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Inédit : des sénateurs tentent de faire passer un projet autoroutier de force

« cela peut faire un préalable qui pourrait être lourd de conséquences. A l’avenir tout PLUI pourrait être modifié par le Parlement et passer par-dessus des enquêtes publiques et des consultations des habitants »

Cela ne s’est jamais vu. Fin janvier, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à modifier directement le Plan Local d’Urbanisme d’une Intercommunalité, pour imposer le projet d’autoroute A412 Machilly-Thonon en Haute-Savoie. Les associations locales opposées à l’autoroute dénoncent une manœuvre antidémocratique qui pourrait créer un dangereux précédent permettant aux élus locaux de se passer de l’avis des citoyens sur les projets d’aménagement du territoire. 

Modifier un PLUI

Le 31 janvier 2023, Gérard Larcher, président du Sénat, voit arriver sur son bureau une proposition de loi quelque peu déconcertante. Portée par les sénateurs LR de Haute-Savoie Cyril Pellevat et Sylviane Noël, celle-ci concerne la modification du PLUI (Plan local d’Urbanisme Intercommunal) du Bas-Chablais (Haute-Savoie) afin d’y introduire le projet autoroutier A412 déclaré d’utilité publique en 2019. 

Une « étrangeté » selon le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon puisque le Parlement n’a, a priori, pas les prérogatives requises pour modifier des plans locaux d’urbanisme approuvés après des consultations citoyennes et des études d’impact environnemental. Le Sénat adopte tout de même la proposition de loi a une extrême majorité, sans trop en débattre.

Le sénateur Salmon alerte : « cela peut faire un préalable qui pourrait être lourd de conséquences. A l’avenir tout PLUI pourrait être modifié par le Parlement et passer par-dessus des enquêtes publiques et des consultations des habitants ». 

Par le passé, des propositions de loi du même type avaient déjà été étudiées par le Parlement mais sur de bien plus grosses structures d’intérêt national et non local.

Lire aussi : Une coalition française lutte contre 55 projets routiers coûtant 13 milliards d’euros d’argent public

Revenons quelques années en arrière. En 2018, Emmanuel Macron prend la parole pour relancer le projet autoroutier, véritable serpent de mer depuis 30 ans, qu’il juge indispensable pour désengorger le trafic dans la région. Une étude d’impact est alors lancée et se conclut par une Déclaration d’Utilité Publique (DUP), la troisième en 25 ans. 

Mais, en 2020, le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal du Bas-Chablais présenté aux habitants omet d’intégrer l’autoroute dans son texte et ce malgré de nombreux avertissements de la MRAE (Missions régionales d’autorité environnementale) d’Auvergne Rhône-Alpes pour y faire figurer l’impact d’un tel projet, notamment environnemental. Le PLUI est adopté sans mention du projet autoroutier.

Pourtant, les collectivités territoriales ont participé à l’étude d’impact précédant le DUP. Ce sont elles qui, via les sénateurs Cyril Pellevat et Sylviane Noël, ont sollicité le Sénat il y a deux semaines pour modifier le PLUI, plaidant « l’erreur », « l’oubli » d’intégration du projet dans celui-ci, ce qui laisse dire à Daniel Salmon que ce procédé est « une tromperie, afin de ne pas consulter les citoyens ». 

Dans les rangs des concessionnaires de l’autoroute figure l’ATMB (Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc) qui compte parmi ses actionnaires le conseil départemental, qui a donc tout à gagner s’il y a construction.

Projet autoroutier en cours – Crédit : France 3 Alpes

Un projet « écocidaire et inutile » ?

Au total, le tronçon autoroutier artificialisera au moins 111 hectares de terre, s’étendra sur 16 kilomètres et traversera « une forêt pleine de zones humides » se désole Elisabeth Charmot, représentante de l’association ACPAT (Association de Concertation et de Proposition pour l’Aménagement et les Transports), auprès de La Relève et La Peste. 

La dernière étude d’impact environnemental datant de 2018, la MRAE (Mission Régionale de l’Autorité Environnementale) insiste sur le fait que la mise en conformité du Plan Local d’Urbanisme impliquerait « une nouvelle étude d’impact sur l’environnement dans chacune des communes traversées, la mise en place d’une procédure d’information et de participation du public, et un vote des élus locaux pour adopter la révision. »

Ces champs agricoles sont menacés par le projet d’autoroute – Crédit : Association Action Abandon Autoroute Chablais

Pour un coût d’au moins 100 millions d’euros d’argent public, le projet entend « désengorger » les routes traversant les communes de Machilly, Bons‑en‑Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon‑les‑Bains, continuerait de « dérouler de vieux projets routiers sans intérêts » selon le sénateur Salmon, avant de conclure : « dans le contexte environnemental actuel il faut trouver des alternatives au tout voiture. »

« Le gros du trafic ce sont des ultras-locaux qui traversent les villes pour emmener leurs enfants à l’école ou pour aller travailler, donc des gens qui n’utiliseront pas l’autoroute », explique Elisabeth Charmot. Projet qu’elle juge de ce fait peu utile. 

Bouchon à Bonne – Crédit : Association Action Abandon Autoroute Chablais

De son côté, Daniel Salmon s’inquiète de la création d’un trafic induit : 

« On sait très bien qu’à chaque fois que l’on fait une nouvelle infrastructure routière, cela conduit à une augmentation du trafic routier. » 

La ville frontalière de Genève reste également fermement opposée au projet qui serait mis en concurrence avec le Léman Express, ligne de train régional transfrontalière mise en circulation en décembre 2019 et desservant la totalité du territoire avec 6 lignes et 45 gares dont Evian, Thonon, Genève ou encore Annecy.

Les associations locales (ACPAT, 3AC, DCPH, ATTAC Chablais, Confédération paysanne de Haute Savoie) ont assuré vouloir « contester la loi en justice puisqu’elle ouvrirait la porte au passage en force d’autres projets locaux frappés d’irrégularité ou de non-conformité. » Adoptée au Sénat, la proposition de loi arrivera prochainement à l’Assemblée lors d’une niche parlementaire, sûrement menée par les Républicains. 

Dans le cas où elle serait adoptée, le sénateur Daniel Salmon a d’ores et déjà sollicité ses collègues écologistes de l’Assemblée nationale pour, pourquoi pas, interpeller le Conseil d’État et l’interroger sur la validité constitutionnelle de cette procédure.

Crédit photo couv : Le contournement de Thonon – siac Chablais

Florian Grenon

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