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Corse : un collectif octroie des droits au fleuve Tavignanu pour le sauver des déchets

Ce tableau idyllique est plus que jamais menacé par un vaste projet de centre d’enfouissement technique (CET) que le gouvernement, associé à l’entreprise Oriente Environnement, prévoit d’installer dans un méandre du Tavignanu, sur la commune de Giuncaggio (Haute-Corse), à une dizaine de kilomètres de la mer.

Pour la première fois en France, un collectif d’associations environnementales a écrit et publié, le 29 juillet, une « déclaration des droits du Tavignanu », deuxième plus long fleuve de Corse menacé par un vaste projet de centre d’enfouissement de déchets. C’est le début d’une « révolution juridique et culturelle » qui pourrait mener à un référendum local.

Un écosystème exceptionnel menacé

Merveille de l’île de Beauté, le Tavignanu prend sa source au lac de Ninu, puis coulant d’ouest en est sur 90 kilomètres, traverse Corte, Riventosa, Altiani, Giuncaggio, avant de se jeter dans la mer Tyrrhénienne, tout près de la cité d’Aléria, qui domine la Plaine orientale.   

Écosystème exceptionnel épousant le cours de 74 affluents, le deuxième plus long fleuve de Corse regorge d’espèces rares et endémiques : la spiranthe d’été, belle plante aux tiges corollées, l’escargot de Raspail, le petit rhinolophe, la célèbre tortue d’Hermann, ou encore l’alose feinte, un poisson migrateur bénéficiant d’un plan national d’action.

La basse vallée du Tavignanu, répertoriée comme zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), figure dans la liste européenne des sites Natura 2000. Remarquable pour ses gorges, son pont génois, ses chapelles, ses villages, elle fournit aussi l’eau potable d’une bonne partie de la plaine, ce qui justifie, s’il le fallait, son statut de protection.

Lire aussi : « L’écocide : d’un crime contre l’humanité à un droit pour la Terre »

Ce tableau idyllique est plus que jamais menacé par un vaste projet de centre d’enfouissement technique (CET) que le gouvernement, associé à l’entreprise Oriente Environnement, prévoit d’installer dans un méandre du Tavignanu, sur la commune de Giuncaggio (Haute-Corse), à une dizaine de kilomètres de la mer.

Motivée par la crise des déchets qui frappe l’île depuis des années, voire des décennies, cette décharge souterraine accueillerait chaque année, si elle voyait le jour, 70 000 tonnes de déchets ménagers et quelque 100 000 tonnes de terres amiantifères provenant de chantiers de construction. 

Lire aussi : « Délit d’écocide : 12 ans de retard sur le droit européen et un terme mal utilisé »

Le combat des habitants contre les promoteurs

Bloqué en 2016 par le préfet de Haute-Corse, que n’avait pas convaincu l’enquête publique, le projet de CET a réussi à surmonter, en cinq ans, tous les garde-fous juridiques. En 2019, jugeant la situation sanitaire de l’île préoccupante, le tribunal administratif de Bastia a annulé l’arrêté préfectoral qui refusait l’autorisation d’exploiter à Oriente Environnement.

Cette décision a été confirmée, l’année suivante, par la cour d’appel de Marseille, qui rejetait en réalité le recours que lui avaient présenté le collectif de riverains Tavignanu Vivu et l’association U Levante, soutenus par la collectivité territoriale de Corse.  

Saisi en cassation, le Conseil d’État a finalement rejeté lui aussi, le 21 avril dernier, le pourvoi formé par les associations, laissant la voie libre aux promoteurs du CET.

Quoi qu’en dise la justice, le collectif Tavignanu Vivu, origine et cœur de la lutte, est convaincu que ses revendications sont légitimes.

Selon une expertise effectuée en 2016 par Paul Royal, ingénieur à l’école nationale des sciences géographiques de Nancy, le terrain convoité par Oriente Environnement est situé dans un méandre formé par les produits d’effondrement d’un versant montagneux, qui rendent dangereuse toute tentative de terrassement, de creusement ou d’enfouissement.

La nature « particulièrement instable » du site comporte « un risque certain, grave et irréversible » de pollution pour « une grande partie du bassin de vie de la plaine orientale », note le géologue, qui conclut : « Nul ne songerait à stocker ses poubelles au sommet d’un château d’eau, les récipients fussent-ils déclarés étanches. »

Car le terrain de la future décharge, lui-même « gorgé d’eau », se trouve à la fois au sein d’une aire de production agricole comptant de nombreux IGP et AOP (vins, fruits, miel…) et en amont d’une zone de captage d’eau potable et agricole.

Crues, glissements de terrain, précipitations anormales, fuites dues à une défaillance technique, le moindre accident « polluera[it] de manière irréversible, et pendant de longues périodes, le fleuve et toute la nappe phréatique », écrit l’association U Levante, ajoutant que « toute pollution du Tavignanu […] sera[it] transportée jusqu’à la mer et les déchets déposés sur les plages. »

Image représentant le projet de stockage des déchets près du fleuve – Crédit : Tavignanu Vivu

Une déclaration de droits pour le sauver

Refusant de baisser les bras, le collectif de riverains, la fondation UMANI et Terre de Liens Corsica ont contacté l’association Notre Affaire à Tous — l’une des quatre requérantes dans l’Affaire du siècle, procès historique au terme duquel l’État français a été condamné pour inaction climatique — afin de rédiger la « toute première déclaration de droits d’une entité naturelle en France ».

« Le fleuve Tavignanu est une entité vivante et indivisible, de sa source jusqu’à son embouchure, délimitée par son bassin versant, et dispose de la personnalité juridique », est-il écrit en article 1 de cette déclaration, qui a vu le jour le 29 juillet dernier.

Droit d’exister, de vivre et de s’écouler, droit au respect de ses cycles naturels, droit de ne pas être pollué ou encore droit à la régénération : en tant qu’entité juridique, le Tavignanu dispose désormais de droits fondamentaux, qui « pourront être défendus en justice par l’intermédiaire de ses gardiens, agissant comme représentants légaux en son nom »

N’entendant nullement désavouer « les activités humaines existantes, pourvu qu’elles ne portent pas atteinte aux droits du fleuve », les associations invitent élus, députés, sénateurs et toute personne qui le souhaite à adopter leur document, si possible « en séance » pour les élus locaux, « afin de lui donner plus de portée ».

Lire aussi : « Un fleuve néo-zélandais reçoit le titre d’“être vivant unique” »

Hautement symbolique, la déclaration des droits du Tavignanu représente avant tout « un engagement moral pour ses signataires ». En obtenant le soutien d’élus, d’institutions, d’associations et de citoyens, ses concepteurs voudraient qu’un référendum sur le statut du fleuve soit à terme organisé en Haute-Corse, à l’image de celui qu’ont mis en place les riverains du lac Érié, aux États-Unis.   

Outre ce lac américain bénéficiant de droits depuis 2019, d’autres exemples existent à travers le monde. En Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui s’est vu attribuer, en 2017, le titre « d’être vivant unique » et la qualité de « personne morale » pouvant être défendue par des représentants humains.

Au Costa-Rica, la ville de Curridabat, dans la banlieue de San-José, a récemment étendu sa citoyenneté « aux pollinisateurs, aux arbres et aux plantes indigènes », dans le but de créer un réseau de corridors biologiques susceptibles de réduire la pollution.

En France, cette pratique juridique nouvelle essaime, et des initiatives émergent dans tout le territoire : les plus concrètes se nomment « Parlement de Loire » et « Appel du Rhône », mais d’autres programmes sont en gestation à Paris, dans la Drôme et le Jura.

Et ensuite ? Dans un communiqué, Notre affaire à tous a annoncé que la « seconde étape » de la déclaration aurait lieu le 9 septembre prochain à Marseille, lors du congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature, à l’occasion d’une conférence de presse.

Le collectif Tavignanu Vivu, quant à lui, envisage de porter l’affaire devant la justice européenne. Des projets d’acquisition du terrain contesté sont également en préparation.

Lire aussi : « Pour punir la pollution de Lafarge, Paris veut donner une personnalité juridique à la Seine »

Augustin Langlade

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