L’augmentation de la maladie de Lyme corrobore avec la diminution du nombre de renards roux. Et pour cause, ce mal-aimé de nos campagnes, encore trop souvent considéré comme un nuisible, est pourchassé sans répit. En France, les chasseurs tuent ainsi entre 600 000 et un million de renards chaque année. Alors que les cas de Lyme continuent d’augmenter, et que les agriculteurs déplorent les ravages des rongeurs sur leurs récoltes, il est grand temps d’accorder au goupil tout le respect qu’il mérite pour son rôle inestimable dans la régulation des écosystèmes. Un article de Liza Tourman.
Qu’est-ce que la maladie de Lyme ?
La maladie de Lyme, aussi connue sous le nom de « Borréliose de Lyme », est une zoonose dégénérative qui peut être traitée si elle est diagnostiquée à temps. Malheureusement, encore peu reconnue en France, elle se transforme souvent en maladie chronique. Elle est transmise via une tique infectée par une bactérie du complexe Borrelia burgdoferi.
Nécessitant un taux élevé d’humidité pour vivre, on la retrouve essentiellement dans les forêts, les lisières, les taillis et les bois. Utilisant comme hôtes des animaux vertébrés sauvages tels que les rongeurs ou domestiques, elle se transmet à l’homme lors de ses « repas de sang ».
Cela dit, ce n’est pas parce que nous sommes mordus par une tique infectée que l’on attrape obligatoirement la maladie. En effet, cela dépend de la stase de développement (larve, nymphe, adulte).
Moins de 1 % de la population touchée transmet la bactérie à sa descendance, et par voie de conséquence, ces dernières ne sont généralement pas infectantes le temps de la morsure. De plus, 17h à 24h de fixation sur une personne sont requises pour que celle-ci contracte la maladie.
Et même si une tique a terminé son repas, il n’y a que 14 % de risques d’infection. Malgré tout, la borréliose est une maladie grave dont les symptômes varient entre la paralysie musculaire et articulaire, des migraines violentes, des poussées de fièvre, des troubles de l’équilibre, cardiaque, de la vision et neurologiques voire, cas ultime, la mort. Le pic d’activité des tiques s’étend généralement d’avril à juin. Elles redeviennent peu actives à l’automne.
On dénombre aujourd’hui 60 000 nouveaux cas par an en France. Pour se faire une idée, on en comptait 26 000 entre 2009 et 2014, 33 200 en 2015, 54 600 en 2016 avant d’atteindre 205 000 en 2018. Au vu de ces nombres impressionnants, on peut légitimement se poser la question des causes de la progression alarmante de cette maladie.
Le rôle du renard roux
Concernant les facteurs naturels connus à l’origine du développement de Lyme, deux font l’unanimité, dont un plus particulièrement. Premièrement, il y a le réchauffement climatique qui favorise la prolifération des tiques.
Ensuite, vient un argument sur lequel une grande majorité des chercheurs semble d’accord : le manque de renards et / ou de chats selon les territoires (pour endiguer les rongeurs qui ramènent les acariens en zone urbaine).
En 2012, une étude américaine a démontré qu’au cours des trois dernières années, l’augmentation de la maladie de Lyme corroborait avec la diminution du nombre de renards roux.
Venant étayer cette dernière, une étude néerlandaise plus récente (2017), répartie sur 19 territoires forestiers des Pays-Bas, constate que le nombre de larves de tiques sur deux espèces de rongeurs (le campagnol roussâtre et le mulot sylvestre, réputés pour être des nids à Borrelia) diminue quand l’activité prédatrice du renard roux et de la fouine augmente.
Dans cette dernière, parue dans la revue néerlandaise Mens & Vogel, Tim Hofmeseeter, écologue, a présenté un rapport mené sur deux ans établissant le lien entre la présence du renard et celle de tiques d’une part et la survenance des bactéries du complexe Borrelia burgdoferi d’autre part.
Comment s’y est-il pris ? Elargissant sa recherche à une vingtaine de bois d’un hectare sur toute la Hollande, il conçoit deux formes de pièges pour établir ses statistiques. Le premier est un piège capable de détecter, filmer ou photographier tout mouvement repéré par la chaleur émise par un mammifère de taille moyenne ou grande.
Le deuxième, lui, est un piège non létal pour les plus petits mammifères comme les rongeurs (permettant ainsi de les marquer pour ne pas les compter plusieurs fois avant de les relâcher). Cette capture lui permet de déceler le nombre de tiques présentes sur ces animaux et de les envoyer pour analyse afin de savoir si elles sont infectées ou non.
5 faits majeurs sont ressortis de ce travail : le renard lui-même ne joue pas un rôle prédominant pour infecter les tiques. C’est la densité des petits rongeurs hébergeant les foyers des tiques, contaminées ou non, qui en serait la cause.
La prédation du renard, quant à elle, permet la limitation de la contamination en régulant le nombre de rongeurs ; les prélèvements faits sur le terrain concluent qu’il y a moins de tiques dans l’environnement lorsqu’il y a plus de renards.
De plus, là où ce dernier a été le plus photographié, il y a 4 fois moins de tiques présentes sur les rongeurs et également moins de nymphes dans la végétation. Ainsi, ces études nous amènent à penser qu’il y a bien un lien entre la diminution du nombre de renards roux et l’augmentation de la maladie de Lyme ces dernières années.
Pourtant, fort est de constater que depuis plusieurs millénaires, le renard est considéré comme un nuisible. Pourquoi ?
De la mémoire collective à l’obstination des chasseurs
Depuis le Moyen-Age, à l’instar du corbeau considéré comme une malédiction, le renard est défini à travers les contes, les fables comme celles de Jean De La Fontaine, inspirées d’Ésope ou les récits d’aventures où il apparaît sous le nom de Goupil, comme un animal rusé et roublard.
Pour cause, la couleur rousse de son pelage est associée au diable et au mal. Ainsi, chassé pour sa fourrure, il a peu à peu été aussi traqué pour être un vecteur de maladies transmissibles à l’homme. Notamment avec la rage qui s’est éteinte en France en 2001.
Alors qu’un grand nombre criait à l’abattage de l’animal, le centre d’étude sur la rage préconisait une vaccination pour que les territoires des renards demeurent inchangés. De plus, des études ont prouvé que les renards vaccinés contre la rage empêchaient leurs congénères contaminés de l’ouest de l’Europe de venir.
En effet, les renards en bonne santé étaient en mesure de défendre leur territoire. Quand la rage a disparu, cet intelligent canidé du genre vulpes a alors été accusé de contaminer l’humain avec l’échinococcose alvéolaire. Pourtant, seulement 15 % de nouveaux cas par an sont détectés en France.
Cet argument est le cheval de bataille des chasseurs qui ne voient aucun mal à exterminer cette espèce qui d’une part nous protège d’une catastrophe sanitaire et d’autre part préserve des écosystèmes fragiles, toujours plus détruits par l’homme.
En décembre 2020, le juge des référés avait ainsi donné raison à l’ASPAS, association pour la protection de la vie sauvage, en suspendant l’arrêté qui autorisait la « destruction » de renards dans plusieurs communes des Ardennes et justifiant sa décision par l’inutilité de tuer des renards pour éviter la prolifération de l’échinococcose alvéolaire.
Pour un statut et une reconnaissance du renard
Le renard roux est un animal très adaptable. On le retrouve aussi bien sur des territoires proches de la mer que dans ceux situés plus en altitude. Il ne fait plus guère de doute que les prédateurs sont des êtres vivants essentiels à la préservation de l’écosystème. En effet, il y a beaucoup moins de risques d’avoir de maladies ou de parasites en leur présence.
Sur un autre registre, Alain Baraton, chroniqueur sur FranceInter, nous raconte qu’à Versailles une étude a mis en avant que la prédation des renards sur les lapins permettait aux jeunes arbres de ne pas être endommagés.
Il est estimé qu’en une année, un renard mange environ 6000 petits rongeurs. On peut donc facilement en déduire son efficacité quant à la préservation de terrains agricoles. Pourtant, les chasseurs tuent en France entre 600 000 et un million de renards chaque année.
Pendant le confinement où la chasse a été suspendue, il a été autorisé de tuer certaines espèces « occasionnant des dégâts » aux activités agricoles et sylvestres. Parmi elles, figure le renard. Étrange, lorsque l’on sait qu’en 2019 dans la Haute Loire, puis en 2020 dans le Cantal, les agriculteurs se sont plaints des ravages des campagnols dus au manque de renard. Où est la logique ?
Aussi, au lieu de lutter en permanence contre le vivant et les moyens de s’autoréguler, plutôt que d’utiliser des pesticides mortifères contre les rongeurs, dévastant nos sols et nos écosystèmes, pourquoi ne pas allier nos forces autour de ce qui est, afin de préserver la vie, notre santé, notre terre ?
En ces temps de pandémie où les zoonoses font plus polémique que jamais, ne serait-il pas judicieux de mettre nos forces en commun afin de lutter contre les futures catastrophes sanitaires ? Ne faudrait-il pas se battre pour octroyer un statut et une protection aux renards qui nous protègent de la maladie de Lyme et préservent notre environnement naturel ? Et en parallèle, sévir contre ceux qui le chassent impunément, pour le plaisir ou encore à cause de fables sorties tout droit de notre imaginaire collectif mémoriel ?
Pour défendre le renard, l’ASPAS a mis en place une pétition visant à protéger ce mal-aimé, pourtant essentiel au bon fonctionnement de nos écosystèmes.