Ce weekend, près de 200 gendarmes et une pelleteuse ont détruit les cabanes au sol construites par les protecteurs des arbres. Ces derniers ne sont pas tombés, protégés par des écureuils perchés dedans depuis quelques mois. A terre, la reconstruction a déjà commencé. La solidarité des militants se renforce face à ce qu’ils dénoncent comme une « guerre psychologique ».
L’attaque surprise de la ZAD
Samedi 13h, il faisait grand soleil sur la zone de la Crém’arbre où une nouvelle cuisine et un bar finissaient de se construire en prévision de la soirée prévue sur place le soir-même. Les forces de l’ordre ont profité du départ de nombreux militants à un carnaval, place Pierre Fabre à Castres, pour dénoncer l’influence du grand groupe dermato-cosmétique dans le projet A69.
A 14h15, 200 policiers sont ainsi arrivés route de la Crémade pour prendre d’assaut le camp et surprendre les écureuils, ces militants perchés dans les arbres. A 15h, une pelle mécanique est entrée, fracassant les installations au sol et retournant méthodiquement tout le pré, « anéantissant deux mois et demi de constructions » déplore le collectif La Voie est Libre opposé à l’autoroute.
« Les flics ont lacéré les tentes, détruit les cabanes à la masse, enterré canapés, cuisinières, livres, pharmacie, vêtements et affaires personnelles sous des tonnes de terre. Tout ce qu’ils n’ont pas détruit ou enfoui a été saisi : téléphones portables, matériel de grimpe, outils électroportatifs, groupe électrogène… » racontent les personnes présentes sur place
Des personnes ont également été retenues pour des contrôles d’identité et convoquées en audition libre. Selon le Journal Toulousain, le président du conseil départemental du Tarn Christophe Ramond s’est félicité dans un communiqué de presse que « le préfet du Tarn réaffirme ainsi la détermination de l’État à mener le chantier de l’A69 à son terme ».
Contactée par La Relève et La Peste, la Préfecture du Tarn nous a pourtant précisé qu’elle n’est pas à l’origine de l’évacuation du campement créé par des opposants au projet d’autoroute A69, au lieu-dit la Crémade sur la commune de Saïx. Elle a été menée suite à une décision de justice du Parquet de Castres.
Vers 18h, la tractopelle et la gendarmerie ont quitté les lieux, laissant les personnes mobilisées sur place constater les dégâts. Malgré la vision d’un champ en ruines, l’énergie collective a vite repris le dessus et les citoyens présents se sont réunis le soir autour d’un grand feu de joie pour penser à la reconstruction.
« On avait juste un peu plus froid samedi soir autour du feu, mais les jours s’allongent et c’était la dernière forte gelée » raconte « Baca » d’un air déterminé auprès de La Relève et La Peste
Le dimanche matin, les gendarmes se sont réinstallés sur la route. Au moment d’écrire ces lignes, ce lundi après-midi, de nouvelles voitures se sont garées près de la zone, sans expliquer pourquoi aux militants et aux écureuils toujours perchés. A priori, l’idée était de venir ramasser les épaves créées par le passage de la pelleteuse. Les écureuils ne touchent plus terre depuis le début des opérations.
« On s’en fout, nous, de la police au sol. Ce qui compte, c’est qu’on soit en haut des arbres et que les arbres se tiennent toujours bien droit », a de son côté précisé Etienne Fauteux, du Labo des terres, auprès de l’AFP
La ZAD avait été évacuée une première fois le 22 octobre, mais les citoyens étaient parvenus à s’y réinstaller.
Une solidarité tenace face à l’A69
Les personnes qui défendent les derniers arbres encore debout sur le tracé de l’A69 dénoncent une « guerre psychologique » menée à leur encontre.
« La destruction écologique subie à la Crem’Arbre est une tactique de guerre psychologique conçue directement pour démoraliser les défenseurs de vie sur le terrain. Les éco-destructeurs n’ont aucune valeur morale éthique. Ils ne travaillent pas pour des intérêts écologiques, mais pour des intérêts économiques. (…) Tout cela donne le ton de la façon dont Atosca et d’autres bandits mèneront la destruction dans un proche avenir » accuse Mapuche auprès de La Relève et La Peste
La répression est également judiciaire. Les militants dénoncent d’ailleurs une justice à deux vitesses, avec des auditions rapides pour les militants inquiétés lors des manifestations, alors que les démarches en justice sur le fond du dossier sont tellement lentes qu’elles en favorisent l’avancée des travaux.
Le climatologue Christophe Cassou, co-auteur principal du 6e rapport du GIEC 2017 – 2022, a ainsi été entendu lors du procès d’un des écureuils au tribunal judiciaire de Toulouse, le mercredi 17 janvier, en tant que témoin cité par la défense plaidant « l’état de nécessité ».
« L’A69 s’inscrit dans un cadre régional encore +exigeant concernant la baisse des émissions du secteur transport car celui-ci représente en Région Occitanie non pas 32% des émissions comme à l’échelle nationale mais près de 42%. (…) L’A69 coche toutes les cases de la bifurcation impossible révélant les verrous dans la considération des faits scientifiques, dans les visions du monde, dans les idéologies, structures sociales, systèmes politico-économiques, les mécanismes de prise de décision, de gouvernance et de relations au pouvoir, qu’il faut changer pour viser un monde durable et résilient au changement climatique » y a expliqué le directeur de la recherche au CNRS Christophe Cassou
En tt transparence, ma déclaration tenue a la barre sous serment, convoqué par huissier au tribunal @Toulouse dans le cadre d'un procès🐿#A69 en tant que témoin cité par la défense plaidant "l’état de nécessité"
Partager les faits est une mission!
La juge a pris des notes🤞
Fil🧵 pic.twitter.com/h8jk907ELf— Christophe Cassou (@cassouman40) January 22, 2024
Un autre procès doit avoir lieu à l’automne à une date encore inconnue. En dépit de cette « guerre de moral et d’usure », les opposants au projet d’autoroute A69 restent déterminés à poursuivre la lutte de façon solidaire et pacifique pour protéger les arbres dont l’abattage est techniquement interdit jusqu’au 15 février.
« Ce weekend fut riche d’émotions et de désolation persistante aux vues des actions des forces de l’ordre. J’ai vu des écureuils ultra motivés et hyper réactifs lors de l’assaut de samedi. J’ai aussi vu une foule de militants qui ne baissent jamais les bras. Après la destruction de toutes les constructions au sol, tout le monde s’est mis à rebâtir… » décrit Tanus, l’un des écureuils volants, dans un élan optimiste
Les soutiens arrivent en renfort depuis quelques jours. Grâce à la très forte médiatisation du projet de l’autoroute A69, suite à la grève de la soif et de la faim menée par une vingtaine de personnes, la polémique autour de ce projet anachronique a pris une ampleur nationale.
À l’Assemblée Nationale, les députés écologistes ont en effet réclamé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur ce projet controversé. Parmi eux, la députée Christine Arrighi, élue de Haute-Garonne a dénoncé un « scandale écocide d’un chantier qui n’a aucune raison d’être, ni économique, ni financière, et encore moins environnementale. 350 hectares de terres arables, humides et d’arbres, pâtissent de cette situation, et sur ces 53 km, on a déjà une route nationale en deux fois deux voies ».
Deux alternatives sont portées par les personnes attachées à la sauvegarde des terres agricoles et naturelles : la rénovation de la RN126, déjà existante, et le projet alternatif « Une autre voie ! », qui créerait la première véloroute nationale française, 87 km entre Toulouse et Mazamet – une ville à proximité de Castres.