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Cultiver la terre sans aucun repère : les paysans face au chaos climatique

« La seule chose dont je suis sûr est que demain, l’eau sera essentielle. » annonce Fabien Cadiergues, éleveur bovin à Anglars, Lot

Gilles Luneau est un journaliste spécialisé sur les sujets agricoles. Depuis une trentaine d’années, il sillonne les campagnes françaises. Dans son livre « Les Paysans face au chaos climatique », il donne la parole à 20 agriculteurs qui racontent ce qu’ils et elles vivent sur le front climatique, et comment ce dérèglement renverse tous les savoirs considérés comme acquis jusqu’alors. Les vieux dictons d’antan sont désormais désuets. Pour le journaliste, il faut entendre leur parole comme celle de précieux médiateurs de la nature mais surtout, de lanceurs d’alerte.

Chaos climatique et ravageurs

Les témoignages des paysans ont été recueilli en 2021, lorsque des épisodes de gouttes froides se sont succédés au-dessus du territoire métropolitain tout l’été. Quand le reste de l’Europe brûlait, la France a connu un été diluvien, comme cela a rarement eu lieu auparavant, avec des conséquences terribles sur les cultures.

« Pour le titre de mon ouvrage, le terme de chaos climatique s’est imposé de suite car je voulais montrer que les conditions initiales qui régissent le climat, qui permettaient de prédire la météo, sont désormais imprédictibles à cause du changement en cours : pic de chaleur, orages brutaux, gelées tardives, il n’y a plus aucun repère. » explique Gilles Luneau pour La Relève et La Peste

Montrant une sorte de photographie des conditions des productions agricoles en France métropolitaine, qu’ils soient en bio, conventionnel, céréalier, éleveur, arboriculteur, vignerons et parfois également ingénieurs agronomes, les témoins du livre ont tous le même cri du cœur : les variations climatiques sont tellement extrêmes qu’ils ne peuvent plus rien prévoir.

« On observe plus un dérèglement qu’un réchauffement : sécheresse en février, temps d’octobre au mois de juillet… c’est ingérable. On subit. » témoigne Fabien Cadiergues, éleveur bovin à Anglars, Lot

« Quand nous nous sommes installés, nul besoin d’irriguer nos pommes de terre, mais depuis dix ans nous y sommes obligés. La difficulté climatique, la paysannerie l’a toujours connue. Même s’il y a toujours eu des événements extrêmes dans l’histoire de la production agricole, nous vivons des choses de plus en plus extrêmes. » renchérit Cécile Muret, maraîchère à Rahon, Jura

De surcroît, sans grosses gelées pour tuer les larves, il y a pullulation d’insectes ravageurs. Leur prolifération alliée à celle de maladies inquiète les paysans et amène son cortège de soucis. Les méligèthes s’attaquent aux cultures de colza et moutarde, les altises au chou, la pyrale au maïs…

Les fruits et légumes ne sont pas épargnés avec de nouvelles arrivantes comme la punaise Tuta absoluta qui s’attaque aux fleurs ou la mouche suzuki (Drosophila suzukii) qui pond ses larves dans les fruits à chair tendre. Tous ne sont pas dus au réchauffement climatique, certains ravageurs sont arrivés à cause des échanges marchands mondialisés. 

Gestion de l’eau et solutions

« La seule chose dont je suis sûr est que demain, l’eau sera essentielle. » annonce Fabien Cadiergues, éleveur bovin à Anglars, Lot

Au fil des témoignages, on découvre la difficulté de plus en plus grande à cultiver du maïs, très gourmand en eau, mais surtout du blé. Pour cette dernière culture, les agriculteurs s’accrochent car ils sont conscients de son importance vitale pour de nombreuses populations notamment pour la rive sud de la Méditerranée, déjà dramatiquement touchée par les problèmes d’exportation causée par la guerre en Ukraine.

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Parmi les solutions : diversifier les activités et cultures de la ferme, préférer les petites parcelles, replanter des arbres et des haies, favoriser le retour de la biodiversité (notamment les prédateurs naturels des ravageurs) ainsi que se réapproprier les semences paysannes.

C’est ce qu’a fait Christophe Durand. Installé en polyculture-élevage dans la Creuse, cet agriculteur est passé par l’élevage intensif (jusqu’à 1000 vaches !) avant de revenir à des pratiques agroécologiques : il a entre autres semé un blé rouge de Bordeaux dans ses champs, une variété d’antan.

« Ce blé fait 1,50-1,60 mètre de haut : il fournit tellement d’ombre au sol qu’il n’y a pas une mauvaise herbe, je n’en revenais pas. On en a fait des conneries en génétique… » témoigne-t-il dans le livre

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Le changement des températures affecte directement celles des sols et met en péril toutes les habitudes agricoles : du semis à la moisson, toutes les dates fluctuent d’une année sur l’autre, avec plus ou moins de réussites et de dégâts.

Pour pallier aux sécheresses et aux fortes chaleurs, les paysans rivalisent d’ingéniosité : créer des systèmes d’irrigation adaptés, rentrer les bêtes à l’étable pendant les canicules pour les faire pâturer à la fraîche, et surtout apporter un soin tout particulier au sol, complètement lessivé par des décennies d’agriculture industrielle, avec des couverts végétaux et un apport régulier d’engrais naturel comme du fumier et des déchets végétaux.

« Nous avons tendance à nous attarder sur ce qui est immédiatement visible, mais le changement le plus terrible affecte les sols. (…) Quand la température et l’hygrométrie dépassent une certaine limite, les micro-organismes du sol meurent, la terre meurt. » explique Christophe Durand, agriculteur en polyculture-élevage à Augères

Cependant, tous les agriculteurs ne retournent pas forcément vers des solutions agroécologiques, et beaucoup misent sur une fuite en avant technologique : étables et serres climatisées (et non plus chauffées), ventilateurs géants au pied des vergers, modifier génétiquement les arbres pour qu’ils n’aient plus besoin de dormance, ou recourir au numérique comme le prônent l’agroindustrie et le gouvernement français. Une posture dangereuse selon le journaliste Gilles Luneau.

« Le numérique, c’est la mise en équation binaire de la réalité : pour qu’elle tienne debout tu élimines ce qui te gêne. On a éliminé toute la richesse du sol pour faire azote/phosphate/potassium et ce modèle a atteint ses limites. Rajouter un wagon au train technique n’est pas la solution. Les fruits ne vont plus mûrir mais griller au soleil du coup que fait-on : on change de culture ? on fait pousser des arbres sous serre ? Il faut de la démocratie et décider à l’échelle des territoires. Ça va réclamer un retour à l’observation de la nature, de l’échange entre les agriculteurs car ce qu’on a vécu ces 40 dernières années, c’est la transformation du paysan en métier d’exploitant agricole. On a réduit l’activité de production de nourriture à un métier avec un arsenal technologique or ce n’est pas seulement un métier ; cela recouvre un rapport au monde beaucoup plus vaste que l’on a perdu depuis les années 70. On a délaissé tout ce qui faisait la richesse des agriculteurs, on a bloqué les gens dans la concurrence donc il faut revenir à du collectif. » explique-t-il pour La Relève et La Peste

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La Politique Agricole Commune est également décrite par tous les agriculteurs comme un outil crucial afin de les aider à changer de modèle, et ne pas les laisser se battre seuls face au chaos climatique. Une étape fondamentale que le gouvernement français a cruellement ratée lors de sa présidence de l’UE et des négociations sur la prochaine PAC.

Lire aussi : Nouvelle PAC : l’Autorité environnementale juge le plan du gouvernement français « inapte » à réduire l’impact de l’agriculture

Pour les agriculteurs, habitués à penser le temps long, il est crucial que les politique sortent des visions court-termistes et développent une réflexion d’ensemble pour agir sur le climat afin que les différentes aides publiques soient cohérentes entre elles. In fine, c’est une nouvelle philosophie de notre rapport au monde que le changement climatique nous invite à avoir.

« Je pense que ce qui peut freiner l’industrialisation, ce sont les décisions fondamentales sur la gestion de l’eau, car on va vers des tensions énormes. Ou bien on va collectivement vers une vraie transition, ou bien on continue vers plus d’industrialisation et d’artificialisation de la nourriture et donc de la vie. Le pas pour modifier l’homme n’est pas loin, les gens qui sont sur cette lancée du système technique à l’infini sont ceux qui sont prêts à franchir le pas du transhumanisme, c’est vraiment une partition de la société qui se dévoile sous nos yeux. » décrypte Gilles Luneau pour La Relève et La Peste

« Difficile d’imaginer l’agriculture en 2050 ou 2080. Nous avons encore énormément de mal à faire le lien entre ce qu’annonce la science et notre pratique. On va certainement devoir admettre que l’on ne peut pas manger de tout, tout le temps. » conclut l’agricultrice Stéphanie

Pour aller plus loin : « Dans un monde en crise, il faut se préparer à une rupture d’approvisionnement alimentaire »

Laurie Debove

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