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Cancers des enfants : le combat des familles pour la vérité en Loire-Atlantique

« Le problème, c'est que les institutions actuelles ne nous considèrent pas comme des personnes avec une expérience et des connaissances qui peuvent être utiles au débat public sur les pesticides mais comme des adversaires. C'est absolument insupportable »

Entre 2015 et 2021, vingt-cinq cancers d'enfants ont été déclarés autour de Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique). Dix ans après, les familles des victimes, à l'origine de la création du premier Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale, continuent de se battre pour comprendre les risques environnementaux auxquels leurs enfants sont exposés.

« Aucun parent ne peut se préparer à ce que son enfant ait un cancer. C’est impossible. » Alban, le fils de Marie Thibaud, a quatre ans en 2015 lorsque les médecins lui diagnostiquent une leucémie.

Pour la famille installée dans le pays de Retz (Loire-Atlantique), débutent alors de longues années de lutte contre le cancer, jusqu’à la rémission du jeune garçon. Une rémission qui date d’il y a désormais plusieurs années. Pourtant, dans la voix de la mère de famille, c’est comme si c’était hier.

« C’était l’horreur absolue, il n’y a pas d’autre mot. » L’horreur, c’est celle vécue par son fils bien sûr, mais aussi celle traversée par les vingt-quatre autres enfants et adolescents de Sainte-Pazanne et des communes alentour, au sud de Nantes, à qui un cancer a également été diagnostiqué entre 2015 et 2021. Depuis, sept sont décédés.

Pour comprendre cette situation hors-norme, il faut remonter au printemps 2016 dans les couloirs du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes. Marie Thibaud accompagne son fils au service d’oncologie pédiatrique pour le suivi de son traitement quand elle croise une petite fille qu’elle connaît.

Elle aussi est malade, elle aussi est scolarisée dans le même établissement que son fils, à l’école Notre-Dame-de-Lourdes, à Sainte-Pazanne. Quelques mois plus tard, Marie Thibaud croise à l’hôpital un troisième enfant qu’elle connaît, lui aussi atteint du cancer, lui aussi originaire du Pays de Retz.

« Un excès de leucémies chez les enfants »

Dans le service d’oncologie pédiatrique, on parle « de hasard » ou de « fatalité ». Rien qui puisse satisfaire Marie Thibaud, qui fait des pieds et des mains pour tenter de comprendre ces cas de cancers pédiatriques qui s’accumulent dans son entourage. Elle regroupe les cas similaires, discute avec des médecins et fait, en 2017, un premier signalement auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire, qui saisit Santé publique France (SPF) afin de mener une enquête épidémiologique.

Rapidement, les résultats tombent. Les familles du Pays de Retz apprennent qu’il existe bien « un excès de leucémies (…) chez les enfants de moins de 15 ans » sur leur territoire. Bientôt, SPF relance les recherches, mais conclut à l’automne 2019 à l’impossibilité d’identifier une cause commune pouvant expliquer la survenue de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne.

Le dossier est clôturé, avant une dernière réouverture en 2020. Suite à l’étude de la distribution géographique des cancers d’enfants en Loire-Atlantique entre 2005 et 2018, l’analyse statistique conclut in fine à « l’absence d’un risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département ». Le dossier est refermé. Des conclusions qui, sans surprise, sont loin d’apporter satisfaction aux parents des enfants malades.

« Ils nous disent qu’étant donné qu’ils n’ont pas trouvé de cause unique au cancer de nos enfants, ils n’engageront pas de recherches plus approfondies sur les causes environnementales des cancers », fustige Marie Thibaud, jointe par téléphone pour La Relève et La Peste.

Un Institut unique en son genre

Si les autorités sanitaires clôturent le dossier, il n’en est rien des familles.

« Rien ne nous rendra les enfants malades ou décédés, mais on se battra jusqu’au bout pour que ce qu’ils ont vécu n’arrive pas à d’autres », insiste Marie Thibaud dans le film documentaire Contrepoisons, un combat citoyen, consacré au combat des familles et disponible en replay sur France TV.

En mars 2019 déjà, les familles ont créé le collectif Stop aux cancers de nos enfants (SCE) pour alerter l’opinion publique sur les cancers pédiatriques. Depuis, le collectif a également conduit à la création en 2023 de l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale (Icrepse).

Unique en son genre, l’Institut est composé d’un conseil d’administration, d’un conseil scientifique et d’un conseil citoyen réunis autour de plusieurs objectifs parmi lesquels donner aux décideurs les informations pertinentes pour améliorer l’état sanitaire et environnemental, ainsi que sensibiliser la population à la santé environnementale.

De gauche à droite : Laurence Huc, présidente ICRePSE ; Michel Ménard, président département Loire Atlantique ; Marie Thibaud, secrétaire ICRePSE ; Solenn Le Bruchec, directrice ICRePSE ; Matilda chantereau, trésorière ICRePSE ; Chloé Girardot Moitié, vice présidente département Loire Atlantique

Travailler sur l’« effet-cocktail »

« Les institutions officielles sont obsédées par l’idée de trouver un seul facteur de risque à l’origine des cancers pédiatriques, ce qui n’a pas de sens », entame Annie Thébaud-Mony pour  La Relève et La Peste. Sociologue du travail et de la santé reconnue pour son travail contre l’amiante, cette dernière est membre de l’Institut.

« A l’inverse, les cancers sont le fruit d’un ensemble de processus complexes d’agressions de l’organisme par des substances toxiques, qu’il faut réussir à comprendre. Ce qu’on cherche, c’est recenser toutes les sources possibles de facteurs de risques qui ont pu conduire à ces cancers extrêmement précoces chez les enfants. »

Pour établir la « poly-exposition » (aussi appelée « effet cocktail ») des enfants à des facteurs de risques multiples, l’Institut travaille sur différents aspects, parmi lesquels les polluants trouvés dans leur environnement et classés « cancérogènes avérés pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) : des pesticides comme le lindane (pesticide interdit en France), le radon (gaz radioactif et incolore) ou encore les champs électromagnétiques.

A terme, l’Institut entend publier un rapport scientifique, afin de « faire des préconisations précises qui permettent de supprimer définitivement de l’environnement l’ensemble des substances qu’on sait toxiques, insiste Annie Thébaud-Mony. Le problème, c’est que les institutions actuelles ne nous considèrent pas comme des personnes avec une expérience et des connaissances qui peuvent être utiles au débat public sur les pesticides mais comme des adversaires. C’est absolument insupportable », siffle-t-elle.

Un des ateliers en santé environnementale avec des membres de l’équipe de Stop aux Cancers de nos enfants, la directrice de l’institut et des citoyens

Délimiter l’ensemble des polluants

A plus court-terme, l’Institut va dresser une cartographie de l’ensemble des polluants environnementaux de la zone, avant la réalisation d’« une première bio-imprégnation à l’automne 2025 sur une centaine d’enfants, via des analyses de cheveux et d’urine, afin de voir si les polluants qui auront été cartographiés se retrouvent dans le corps des enfants », détaille Marie Thibaud.

Pour ce faire, l’Institut vient de lancer un appel aux dons, avec pour objectif de rassembler 100 000 euros.

En parallèle, Stop aux cancers de nos enfants a engagé un recours devant le tribunal administratif de Nantes afin d’avoir accès aux registres des cancers de Loire-Atlantique et de Vendée, ainsi qu’à l’ensemble des analyses faites en lien avec l’environnement sur le territoire. Une démarche appuyée par Me François Lafforgue, avocat spécialisé en santé environnementale et connu notamment pour les dossiers Monsanto et des algues vertes.

Des combats menés de front par les familles, et qui demandent « beaucoup de travail et de temps, confesse Marie Thibaud, mais il s’agit de la vie de nos enfants. On n’a pas le droit de lâcher. »

D’autant que réussir à comprendre « les liens entre les polluants de notre environnement et les conséquences sur notre santé dans le secteur du Pays de Retz engagera des actions de protection qui permettront de légiférer pour protéger la santé de nos enfants », espère la mère de famille.

Une protection qui pourrait permettre de préserver la santé des habitants de Charente-Maritime, du Haut-Jura ou de l’Eure, où des clusters de cancers pédiatriques ont également été déclarés.

Cecile Massin

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