En rejetant la proposition du “cadre temporel”, la Cour suprême du Brésil a conforté le droit des peuples autochtones à occuper leurs terres. Une victoire historique face à l’agroindustrie qui leur permet de conserver des millions d’hectares.
Le soulagement est immense. Ce 21 septembre, la Cour suprême a rejeté une proposition de loi qui menaçait depuis plusieurs années des centaines de territoires autochtones.
Fortement encouragé et défendu par l’industrie agroalimentaire du pays, le texte, intitulé “cadre temporel” (ou “marco temporal” en portugais), proposait de ne reconnaître comme terres revenant de droit aux peuples autochtones que celles qu’ils occupaient ou revendiquaient officiellement le 5 octobre 1988, date de la signature de la Constitution actuelle.
Une aberration pour les organisations autochtones et leurs alliés, qui rappellent que si les peuples autochtones n’occupaient plus certains de leurs territoires en 1988, c’est parce qu’ils en avaient été chassés, notamment sous la dernière dictature militaire (1964-1985).
“Les peuples autochtones sont expulsés de leurs terres, chassés et assassinés au Brésil depuis des siècles, souligne Fiona Watson, directrice de la recherche et du plaidoyer au sein de l’organisation de défense des peuples autochtones Survival international. Ceux qui exigent que, pour avoir droit à leurs terres aujourd’hui, les terres autochtones devaient être habitées par des communautés autochtones le 5 octobre 1988 nient cette histoire.”
“Le cri des peuples autochtones” écouté
Si la proposition de loi avait été acceptée, les conséquences auraient été désastreuses. Selon l’ONG brésilienne Institut socio-environnemental (ISA), près d’un tiers des plus de 700 réserves indigènes déjà délimitées au Brésil auraient pu être affectées.
“Les peuples du pays auraient subi des conséquences catastrophiques, notamment les Kawahiva non contactés et des dizaines de milliers de Guarani dans le sud du Brésil”, continue Fiona Watson, pour qui cette proposition de loi n’était rien d’autre qu’une tentative de “légaliser le vol de millions d’hectares de terres autochtones”.
À l’annonce de la décision de la Cour suprême, les réactions de joie ne se sont donc pas fait attendre.
“Il s’agit d’un important moment de bataille et de célébration, a déclaré l’organisation guarani Aty Guasu. La Cour suprême a montré qu’elle se soucie de nos vies et qu’elle est contre le génocide. Elle a écouté le cri des peuples autochtones du Brésil.”
L’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB) a elle aussi crié “victoire”, dans un contexte particulièrement difficile où, sous l’ancien président Jair Bolsonaro, le pays s’était engagé dans une politique anti-autochtones acharnée et où les homologations de nouvelles réserves étaient restées à l’arrêt durant plus de cinq ans.
Un consensus à trouver
Alors que le procès a porté sur le cas spécifique du territoire Ibirama-Laklano, situé dans l’État de Santa Catarina, au sud du pays, il fera néanmoins jurisprudence et s’appliquera à d’autres réserves objets de litiges.
La prudence reste néanmoins de mise puisque le texte de la décision finale n’a pas encore été rendue. La Cour suprême doit encore trouver un consensus sur les questions pendantes, notamment sur de possibles indemnisations par l’État de propriétaires de terres qui seraient transformées en réserves à l’avenir.
Un sujet d’inquiétude pour les peuples autochtones d’Amazonie, qui craignent notamment que cela freine l’homologation de nouvelles réserves.