Une vingtaine d’écolieux ont décidé d’instaurer une Obligation Réelle Environnementale sur leur site. Le but : pérenniser leur travail en protégeant de toute destruction la biodiversité pour une durée allant jusqu’à 99 ans.
Une ORE pour pérenniser un écolieu
Le Festival Oasis, organisée par la coopérative du même nom, a été l’occasion de poser une question fondamentale : comment sortir les écolieux des logiques capitalistes marchandes afin de pérenniser tout le travail accompli ? Parmi les solutions trouvées par la Coopérative Oasis et les écolieux qui en font partie : la mise en place d’Obligations Réelles Environnementales, dites ORE.
Ce dispositif ORE permet aux propriétaires de biens immobiliers de mettre en place une protection environnementale sur leur bien. Il passe par un contrat librement établi entre le propriétaire et son cocontractant, qui peut être une collectivité publique (État, communes, départements, régions…), un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement.
Ces mesures de protection ou de restauration perdurent durant toute la durée prévue au contrat, peu importe les éventuels changements de propriétaire. Ce dispositif de protection peut atteindre une durée de 99 ans et a le vent en poupe. Entre juillet 2022 et décembre 2023, 130 ORE ont ainsi été enregistrées en France. Dans le cas des écolieux se lançant dans cette démarche, le co-contractant est la Coopérative Oasis.
« Un des enjeux des écolieux est de se pérenniser, surtout pour ceux qui ont déjà plus de 20 ans d’existence. Chaque écolieu est bâti grâce à beaucoup d’énergie humaine, de soutien financier, de travail bénévole, etc. L’idée, c’est de les sanctuariser le plus possible en créant des communs et préservant l’amélioration écologique des lieux. De nombreuses personnes nous ont parlé des ORE. Pour aider les écolieux à mettre en place une ORE, la Coopérative Oasis a décidé de prendre en charge leur coût et leur suivi » explique Mathieu Labonne, le directeur de la coopérative Oasis, pour La Relève et La Peste
Au sein de l’équipe de la Coopérative Oasis, un salarié est chargé de suivre les projets ORE des écolieux. D’ici la fin de l’année, une vingtaine d’ORE vont ainsi être mises en place, dont six ont déjà été signées lors du festival Oasis en présence du notaire Laurent Aguilar, fin août 2024. Le critère principal est la taille des lieux et leur intérêt écologique, « comme le village du Bel-Air en Bretagne qui comprend une forêt et une zone humide » précise Mathieu Labonne.
« Bel-Air est un village de 10 personnes et 2 enfants en Bretagne Centre avec 15ha de terrain, une biodiversité très riche, au bord d’un lac de 40ha. Notre ADN est de prendre soin du lieu et on voulait que cela perdure, au-delà de nous et de notre temps d’occupation » explique Olivier, l’un des habitants, lors de la cérémonie de signature de l’ORE
Des motivations diverses
En plus du suivi de la Coopérative Oasis, les écolieux sont également invités à suivre les évolutions des ORE de leurs homologues voisins. Une façon de prendre soin du Vivant en renforçant les liens entre écolieux qui a tout de suite fait sens pour certains d’entre eux, à l’image des Jardins de Pitorre et des Coucarels, un écolieu nourricier.
« On était deux au début, puis huit aujourd’hui. Il y a deux maraîchers, une brasserie, une champignonnière, une boulangère. Notre voisin est l’archéosite de Pitorre. Sur 30ha, ils ont construit des cabanes suite à des fouilles en imaginant les bâtiments qu’il pouvait y avoir à l’époque. Ils ont planté des milliers d’arbres depuis 40 ans. Ces deux ORE sont un moyen de tisser un pont entre nos lieux. Jérôme n’a pas de transmission donc pas de succession » explique Xavier, l’un des fondateurs des Coucarels, à Caraman, près de Toulouse
De la même façon, le village de Pourgues et l’écovillage de Sainte Camelle, distants de seulement 19km, pourront renforcer leurs liens. La colline sur laquelle se situe le village de Pourgues a d’ailleurs été un terrain de moto cross, quelques années avant que le collectif n’en fasse l’acquisition, et aurait pu devenir un terrain de quad.
« Nous sommes bien fiers et heureux de cette ORE. Le village de Pourgues a une quarantaine d’habitants. On accompagne nos enfants pour qu’ils vivent une vie plus épanouissante avec une éducation à la démocratie. Avec le passif du lieu, on eu a envie de prendre cet engagement sur un siècle. De dire que le village de Pourgues est un lieu qui cultive la biodiversité, respecte l’environnement et s’engage à l’aggrader en plantant des arbres » développe Ramin Farhangi
A Sainte Camelle, le choix a été fait de protéger les 18ha du site, dont 10ha de forêts, en s’engageant à préserver les mares, les haies, les arbres, la biodiversité et interdisant l’utilisation de de produits phytosanitaires. Un principe également appliqué par la Ferme Légère, lieu de 10ha et vieux de bientôt 10 ans, dans le Béarn près de Pau.
« Notre vocation est d’expérimenter un mode de vie soutenable, c’est à dire suffisamment écolo pour être en-dessous de l’empreinte écologique d’une planète. On a donc trouvé le principe d’ORE très intéressant » explique Marc, de La ferme Légère
In fine, l’ORE permet de sanctuariser des terres du béton, protéger la biodiversité qui s’y épanouit, mais surtout remettre au goût du jour la notion de « communs » à un moment où l’accès à la propriété est de plus en plus difficile pour une majeure partie de la population française. Selon l’INSEE, 3,5% des ménages possèdent à eux seuls la moitié des logements que des particuliers louent en France.
« On a l’impression que la notion de propriété privée existe depuis toujours. En réalité, la propriété privée était réservée à la noblesse avant la Révolution Française (soit 2% environ de la population). C’est cette dernière, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a créé le droit de propriété. La multiplication des propriétaires s’est accompagnée de la perte des propriétés communales : l’État s’est appauvri et a vendu les propriétés publiques. Restriction budgétaire, spéculation, on a une marchandisation de la propriété privée avec une logique spéculative de marché » rappelle le notaire Maître Laurent Aguilar
De quoi donner encore plus de sens à la mise en place d’ORE. Pour Hugues, un généreux ancien président d’une association qui a donné son bien, le Centre de l’Aube, à la Coopérative Oasis pour y installer un projet social : « plutôt qu’une Obligation, j’aurais préféré signer un contrat d’Enthousiasme Réel Environnemental ».
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