Alors que, début février, le tarif des péages a augmenté de 4,75 % en moyenne dans le pays, pour officiellement suivre l’inflation, un rapport du ministère de l’Économie, divulgué en deux temps, dévoile comment les concessionnaires privés d’autoroutes réalisent en fait des superprofits sur le dos du contribuable.
L’existence de ce rapport a été révélée en janvier dernier par le Canard enchaîné. Dans leur article, les journalistes de l’hebdomadaire satirique accusaient le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, d’en avoir « étouffé » la publication.
Datant de février 2021, le document émanait de l’Inspection générale des finances (IGF), rattachée à Bercy, et du service d’inspection du ministère de l’Écologie. En substance, il pointait les profits records réalisés par les concessionnaires, et recommandait de réduire les tarifs des péages de 60 % sur près des deux tiers du réseau autoroutier.
De 7 à 12 %
En 2006, la majorité des autoroutes françaises ont été cédées sous forme de concessions à des entreprises privées, notamment trois groupes, les français Vinci et Eiffage et dans une moindre mesure, l’espagnol Abertis. L’État s’attendait alors à ce que les concessionnaires réalisent des profits de 7,67 % en quinze ou vingt ans, selon les contrats.
Favorisés par la baisse des taux d’intérêt – sur leurs emprunts – et la hausse continue du prix des péages, les actionnaires de ces sociétés devraient en réalité percevoir un taux de rentabilité bien supérieur, que Vincent Delahaye, vice-président du Sénat, évalue à 12 %.
Rapporteur, en 2020, d’une commission d’enquête sur le contrôle des concessions autoroutières, le sénateur de l’Essonne a récemment expliqué que « d’ici la fin des contrats, donc d’ici 2036 », les concessionnaires autoroutiers auront touché « entre 30 et 35 milliards » d’euros, soit au moins un tiers de plus que ce que stipulaient les accords passés avec l’État.
Le gouvernement, promoteur des superprofits
Resté jusqu’ici confidentiel, le rapport de l’IGF a finalement été publié en entier, ce 21 mars, par le site spécialisé Caradisiac et le journal Marianne.
On y découvre que dès 2014-2015, sous la présidence de François Hollande, le gouvernement avait parfaitement conscience que les contribuables payaient ou paieraient à terme, en fonction des cas, des sommes indues aux concessionnaires.
« Emmanuel Macron et Élisabeth Borne, alors respectivement ministre de l’Économie et directrice de cabinet de la ministre de l’Écologie, ont organisé, sinon accepté, la perception de superprofits par les sociétés d’autoroutes », écrivent ainsi les journalistes de Marianne, selon lesquels le gouvernement n’aurait rien entrepris si le rapport n’avait pas fuité.
Vers des concessions plus courtes
Auditionné par les commissions des Finances et du Développement durable de l’Assemblée nationale ce mercredi 22 mars, Bruno Le Maire a déclaré que pour « éviter toute rente », il souhaitait désormais « raccourcir la durée des concessions […] de quelques années ».
De l’aveu même des rapporteurs de Bercy, cette option serait d’ailleurs la seule envisageable d’un point de vue juridique, la baisse des tarifs autoroutiers risquant d’être retoquée par une instance administrative. Il s’agira donc de réviser les contrats pour que leur terme corresponde aux 7 % de bénéfices initiaux.
Également auditionné par l’Assemblée nationale, le ministre des Transports, Clément Beaune a pour sa part demandé au Conseil d’État d’étudier « toutes les options fiscales » et annoncé que des « Assises des autoroutes » seraient organisées d’ici l’été, pour trancher sur le devenir des concessions, dont la forme future sera sans doute plus courte.
Inutile de préciser que l’hypothèse de la renationalisation a été exclue, sans débat, par les deux ministères.
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