En ce début d’été, deux journalistes de La Relève & la Peste se sont embarqués dans un tour de Bretagne à vélo. L’objectif de cette itinérance : partir à la découverte d’initiatives autour des low-tech. Les low-tech ? Ce sont – pour reprendre la définition du Low-tech Lab, qui fait référence en la matière – des technologies à la fois utiles, accessibles et durables, donc particulièrement adaptées aux enjeux actuels. C’est aussi une véritable philosophie de vie, puisqu’en réfléchissant sur l’impact environnemental des outils du quotidien, il s’agit de repenser sa manière de vivre d’un point de vue global. C’est enfin un concept émergent, qui prend de plus en plus d’ampleur, et suscite déjà un vif enthousiasme et de nombreux débats. Une aventure de Marine Wolf & Elouan Ameline.
Cinquième étape : la low-tech en ville
Nous quittons Concarneau, le bruit des goélands et le Low–tech Festival pour rejoindre Nantes. Quelques coup de pédales et nous voilà arrivés aux portes de la Bretagne. Une question sous-tend cette ultime étape de notre périple : comment concilier vie urbaine et low-tech ?
Bricolowtech, située dans le quartier de Clos-Toreau au Sud de la ville, nous propose une première réponse. Nous nous rendons en début d’après-midi au parc de la Crapaudine, là où le collectif cultive un petit potager parmi les parcelles du jardin partagé. Le cadre est idyllique, un véritable petit coin de nature en ville. Lorsque nous arrivons, Claude Legros, coordinateur de l’association, est en train de réaliser la préparation pour un atelier sur le bokashi.
“Bokashi signifie « matière organique fermentée » en japonais. L’idée est de faire fermenter ses déchets organiques pour pouvoir les conserver », explique-t-il.
Le bokashi se présente comme une alternative au compost, utilisant le processus de lacto-fermentation pour conserver les déchets organiques de la cuisine.
“Ce qui fait fermenter, c’est un ensemble : les bactéries, le son de blé – qui est un support pour les bactéries – et la mélasse – leur nourriture », précise Claude Legros.
Une composante essentielle du processus est l’anaérobie du système. L’utilisateur doit veiller à utiliser un seau étanche qui sera refermé après chaque utilisation. Une fois le contenant rempli, on le laisse reposer deux semaines pour s’assurer que le contenu réagisse.
“Ensuite cette matière prédigérée pourra être mise directement dans le sol. En fait, on fabrique de la nourriture pour la faune et la microfaune du sol”, explique Claude Legros à l’auditoire, visiblement séduit par ce procédé plus adapté à la ville que le compost, puisque peu encombrant et sans odeur.
Mutualiser les ressources
L’atelier terminé, Claude Legros raconte la naissance de l’association. Nouvel arrivant dans la région avec sa compagne Anne-Sophie Leroux, le couple cherche un moyen de créer une vie de quartier. C’est alors là que naît Bricolowtech, il y a 10 ans.
“Le cœur de l’asso est de mutualiser les ressources du quartier, en mobilisant les habitants pour qu’ils partagent leurs savoir-faire”, résume Claude Legros.
Clos-Toreau étant un quartier prioritaire, l’aspect social se pose comme un réel enjeu. En tant qu’association de quartier, Bricolowtech œuvre ainsi au développement d’un réseau d’entraide.
“Sur un fonctionnement sociétal low-tech, c’est intéressant de mutualiser les efforts pour créer un réseau qui fonctionne. On a promu la marmite norvégienne, les toilettes sèches. On a animé des ateliers de fabrication de tawashi, de lessive zéro-déchet. Le côté low-tech basique, lié à la vie domestique, que tout le monde peut faire sans être bricoleur”.
S’interroger sur l’impact
Après avoir observé comment Bricolowtech s’efforce de fédérer un quartier autour de la low-tech pour tendre vers un mode de vie durable, nous partons à la rencontre d’APALA. Cette association, dont le nom provient de la formule « Aux Petits Acteurs L’Avenir », agit elle aussi au cœur de la ville.
Celle-ci a établi ses quartiers dans l’ancien MIN – Marché d’Intérêt National – de Nantes, aujourd’hui rebaptisé “l’Agronaute”. Le lieu héberge plusieurs entreprises et associations rassemblées autour de la transition écologique.
Nous déambulons parmi les espaces des différents acteurs du lieux. Là, un atelier-bois partagé rassemble des bricoleurs amateurs. Ici, des vélos et leurs remorques reposent entre deux récoltes de déchets. Près du bar associatif, des plantes d’intérieur poussent dans les bacs d’une ferme urbaine.
Jonathan Gueguen, coordinateur d’APALA, nous accueille et nous explique que l’association agit dans trois grands domaines : l’alimentation, l’énergie et la mobilité.
“L’objectif est toujours le même : sortir une solution qui a moins d’impact environnemental que ce qui existe », précise-t-il. “En fait, il y a beaucoup de fausses bonnes solutions. Dans l’association, on essaye vraiment de démêler tout ça. Si tu veux réduire l’impact, il faut que ça le fasse pour de vrai, et donc te demander à chaque fois : est-ce que c’est réalisable, souhaitable, réplicable ?”
Durant l’année les bénévoles de l’association impliqués autour des questions de mobilité se sont par exemple renseignés sur les cadres en bambous pour équiper les vélos comme alternative aux cadres en aluminium. Leurs recherches ont montré que contrairement à ce qu’ils croyaient, les résultats des analyses de cycle de vie du Bambou versus celle de l’aluminium ne sont pas plus avantageux pour l’environnement de manière significative sauf pour l’épuisement de l’eau.
L’enjeu du design
Charlotte Kaplan, étudiante en design, a pour sa part rejoint APALA dans le cadre d’un stage. Sa mission : rendre la low-tech plus attractive.
“Il y a besoin d’une cohésion avec le design au niveau industriel, pour que les gens se l’approprient. Pour moi les deux doivent se compléter de manière viable et locale. Quand tu vas dans des maisons d’édition, ils portent une attention énorme aux détails, aux matières, aux couleurs… Pourquoi on n’arriverait pas à adapter ça dans la low tech ?”, interroge la jeune fille.
L’un des projets dans lequel s’investit Charlotte est le mur à inertie, un assemblage de BTC – brique de terre crue compressé – qui apporte de l’inertie à l’habitat. La terre permet aussi de réguler l’humidité d’une pièce grâce à sa capacité hygrométrique naturelle.
Dans ce projet, le design se pose comme un moyen de rendre le concept accessible. Une des pistes est de créer un kit tout en un qui permettrait à chacun d’installer le mur chez soi en moins d’une journée. Une manière de rendre la low-tech accessible et attractive.
Aux étudiants l’avenir
Une grande part des activités d’APALA s’oriente autour de la recherche, qui constitue une passerelle privilégiée avec le milieu universitaire. Sous son impulsion et celle du Low-tech Lab, une option « ingénierie des low-tech » vient d’être ouverte à Centrale Nantes.
“On proposera plusieurs modules, comme l’initiation à la recherche scientifique par exemple. C’est hyper important dans la low-tech pour que ce soit pris au sérieux, que ce soit solide. On abordera aussi l’électronique low-tech, parce qu’on en a besoin partout et que c’est un sujet très complexe dans la low-tech, vu que ça vient un peu à contre-sens de l’idée de départ. Et on parlera bien sûr d’efficience alimentaire. Il n’y a pas du tout de cours là-dessus à Centrale, parce que c’est une formation ingénieur généraliste et que l’alimentation passe souvent à la trappe. Alors que dans la low-tech, c’est largement mis en avant” précise Jonathan Gueguen.
APALA fait ainsi le pari de donner le goût à ces étudiants le goût de la recherche scientifique. Une proposition qui fait directement écho aux questionnements qui agitent le milieu universitaire. La low-tech, une réponse à la quête de sens d’une génération ?
Retrouvez les précédents épisodes de l’aventure à vélo de Marine et Elouan :
Épisode 1 : Récup’ et sobriété : les low-tech font leur festival
Épisode 2 : Après 6 ans d’expédition, le voilier-labo des low-tech est rentré en France
Épisode 3 : En Bretagne, des écolieux créent du lien entre habitants grâce aux low-techs
Épisode 4 : INTI promeut une cuisine écologique et solidaire grâce au low-tech solaire
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