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A Grenoble, la guerre de l’eau fait rage entre les habitants et l’industrie électronique

« On peut parler ici de “guerre de l’eau”, commente Robin, dans la mesure où au niveau local, l’industrie a toujours été prioritaire pour l’usage de l’eau, alors que les particuliers et les agriculteurs subissent souvent des restrictions. »

« De l’eau, pas des puces ! » Samedi 1er avril, près de 1 000 personnes se sont rassemblées à Brignoud, en Isère, pour dénoncer l’emprise des industriels de l’électronique sur la ressource bleue, à l’heure des sécheresses et des restrictions.

Inédite par son objet et son ampleur, cette manifestation était organisée par STopMicro. Créé il y a quelques mois et basé à Grenoble, ce collectif se bat contre les activités, la pollution et la croissance programmée de deux sociétés de la vallée du Grésivaudan : Soitec et STMicroelectronics.

Installées à Crolles, à vingt kilomètres de Grenoble, ces deux usines fabriquent des micro et nano-composants électroniques – puces et semi-conducteurs – que l’on retrouve dans toutes les nouvelles technologies, des téléphones aux satellites, en passant par les drones et les objets connectés.

Outre qu’elles dévorent le foncier agricole et naturel de la région, ces industries ont le désavantage majeur d’être extrêmement gourmandes en eau douce.

« Les deux usines consomment à elles seules l’équivalent quotidien de 12 piscines olympiques, explique Robin, un militant de STopMicro. Cela équivaut à la consommation entière de la ville de Grenoble, soit 160 000 habitants, plus toutes les entreprises implantées sur la commune, plus les services de la ville. »

Le collectif parle aussi de 700 000 douches ou 29 000 m³ d’eau par jour, ou 16 méga-bassines de Sainte-Soline par an.

Crédit : Antoine Blechet

Croissance incontestée

Ces chiffres prennent en compte l’agrandissement de STMicroelectronics, annoncée par Emmanuel Macron en juillet 2022. D’ici quelques années, 5,7 milliards d’euros seront injectés dans le site de Crolles, afin d’en doubler la production, dans le cadre de la réindustrialisation du pays.

Plus modeste que sa consœur, l’usine de Soitec s’agrandit peu à peu elle aussi, portée par un marché des semi-conducteurs qui ne connaît pas la crise. Avec le télétravail, la « ville connectée », l’armement de pointe, les voitures autonomes, le besoin en composants électroniques explose.

Les manifestants devant le site de ST le 1er avril 2023. Crédit : Antoine Blechet

Cette poussée est d’ailleurs si forte que personne, ou presque, ne la remet en question, pas même les élus écologistes du Parlement ou de la ville de Grenoble, ni la gauche de la gauche. Tout se passe comme si les conséquences matérielles du « monde virtuel » n’existaient pas.

« À STopMicro, témoigne Robin, nous pensons pourtant que vis-à-vis du réchauffement climatique, le numérique fait partie du problème, non de la solution, et c’est toute cette industrie, cette logique de production que nous souhaitons critiquer. »

Antoine Blechet

Crédit : Antoine Blechet

D’où vient l’eau ?

Pour nettoyer leurs composants, les usines de semi-conducteurs ont besoin d’une eau débarrassée de tous les éléments qui ne sont pas H2O. Ainsi, plus cette eau est pure en amont, moins les opérations de traitement sont longues et coûteuses.

De ce calcul découle le choix de Crolles : non loin de Grenoble, STMicroelectronics et Soitec pompent leurs millions de mètres cubes annuels directement dans les réservoirs d’eau du chef-lieu de l’Isère, ceux-là mêmes qui alimentent la commune et ses habitants.

Provenant des nappes phréatiques de la Romanche, cette eau potable d’excellente qualité peut donc être considérée comme monopolisée, voire détournée par les industriels.

« On peut parler ici de “guerre de l’eau”, commente Robin, dans la mesure où au niveau local, l’industrie a toujours été prioritaire pour l’usage de l’eau, alors que les particuliers et les agriculteurs subissent souvent des restrictions. »

Antoine Blechet

Crédit : Antoine Blechet

Fin d’un monde

Il y a enfin la question de la pollution. Après avoir permis de nettoyer les composants électroniques, l’eau douce de la Romanche est rejetée dans l’Isère.

Mais elle n’est plus aussi pure. Au cours des divers processus de rinçage, elle s’est chargée de tous les produits chimiques qui sont intervenus dans la gravure des composants : acides fluorhydrique et sulfurique, métaux lourds comme le titane et le tungstène, ammoniaque, aluminium, cuivre, arsenic.

Le seul site de STMicroelectronics emploie 20 000 tonnes de produits chimiques par an, autant de polluants que la station d’épuration de l’usine ne peut pas traiter entièrement.

« Il est faux de croire que l’eau rejetée dans l’Isère est propre, explique Robin. Même quand elle respecte les seuils fixés par la préfecture, cette industrie pollue les rivières et les nappes phréatiques alentour. »

Inévitable, cette pollution est une raison suffisante, selon STopMicro, pour limiter notre dépendance à l’informatique, et freiner cette numérisation du monde à marche forcée.

« Il y a vingt ans, on vivait très bien sans toutes ces puces, continue Robin. On pourrait certes posséder des ordinateurs, mais à quoi bon tous ces objets connectés et ces nouveaux services ? Ce n’est plus pertinent. »

Les mille personnes qui se sont mobilisées début avril ne désespèrent pas. Avec les sécheresses à répétition, les incendies, les restrictions d’eau, l’industrie électronique finira tôt ou tard par être remise en question. Ce n’est qu’une question de temps.

Et à ceux qui prétendent que ce combat est peine perdue : « Cest dommage que certains aient plus de mal à imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde », répond Robin.

Pour aller plus loin : La numérisation des sociétés devient un Léviathan énergivore hors de contrôle

Sources :

Le collectif STopMicro

Le Postillon n°68, Printemps 2023

Augustin Langlade

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