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Pour la première fois en 150 ans, un gypaète barbu est né dans le Vercors

Bien qu’il soit un atout vital à la biodiversité, ce n’est qu’en 1986 qu’il fut réintroduit dans les Alpes. Il est aujourd’hui l’un des rapaces les plus rares d’Europe.

Longtemps prénommé l’oiseau de Satan, cet impressionnant vautour aux yeux jaunes entourés de rouge a terrifié les populations du XIXème siècle. A tel point qu’il a été persécuté et éradiqué des Alpes. Imaginez, ce roi des falaises d’un peu moins de trois mètres d’envergure se prélassant dans la boue rouge, imprégnant ainsi son poitrail pour impressionner ses congénères. Après s’être imbibé de ces eaux ferrugineuses, riches en fer, il sort se pavaner, sauf qu’au lieu de séduire les siens, il effraie les paysans qui le croit l’ami du diable et tueur d’enfant. Si la légende fut… Le gypaète lui, fut exterminé. Jusqu’à sa réintroduction réussie grâce au travail persévérant de naturalistes.

Cela faisait plus d’un siècle que cette espèce se reproduisait en captivité, sous la surveillance des naturalistes chargés d’empêcher son extinction. Après un travail de réintroduction en milieu naturel réussi, leurs efforts ont été couronnés du plus beau des succès cette année : un gypaète barbu est né sur les Hauts-Plateaux du Vercors.

« C’est un évènement dans le Vercors, mais c’est aussi un évènement pour Auvergne-Rhône-Alpes et la France ! » s’était enthousiasmé Bruno Cuerva, garde de la réserve des Hauts Plateaux du Vercors, au micro de FranceBleu

Le mardi 2 août 2022 vers 10 heures, Ambane le gypaète barbu s’est élancé pour son premier vol. Les observateurs du Parc naturel Régional du Vercors qui y ont assisté ont décrit « Un moment magique« .

Depuis, le jeune rapace est parti explorer d’autres territoires. Il peut voguer à l’aventure pendant trois ou quatre ans avant de revenir sur son lieu de naissance. Ses parents, eux, sont bien restés dans le Vercors. Les conservateurs de la réserve espèrent bien que le couple fera d’autres petits.

L’occasion de revenir sur ce long travail de conservation qui a permis de sauver le gypaète barbu des Alpes de l’extinction. Un reportage initialement écrit le 21 septembre 2021.

Un allié mal compris

Le Gypaète barbu tient son nom de la touffe de plumes présente sous son bec qui lui donne l’impression d’avoir une barbe. Il a de longues ailes fines et sa queue est en forme de losange. Malgré sa beauté incroyable, son allure parfois effrayante prendra le pas sur sa réputation.

« En ce qui concerne les Alpes, le dernier a été tiré en 1913 dans la vallée d’Aoste en Italie. Il avait une très mauvaise image vis-à-vis des paysans, qui pensaient que c’était un prédateur qui volait les agneaux, les moutons et même les enfants. Il a été persécuté puis mené à l’extinction dans les Alpes. » confie Julia Wildi, responsable du Réseau Gypaète Suisse occidentale, à La Relève et La Peste

Pourtant, fort est de constater que l’habit ne fait pas le moine. Ce vautour est en fait un charognard qui se nourrit exclusivement d’os, comme nous l’explique Julia Wildi :

« Il faut savoir qu’il ne va jamais tuer pour manger ; il prospecte les pentes en montagne afin de trouver des carcasses, dont il prélèvera les os pour se nourrir. Les gens de l’époque ignoraient malheureusement ce fait. Il est impressionnant, imaginez-vous, il peut aller jusqu’à un peu moins de 3 m d’envergure et il a le contour des yeux rouge, ce qui devait aussi contribuer à la mauvaise image qu’il avait à l’époque. »

Le rapace à l’oeil rouge – Crédit : Hugues CREPIN

Pourtant, sa dénomination de charognard fait de lui un précieux allié écologique. En effet, il nettoie la nature des cadavres d’animaux et prévient in fine de la propagation d’épidémies et de parasites. Il protège aussi les courants d’eaux de la pollution liée à la décomposition.

Pour l’anecdote, si ce vautour trouve que les os sont trop gros pour être mangés ou transportés, il s’empare des os pour les jeter du ciel afin de les briser en mille morceau. Perspicace, n’est-ce pas ?

Néanmoins, bien qu’il soit un atout vital à la biodiversité, ce n’est qu’en 1986 qu’il est réintroduit dans les Alpes. Il est aujourd’hui l’un des rapaces les plus rares d’Europe et c’est pour cela que des réseaux comme celui où travaille Julia Wildi et qui dépend de la Fondation Pro Gypaète se battent pour sa préservation.

Gypaète adulte – Crédit : Célestin Luisier

L’histoire de sa réintroduction

En 1974, quatre oiseaux sauvages sont capturés en Afghanistan, ils ont été maintenus en captivité dans des centres spécialisés de la Haute-Savoie afin de constituer des couples reproducteurs. Au total, onze oiseaux ont été importés mais à la suite de nombreuses péripéties, 4 moururent, 3 furent libérés et 4 iront former des couples reproducteurs dans un projet ultérieur.

Dès 1986, un programme international de réintroduction voit le jour. Ce dernier consiste à relâcher des jeunes oiseaux nés en captivé dont la provenance se partage entre plusieurs parcs zoologiques européens.

En 1987, la Suisse décide de fusionner l’ensemble des projets de réintroduction dans les Alpes en un seul programme de conservation. Les protocoles à suivre sont compliqués et minutieux comme nous le détaille Julia Wildi.

« Les Gypaètes destinés à participer au programme de réintroduction sont nés et élevés dans des centres spécialisés. La première étape est la formation des couples, qui est un processus délicat, car les Gypaètes n’acceptent pas n’importe quel partenaire. En octobre, les couples reçoivent du matériel pour construire un nid pour les préparer pour la saison de nidification à venir. Au début de l’hiver, les femelles pondent deux œufs. Parfois, il se peut que le ou les œufs soient enlevés et incubés artificiellement si les parents montrent des difficultés.

Adulte tenant une branche – Crédit : Célestin Luisier

Une fois que les œufs éclosent, un des poussins sera remis auprès de ses parents, alors que le deuxième sera attribué à un autre couple, car les Gypaètes ne peuvent élever qu’un petit à la fois. Ceci évitera qu’il ne s’habitue à la présence de l’homme. Quelques semaines avant d’être prêt de prendre son envol, il sera amené à l’endroit d’où il sera relâché après avoir été bagué et marqué (de manière éphémère) afin de pouvoir les suivre après leur envol.

On les amène à une falaise avant qu’ils ne sachent voler, là où ils sont bien à l’abri. Il y aura quelqu’un sur place pour les nourrir jusqu’à l’envol et pour vérifier que tout va bien. Puis, après deux trois semaines, ils prennent leur envol. A partir de ce moment-là, on ne s’en occupe plus, on va juste rester attentif à savoir où ils vont, notamment à l’aide de balises GPS. »

De facto, l’homme a, par sa volonté de réintroduction, une responsabilité d’assurer la pérennité de l’espèce afin que tout le travail mené jusqu’à présent n’ait pas été vain. Il doit vérifier que sa population se maintienne pour survivre.

Même si les chiffres montrent qu’elle est en augmentation, la population de gypaètes reste vulnérable. Dans les Alpes, on avoisine les 200 à 300 individus. Les associations doivent constamment vérifier de ne pas retomber dans le même problème qu’avant.

Adulte en vol – Crédit : Célestin Luisier

Car la vision négative des Gypaètes n’a malheureusement pas complètement disparu, malgré un nombre croissant de personnes qui ont une image positive de l’espèce.

Puis comme nous le rappelle Julia, il y a en plus du facteur de protection celui de la « diversité génétique, qui est primordial. C’est essentiellement pour cela que les lâchés de Gypaètes continuent dans plusieurs endroits, dont notamment les les Alpes, la Corse et les Pyrénées ».

De plus, la réintroduction passe aussi par la mise en avant de l’image du Gypaète, notamment dans la promotion touristique comme par exemple les écoles de ski ou encore de parapentes qui en font leurs emblèmes.

C’est « tout un travail d’information qui a été mené et qui a été crucial. La persécution des Gypaètes est partie d’un mythe. Comme le fait que les gens ne savaient pas que le Gypaète mangeait exclusivement des os. Alors que maintenant, quand on le demande aux gens, la plupart d’entre eux le savent. Il y a eu tout un travail de sensibilisation, des articles dans les journaux. Ce travail se fait à grande échelle avec la participation de tous les pays qui militent à sa protection. C’est assez drôle parfois, on rencontre des gens qui ne connaissent pas forcément les oiseaux mais qui raconteront qu’ils ont eu la chance d’observer le Gypaète », nous révèle encore Julia.

La volonté de réintroduire ce vautour maltraité par les croyances que l’homme se raconte avec vivacité depuis la nuit des temps, met en avant un équilibre possible entre ce dernier et la nature.

Il dénote qu’une cohabitation est possible et que l’homme doit renoncer à son anthropocentrisme pour permettre « une coexistence moins conflictuelle entre humains et non-humains, et tenter ainsi d’enrayer les effets dévastateurs de notre insouciance et de notre voracité sur un environnement global dont nous sommes au premier chef responsables (Descola, 2005 : 276) ».

Tout ceci semble encore plus évident lorsque l’on sait que nos alliés les plus précieux se trouvent d’ores et déjà dans cet alliage parfait qu’est le fonctionnement du vivant. Pour ne citer qu’eux : les renards qui endiguent la maladie de Lyme, les insectes qui sont nos pollinisateurs et qui décomposent les déchets pour les transformer en matière organique ou comme nous venons de l’écrire les Gypaètes barbus qui débarrassent la nature des cadavres.

Il est incontestable que les animaux ne doivent pas être envisagés seulement comme des « moyens utiles » à nos fins et que la globalité de la vie sur terre doit être protégée sans exception. Mais lorsque l’on pense aux tonnes de produits chimiques et autres intrants que nous utilisons pour pallier le vivant que nous sommes en train de tuer, il serait grand temps de nous poser de sérieuses questions.

Liza Tourman

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