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Claire Nouvian : « Il faut en finir avec la pêche dans les Aires Marines Protégées »

"Et il faut évidemment arrêter avec les subventions publiques nocives qui alimentent la destruction de l’océan. Parce que le plus fou dans tout ça, c’est que si on ne payait pas la destruction de l’océan avec de l’argent public, elle n’aurait pas lieu. Des centaines de millions d’euros vont chaque année au soutien des destructeurs, alors que la pêche artisanale reçoit une portion infime des aides publiques. C’est un choix politique."

Fondée en 2005, BLOOM est une association dédiée à la protection de l’océan et de ceux qui en vivent. Son action s’articule autour de 3 axes : le développement d’une recherche scientifique indépendante, la pédagogie et l’intervention politique. Claire Nouvian, sa fondatrice, nous explique pourquoi les Aires Marines Protégées ne le sont pas réellement et comment venir à bout des défis politiques pour mieux protéger l'Océan.

L’océan, de quoi parle-t-on ?

LR&LP : L’information représente l’une des grandes missions de BLOOM, alors commençons par préciser notre sujet. Vous avez déclaré sur France Inter en août 2023 que « l’océan est le cœur du réacteur du climat ». Pouvez-vous expliquer cette image ? 

Claire Nouvian : C’est un aspect géo-physique. Il s’agit de la circulation des courants, de l’absorption du CO2 ainsi que des excédents de chaleur et de froid. En fait, l’Océan est un grand climatiseur qui absorbe les excédents de chaleur de la radiation solaire pour les redistribuer et les ventiler au niveau de la planète.

Des courants marins profonds, et des courants de surface, jouent ce rôle de régulation globale. Si on perd cette pompe, des zones entières deviennent trop froides, et d’autres absolument trop chaudes. Cet équilibre est assuré par l’océan.

Mais pour que cela fonctionne, il faut que l’eau soit froide et dense en sel. Quand on réchauffe l’océan, on empêche la circulation profonde. En fermant le robinet d’eau froide, on perd l’enfoncement des masses d’eau à partir des pôles. D’autre part, quand on réchauffe la planète, on fait fondre les glaces continentales – donc les glaciers, la glace Antarctique… – donc on dissout le taux de salinité de l’océan.

D’une part l’eau devient trop chaude pour couler, d’autre part elle n’est plus assez dense. Nous sommes donc en train de perdre les 2 facteurs qui permettent aux eaux froides du pôle de s’enfoncer et d’être redistribuées à d’autres endroits de la planète.

À partir du moment où l’on perd cette régulation, on augmente la fréquence et la violence des phénomènes climatiques qui sont directement liés au masses d’eau et aux masses d’air charriées par l’océan : cyclones, ouragans, tempêtes…etc.

Et c’est sans compter sur les autres phénomènes liés au réchauffement climatique, la montée des eaux, l’acidification, les canicules marines, les mortalités de masse animales…

LR&LP : Comment peut-on agir, au niveau individuel, pour limiter la destruction des écosystèmes marins ?

C.N : Déconsommer, c’est vraiment le plus important. On mange 3 fois trop de produits de la mer, puisqu’on est à 30 kg par personne et par an, et qu’il faudrait idéalement qu’on soit à 10 maximum. Et clairement, ne jamais consommer de poisson si on ne peut pas être absolument sûr et certain de la provenance du poisson et de sa qualité environnementale et sociale. C’est vraiment, vraiment important.

Moi je boycotte tout le poisson industriel.

Et il faut aussi que j’insiste sur le fait qu’il faut voter. Moi je supplie à genoux les gens d’aller voter. On est largement soutenus sur les réseaux, beaucoup de partages, des millions de vues – et on a de la chance d’avoir cet impact.

Mais le premier acte qui nous ferait du bien, ce serait d’avoir plus de députés écolos ou compatibles avec l’écologie. 

On ne peut pas soutenir une ONG et en même temps s’abstenir en disant « tous pourris ». À la fin des fins, la démocratie représentative existe, on ne l’a pas encore remplacée, donc on fait avec ce qu’on a. Et ce qu’on a actuellement c’est une vague d’extrême-droite qui menace l’Europe, les macronistes qui détruisent l’environnement, la droite qui est arc-boutée contre les écolos… Que les gens aillent voter, n’importe quoi à gauche de Macron, mais qu’ils aillent voter.

Claire Nouvian de profil devant une image de bateau

Claire Nouvian – Crédit : Iris Brosch

Enjeux politiques et législatifs

LR&LP : La pêche industrielle se pose comme la première cause de destruction des océans. Pourtant elle a un impact infime sur le PIB national et représente une part minuscule des protéines animales consommées par les humains. Pourquoi continue-t-elle ? De manière générale, pourquoi le Parlement Européen n’adopte-il pas davantage de mesures efficaces pour protéger l’océan ? 

C.N.: Le Parlement Européen est de droite, ce qui fait que c’est très dur de gagner des votes. Il faut prendre très au sérieux cette question. Pour sauver l’océan, allez voter ! On passe nos nuits à essayer de convaincre des députés. Et on ne serait pas dans le même état de fatigue et de stress si on avait plus de députés avec nous.

Je prends l’exemple d’une femme, conservatrice, qui vote à droite. Elle se rend bien compte que Macron est une catastrophe pour l’environnement, mais au moment d’investir un mandat présidentiel pour 5 ans, elle ne se sent pas du tout de voter pour des écolos ou pour un Mélenchon qu’elle trouve excessif. Mais même une personne de droite, au moment des élections européennes, peut se dire « je vais voter pour le climat ».

Donc le vote européen devrait être un vote écologiste. On peut s’appuyer sur un certain nombre de députés, du moment qu’ils sont à gauche de Macron. En revanche, toutes les vagues de droite sont terribles pour l’environnement. Eux mettent en place des stratégies contre-écologistes. Donc il ne faut pas se tromper : du 6 au 9 juin, il faut aller voter aux élections européennes.

LR&LP : En plus d’interdire la pêche industrielle, quelles autres mesures politiques seraient nécessaires pour la protection des océans ?

C.N. : C’est très simple, il faut interdire l’échelle industrielle, donc les bateaux de plus de 25 mètres, qui est une échelle incompatible avec la préservation de l’intégrité des écosystèmes et du climat.

Il faut de toute urgence soutenir la pêche artisanale avant qu’elle ne disparaisse.

Le 24 janvier, on sort une évaluation de la performance entre les flottes de pêche artisanales et industrielles, les résultats sont saisissants. La pêche artisanale est la seule qui soit compatible avec le climat et la biodiversité.

Et il faut évidemment arrêter avec les subventions publiques nocives qui alimentent la destruction de l’océan. Parce que le plus fou dans tout ça, c’est que si on ne payait pas la destruction de l’océan avec de l’argent public, elle n’aurait pas lieu. Des centaines de millions d’euros vont chaque année au soutien des destructeurs, alors que la pêche artisanale reçoit une portion infime des aides publiques. C’est un choix politique.

Ensuite il faut “déchalutiser”, faire en sorte que tous les navires de 12 à 25 mètres soient convertis et les accompagner pour qu’ils arrêtent de faire n’importe quoi.

Et enfin, il faut créer de vraies aires marines protégées. Aujourd’hui les aires marines qu’on a ne sont absolument pas protégées. On chalute, on détruit tout. Il faut que ça s’arrête.

chalut

LR&LP : Comment est-ce possible que le chalutage ait lieu sur des aires marines censées être protégées ? 

Claire Nouvian : Parce que les politiques soutiennent les chalutiers qui font de la pêche partout. En fait, ils exploitent 99% des eaux. L’échelon politique ne les contraint en rien, et ne veut pas leur retirer ne serait-ce qu’une toute partie de l’océan pour le laisser respirer.

Le soutien au lobby industriel est délirant. Au-delà de ce que vous imaginez. On est sur des échelles de soutien et de corruption qui nous échappent. 

Je pense que personne n’arrive vraiment à en prendre la mesure. Le secteur est immensément corrompu, la pêche industrielle est une mafia. Ils ont d’ailleurs des méthodes de barbouzes. Ils nous menacent, nous intimident, et ils intimident les politiques aussi.

LR&LP : Et en l’occurrence, sur les aires marines protégées, aucun réel contrôle n’est mis en place ? 

Il n’y a même pas de loi en fait. Il n’est même pas interdit de détruire les AMP. On aurait une loi qui dirait : interdit de chaluter, de passer avec des bulldozers… mais ce n’est même pas le cas. Il n’y a aucun cadre législatif. Il y a 0,005% de la façade atlantique qui est protégée.

LR&LP : Où peut-on trouver des produits de la pêche artisanale, si on veut éviter de soutenir la filière industrielle ? 

On trouve assez peu de poissonneries vertueuses. Il y en a quelques-unes, mais il faut faire un effort, vraiment chercher. Si vous allez chez votre poissonnier, vous allez peut-être trouver du poisson de ligne, mais très peu. Il faudrait qu’on ait un réseau de poissonneries vertueuses.

LR&LP : La France possède le deuxième domaine maritime mondial, notamment grâce à ses départements d’outre-mer. Pour une île comme Mayotte par exemple, quelles mesures faudrait-il adopter pour protéger la barrière de corail, qui commence à être envahie de déchets plastiques ? 

Le corail aura disparu bien avant qu’on ait réglé le problème du plastique. 90% des récifs coralliens auront disparu d’ici 2050 à cause de l’acidification. Donc si vous voulez sauver les récifs il faut arrêter d’émettre du CO2, tout de suite. Toute autre forme d’action me paraît être comme le tonneau des Danaïdes, que vous remplissez alors qu’il est percé.

Les récifs coralliens sont actuellement condamnés par le fait qu’on ait décidé de ne pas agir sur le réchauffement climatique. C’est ce qu’a confirmé la dernière COP 28.

Claire Nouvian, un combat de 20 ans

LR&LP : C’est en 2001, suite à votre visite de l’Aquarium de Monterey, que vous découvrez le manque de recherches scientifiques sur les océans et de législation quant à leur exploitation. Quel regard portez-vous à présent sur cette période, et sur le chemin parcouru

Je m’en souviens très bien. Je suis un peu obsédée par l’efficacité et par les actions stratégiques. J’aime pas trop perdre mon temps. Donc le regard que j’ai se porte plutôt sur mon équipe, qui m’impressionne. Je suis entourée de gens que je trouve vraiment géniaux. Donc c’est peut-être ce que j’ai le mieux réussi : m’entourer de gens avec un talent et une éthique hors normes.

LR&LP : Pascal Praud, Elisabeth Levy, Pascal Bruckner…vous avez été plusieurs fois confrontée lors de débats sur l’écologie à des personnes niant l’urgence de la situation environnementale. Quel est votre regard sur leur position ? Avez-vous encore l’énergie de continuer à participer à ce genre d’échange

Je crois que non. C’est une perte de temps. Ce sont des personnes qui défendent leurs privilèges, sans un gramme d’empathie. Il y a une forme d’indécence que je trouve trop forte. Ils sont indécents, inintéressants et dangereux. L’absence d’empathie est à la racine de la destruction du monde et des autres. Je la trouve intolérable.

LR&LP : Avez-vous déjà été tentée de quitter la scène ?

Je suis allée un peu trop loin niveau fatigue, plusieurs fois. Mais découragée, j’ai envie de dire « oui, tous les jours » et « non, tous les jours ». Et le « non » l’emporte parce que le besoin d’action est trop grand.

De toute façon, on arrive au bout d’un chapitre. On a détruit quasiment tous les animaux sauvages sur Terre. On est en train de détruire le climat. On a détruit le principe de paix qu’on avait construit après la Seconde Guerre mondiale. Et maintenant on détruit même le principe de solidarité, puisqu’il existe maintenant des « délits de solidarité ».

Donc je pense qu’on a tout à inventer, tout à reconstruire. Je ne peux pas dire que je sois rassurée par les jeunes. J’ai une espèce de biais de perception parce que les jeunes autour de moi, dans mon équipe, sont des gens formidables. Si tous les jeunes étaient à leur image, je ne me ferais aucun souci pour le monde à venir.

Mais je vois qu’il y a plein de jeunes qui n’en ont absolument rien à faire, qui sont dans le consumérisme, et même dans une forme de violence individualiste assumée. Je trouve que la jeunesse est très mal formée, globalement. J’ai l’impression qu’on n’a pas gagné la bataille à cet endroit-là. Et en plus ils s’abstiennent, ça me rend dingue. Il n’y en a que 25% qui vont voter, sur la tranche qui va jusqu’à 25 ans.

LR&LP : Qu’est-ce qui vous donne de l’énergie ? 

Le besoin d’agir. Face à un monde aussi injuste, je ne peux pas rester les bras croisés. Si cela n’avait pas été l’Océan, cela aurait été autre chose.

LR&LP : Et si vous aviez fait autre chose que BLOOM, qu’est-ce que ça aurait été ? 

Je me serais sans doute occupée des oiseaux, ou des enfants. Surtout des violences sexuelles faites aux enfants je pense. De faucher la toute prime jeunesse dans son état le plus vulnérable, ça me dévaste. Je pense que ce combat m’aurait écrasée, par contre, c’est trop dur. Mais je le soutiens de tout cœur.

LR&LP : Un mot pour conclure ? 

Claire Nouvian : On va avoir besoin de tout le monde pour enclencher un changement structurel profond, dans notre rapport à l’océan. Pour protéger l’océan, il suffit d’arrêter de le détruire.

Comme on a la conférence des Nations Unies sur l’océan en juin 2025 qui est accueillie par la France, et que Macron veut en faire une « COP Océan », on a vraiment besoin de tout le monde pour que pendant un an et demi, on se mobilise. Il faut qu’il fasse ce qu’il faut pour l’océan, pour le climat, pour nous tous.

Et en février on sort un classement des groupes politiques en fonction de leurs performances écologiques au Parlement Européen. Il faut qu’un maximum de personnes soient au courant, pour voter en conscience.”

Marine Wolf

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