L’amnésie écologique est l’un des principaux facteurs d’inaction face à la destruction du vivant. Pour lutter contre ce phénomène, l’association Mémoire verte œuvre pour favoriser le dialogue intergénérationnel à Nîmes.
L’étiolement du dialogue entre les générations
L’amnésie écologique désigne l’oubli progressif de l’état antérieur des écosystèmes, au fur et à mesure de leurs dégradations par l’action humaine. Elle conduit à minimiser la perception de nos impacts sur l’environnement et favorise l’inaction face à la destruction du vivant.
Aujourd’hui, cet oubli est favorisé par l’accélération des dégradations environnementales et une déconnexion croissante avec la nature.
« On passe beaucoup moins de temps dehors, observe Florian Messador, co-fondateur de l’association Mémoire verte avec Manon Poitevin, diplômée d’une licence de psychologie et salariée de l’association de cohabitation intergénérationnelle La Logitude.
C’est dû aux écrans qui attirent notre attention, et nous découragent complètement de sortir, mais aussi au fait qu’on ait vécu une phase de confinement. Il y a aussi le fait que la nature disparaisse autour de nous, donc pourquoi sortir ? ».
Pour ce diplômé d’une licence d’écologie, l’amnésie environnementale est aussi favorisée par l’étiolement du dialogue entre les générations.
« Les catégories d’âge sont de plus en plus découpées les unes par rapport aux autres, explique-t-il à La Relève et La Peste. Il y a beaucoup moins de liens et des sujets sont de moins en moins évoqués entre les générations, notamment celui de l’environnement. Des ruptures sont abyssales du fait de l’accélération de notre société, des technologies. Les personnes âgées détiennent un savoir qui va disparaître si on ne fait pas l’effort de le recueillir »
Les rôles-clé des plus âgés dans la protection du vivant
En plus de l’importance de leur mémoire environnementale, les plus âgés jouent aussi d’autres rôles-clé dans la préservation du vivant. Ainsi, Florian bat en brèche l’idée selon laquelle la défense de la nature serait l’apanage de la jeunesse.
« Jusqu’à présent, on n’a pas d’adhérents qui soient jeunes, mis à part nous, indique-t-il. Le secteur associatif est très “tête blanche” : on est sur des moyennes d’âge assez élevées ».
En France, 1 bénévole sur 3 est retraité. Aux yeux de Florian Messador, la surreprésentation des personnes âgées sein de Mémoire Verte découle entre autres causes de leur plus grand contact avec la nature au quotidien : car elles possèdent la majorité des jardins en ville.
La possession de ces espaces refuges pour la biodiversité par une population vieillissante menace leur pérennité. En effet, le décès des propriétaires conduit fréquemment au découpage ou à la revente des parcelles, pour des projets de construction d’immeubles ou de maisons individuelles.
De façon plus générale, la détention des jardins par les anciennes générations rappelle leur important pouvoir en matière de protection du vivant.
« La capacité d’agir sur l’environnement, qu’elle soit positive ou négative, est conditionnée par la richesse, et le capital est généralement détenu par des personnes plutôt âgées ».
Deux générations comparent leurs souvenirs – Crédit : Mémoire Verte
Favoriser les rencontres intergénérationnelles
Très investie sur le sujet de la sauvegarde des jardins nîmois, l’association Mémoire verte souhaite associer les différentes générations pour garantir « la préservation du bien commun ».
Considérant les questions écologiques sur le temps long, l’association œuvre notamment à la sauvegarde des souvenirs associés aux changements environnementaux. À travers l’animation « Esquisses et souvenirs », Florian et Manon tentent d’ouvrir un dialogue intergénérationnel.
Lors de cet atelier, chaque participant reçoit un dessin qu’il doit observer attentivement sans le montrer aux autres participants. L’objectif est de faire émerger un souvenir en lien avec l’image. Chaque participant raconte ensuite son souvenir : ceux ayant des récits similaires se rassemblent alors en groupe et comparent leurs images.
« Elles fonctionnent par triptyque, explique Florian. Sur les trois images, on voit les paysages évoluer dans le temps. »
Si ces dessins sont relativement similaires, ils comprennent aussi d’importantes différences : dans un groupe, un même paysage comprend plus ou moins de pollution lumineuse. Dans un autre, le trait de côte recule d’un dessin à l’autre et une maison menace de s’écrouler dans l’océan.
Les dessins d’un troisième groupe représentent le même paysage de campagne légèrement vallonné, mais à différentes étapes du remembrement : une première image montre de nombreuses haies, bosquets et cours d’eau et signale la présence de nombreux chants d’oiseaux. Une deuxième montre un net recul des arbres et des haies. Une troisième présente une campagne entièrement défrichée et dépourvue de vie sauvage : de grands champs ouverts, un cours d’eau asséché.
Différentes émotions face à la destruction du vivant
Présentée en un an à plus de 200 personnes de 17 à 90 ans, cette animation permet d’ouvrir un dialogue apaisé sur les changements environnementaux entre des personnes de différentes générations.
« L’approche par le dessin et par le souvenir permet d’aborder ces lourds sujets de manière plutôt légère et de ne pas brusquer les gens avec une approche technique, même si les sujets techniques arrivent naturellement après sur la table, expliquent les fondateurs de l’association à La Relève et La Peste.
« Les émotions sont davantage sollicitées que l’intellect, ce qui facilite l’appropriation des thématiques environnementales ».
L’animation se termine sur un temps d’échange collectif : l’occasion d’aborder les thématiques évoquées lors des échanges en petits groupes et de favoriser la transmission de la mémoire environnementale. Ces échanges permettent aussi d’observer les différences de ressentis face à ces changements.
« Chez les plus de 70 ans, il n’y a pas trop d’émotions négatives associées à ces destructions, observe Florian. Pour elles, c’est déjà acquis que cet environnement a évolué et pas forcément dans le bon sens. C’est quelque chose qu’elles associent au monde, à la technologie, à un gros tumulte de changements dont la nature fait partie.
Les personnes qui souffrent le plus d’être face à l’évolution brutale de notre environnement, ont plutôt entre 30 et 50 ans. Elles ont des souvenirs d’une biodiversité très présente dans leur enfance et bien conscience qu’elles n’ont pas pu transmettre ça à leurs enfants. Il y a aussi évidemment beaucoup de sentiments d’impuissance, notamment chez les plus jeunes : il y a un sentiment d’apocalypse ».
Prochainement, Florian prévoit de collecter en vidéo des souvenirs de personnes âgées. Il projette des interventions dans les écoles pour transmettre aux plus jeunes cette mémoire essentielle, mais aussi des balades avec des enfants et des personnes âgées, pour leur présenter les évolutions de l’environnement au sein de leur village.
Une belle manière de lutter contre l’amnésie écologique.
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