble à ce qu’on peut améliorer, en étant force de proposition ». 

Les Pépites d’Air Bel en sont un exemple. Ce programme de remobilisation des femmes vers l’emploi, porté par Rania, répond à l’un des nombreux défis que connaît la cité. 

« À Air Bel, il y a environ 40 ethnies, nationalités, origines qui se côtoient. Ce sont beaucoup de primo-arrivants, peu suivis par les services sociaux, livrés à eux-mêmes. Quand une femme veut travailler on lui propose aide à domicile ou agent d’entretien, alors qu’elle était sage-femme ou restauratrice avant d’arriver en France. Je me suis dit qu’il fallait mettre en avant leurs compétences, et les aider à trouver un travail choisi et non subi ». `

Photo couv : Rania Aougaci

Marine Wolf

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