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« Délit d’écocide » : 12 ans de retard sur le droit européen et un terme mal utilisé

« Le sentiment général, c’est de la déception car on ne reconnaît pas la notion de crime d’écocide. Lorsqu’on a débattu de ce terme pour la première fois à la CCC, j’étais incapable de le définir. Mais ma voisine Alexia, qui est guadeloupéenne, a dit « si si moi je sais ce qu’est, un écocide : c’est le chlordécone ! » Elle avait une application pratique sur un territoire français, où la pollution des sols et de l’eau est durable, grave et étendue. C’est pour cela qu’on a trouvé ça intéressant d’aller plus loin. On a touché dès le départ quelque chose de concret grâce à son témoignage. » explique Guy Kulitza, membre du groupe Se Nourrir de la CCC et retraité

Dans une tribune au JDD, les ministres de la Transition écologique, Barbara Pompili, et de la Justice, Eric Dupond-Moretti, ont annoncé la création d’un « délit d’écocide » pour sanctionner les pollutions à l’environnement. Présentés comme une réponse aux travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, ces nouveaux délits ont en fait 12 ans de retard sur le droit européen et risquent d’être un frein à l’ambition première de la Convention : faire reconnaître l’écocide comme un crime auprès de la Cour pénale internationale.

Un effet d’annonce plutôt qu’une avancée juridique

« Mettre fin au banditisme environnemental » : c’est ainsi que les deux Ministres ont présenté la création de nouveaux délits liés à l’environnement. En effet, si le titre de leur tribune porte sur le « délit d’écocide », il s’agit en fait de la création de deux délits environnementaux : le « délit général de pollution » et le « délit de mise en danger de l’environnement ».

Dans leur tribune, les deux Ministres précisent notamment que les amendes, qui se veulent dissuasives, iront de 375.000 à 4.5 millions d’euros pour le délit général de pollution, en plus de 3 à 10 ans de prison, selon le degré d’intentionalité de l’auteur. Concernant la mise en danger de l’environnement, la peine prévue est d’un an de prison et 100.000 euros d’amende.

« Autrefois vous polluiez, vous gagniez. Demain vous polluerez, vous paierez jusqu’à dix fois le bénéfice que vous auriez fait si vous aviez jeté vos déchets dans le fleuve. », assure le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.

Dans les faits, cette annonce n’a pour l’instant pas été accompagnée d’un texte de loi précis. Ces nouveaux délits vont être étudiés sous la forme d’amendements dans le projet de loi sur le Parquet européen. Voté en première lecture au Sénat en février, il sera discuté en séance publique le 8 décembre à l’Assemblée nationale.

En faisant en sorte que la sanction soit possible sans attendre la réalisation d’un dommage environnemental, ces délits représentent bien une petite avancée par rapport au droit français. Cependant, le gouvernement français se conforme en fait à la directive de l’Union européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal datant de… 2008, et dont la révision est prévue pour 2021.

De plus, les agents de l’Office Français de Biodiversité voient leurs effectifs et leurs moyens réduire d’année en année, ils s’interrogent donc sur la façon dont ils pourront mener à bien leurs nouvelles missions.

« Il y aura 60 suppressions de postes entre 2021 et 2022. Et pour le coup, renforcer les missions de police sans renforcer les effectifs qui vont avec, soit ils ne vont pas s’en sortir soit on va leur demander d’abandonner certaines missions techniques. Sans les moyens pour le faire, les meilleures intentions resteront lettre morte. » s’inquiète Patrick Saint Léger, secrétaire général du Syndicat National de l’Environnement FSU à l’Office français de la biodiversité, au micro de FranceInter

Le secrétaire général précise aussi que si le délit peut être un outil efficace vis à vis des pollutions de l’eau, du l’air et du sol, il faut aussi que ce soit le cas pour les atteintes à la biodiversité ou au milieu naturel pour l’instant laissées de côté. « Par exemple pour quelqu’un qui détruit une haie ou pour du trafic d’espèces. »

Aux Antilles, le scandale du chlordécone est encore impuni. Pendant plus de 30 ans, 300 tonnes de chlordécone ont été épandus sur les cultures, empoisonnant durablement les sols, l’eau (rivières, nappes phréatiques et côtes) mais aussi les populations.

« Un mauvais tour » aux citoyens

Surtout, ce délit « d’écocide » a été présenté comme une façon de répondre aux attentes de la population, et notamment des membres de la Convention Citoyenne pour le Climat dont l’une des propositions consiste à adopter une loi qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des 9 limites planétaires.

Or ici, point de crime mais de simples délits, et la notion de « limites planétaires » a été complètement abandonnée par les deux Ministres qui considèrent que cette notion est « structurante mais trop floue pour être la base d’une infraction pénale. » Un désaveu pour le groupe de travail de la CCC qui avait soumis plusieurs propositions au gouvernement pour lever ces blocages.

« Le sentiment général, c’est de la déception car on ne reconnaît pas la notion de crime d’écocide. Lorsqu’on a débattu de ce terme pour la première fois à la CCC, j’étais incapable de le définir. Mais ma voisine Alexia, qui est guadeloupéenne, a dit « si si moi je sais ce qu’est, un écocide : c’est le chlordécone ! » Elle avait une application pratique sur un territoire français, où la pollution des sols et de l’eau est durable, grave et étendue. C’est pour cela qu’on a trouvé ça intéressant d’aller plus loin. On a touché dès le départ quelque chose de concret grâce à son témoignage. » explique Guy Kulitza, membre du groupe Se Nourrir de la CCC et retraité, pour La Relève et La Peste

Une annonce d’autant plus décevante qu’Emmanuel Macron, lors de son allocution devant les membres de la CCC en juin 2020, avait bien précisé qu’il s’engageait à « faire en sorte d’inscrire le terme d’écocide dans le droit international pour que les dirigeants qui sont chargés par leurs peuples de protéger le patrimoine naturel et qui faillissent délibérément rendent compte de leurs méfaits devant la Cour pénale internationale. »

« A la sortie de la CCC en juin, on a créé un groupe de travail qui réunit des scientifiques et des juristes et on a continué d’avancer sur ce texte. On a proposé une définition alternative, à deux reprises, pour lever leurs réticences et ils n’en ont absolument pas tenu compte ! Aujourd’hui, le délit qu’ils proposent n’a rien à voir avec un crime plus large qui soit applicable aux écosystèmes en entier. Nous souhaitons donc qu’ils changent de nom, car avec la définition des ministres, la France se met en décalage avec les mouvements qui militent pour le sujet et risque de brouiller le débat international. Un écocide est aussi grave qu’un génocide, pas un simple délit. » explique Marine Calmet, juriste et Présidente de l’association Wild Legal

En effet, le terme d’écocide s’est créé dans le contexte de la guerre du Vietnam pour dénoncer la destruction massive de l’environnement causé par l’Agent Orange, et de ses séquelles sur 4,8 millions de personnes. Pour ses avocats, c’est pour cela que l’écocide doit être considéré au même titre qu’un crime contre l’humanité : ses atteintes à l’environnement sont si graves qu’elles mettent en péril les conditions de Vie sur Terre.

Ainsi, un délit d’environnement ne permet pas de poursuivre la destruction de forêts sur le territoire français, alors même qu’Emmanuel Macron «  avait lui-même qualifié la déforestation liée aux incendies en Amazonie de crime d’écocide » rappelle Marine Calmet.

De la même façon, avec ce délit d’environnement, la pollution industrielle causée en Méditerranée par les 32 millions de tonnes de boues rouges de l’usine Alteo ne peut pas être poursuivie pour crime d’écocide, ayant été permise grâce à des autorisations préfectorales.

« Utiliser le terme «écocide» tout en le vidant de sa substance est un mauvais tour à jouer aux citoyen.ne.s, cherchant à leur donner l’illusion qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Ce n’est pas le cas et ils l’ont affirmé aux Ministres ce jour lors de la réunion qui s’est tenue sur le sujet. » précise ainsi Valérie Cabanes, membre du conseil consultatif de la Fondation Stop Ecocide, et membre du comité d’experts indépendant pour la définition juridique de l’écocide

Enfin, un délit étant moins répréhensible qu’un crime, le niveau de peine proposé par le gouvernement n’est pas suffisant aux yeux de la CCC qui réclamait une amende de 10 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, de 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial.

Les différents experts et citoyens du groupe du travail ont donc fait part de leur déception au gouvernement lors d’une rencontre organisée hier, sans succès. Ils vont maintenant recueillir le soutien de députés pour faire modifier le nom du projet lors du vote qui aura lieu début décembre, et se réservent la possibilité de déposer « une vraie proposition d’écocide » plus tard, pourquoi pas dans le cadre de la Loi Climat qui doit être débattue au début d’année 2021.

Laurie Debove

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