Elles profitent de l’inflation, l’Espagne les fera payer. Mardi 12 juillet, le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a annoncé que son gouvernement allait instaurer un impôt exceptionnel sur les bénéfices des grandes compagnies énergétiques et des banques, dans le but de financer sa politique de soutien aux ménages.
S’exprimant devant le Parlement en ouverture du débat sur l’état de la nation, le dirigeant socialiste a justifié ces mesures par les profits records qu’ont réalisés, ces derniers mois, certaines entreprises, alors que le pays subit une inflation galopante ayant atteint, en juin, 10,2 % sur un an, son plus haut niveau en quatre décennies.
« Ce gouvernement ne va pas tolérer qu’il y ait des entreprises qui profitent de la crise pour s’enrichir », a ainsi déclaré Pedro Sánchez, ajoutant que les grands bénéfices ne tombent pas du ciel, mais « sortent de la poche des consommateurs ».
Selon lui, les principaux fournisseurs d’électricité, mais aussi les compagnies gazières et pétrolières, ont ignoré, depuis un an, tous les appels de son gouvernement à réduire leurs marges pour compenser l’augmentation historique des prix de l’énergie.
Par cet impôt, Pedro Sánchez espère donc récupérer, de ces sommes indues, deux milliards d’euros par an pendant deux ans.
Durant son discours, le chef du gouvernement espagnol a également annoncé qu’une taxe « exceptionnelle » et « temporaire » serait ponctionnée sur les bénéfices « des grandes institutions financières commençant déjà à tirer profit de la hausse des taux d’intérêt ». Cet impôt permettra, quant à lui, d’engranger trois milliards d’euros, toujours en deux ans.
Ayant déjà mis en place de nombreuses aides et subventions pour les foyers modestes fortement touchés par l’inflation, l’Espagne prévoit d’injecter ces sept milliards de recettes extraordinaires dans un nouveau paquet de mesures sociales qui sera présenté d’ici peu au Parlement.
Parmi elles figurent pêle-mêle une baisse de la TVA sur l’électricité, une hausse du minimum retraite et du revenu minimum vital, la gratuité provisoire de certaines lignes ferroviaires de banlieue, ou encore une aide complémentaire de 100 euros par mois que l’État versera à un million de boursiers, de septembre à décembre.
L’Italie et le Royaume-Uni ont aussi sauté le pas
L’Espagne n’est pas le premier ni le seul pays d’Europe à avoir franchi cette ligne rouge du libéralisme. En mai dernier, le Royaume-Uni a instauré une taxe exceptionnelle de 25 % sur les superprofits des multinationales du pétrole et du gaz, dont les bénéfices ont connu, depuis la guerre en Ukraine, une envolée conjointe à celle des cours. Londres espérait alors récupérer 6 des 17,5 milliards d’euros nécessaires à un plan de soutien massif aux ménages.
Un peu plus tôt, en mars, l’Italie avait également défrayé la chronique en établissant une surtaxe de 10 % sur les profits réalisés par les géants énergétiques entre octobre 2021 et mars 2022, en prenant comme point de comparaison leurs bénéfices de la même période lors de l’exercice précédent.
En France, l’idée avance… lentement
En France, des voix s’élèvent pour que des mesures similaires soient prises sans délai. Le 18 juillet, le collectif « Plus jamais ça » a par exemple publié une tribune appelant l’Assemblée nationale à « mettre en place », dans le cadre de la loi sur le pouvoir d’achat, « un mécanisme de taxation [des] superprofits et à en affecter le produit à des mesures d’urgence », en partie écologiques.
« Les profits engrangés dans de nombreux secteurs sont considérables, rappelaient les associations et les syndicats signataires de la tribune. Il est donc légitime que ces bénéfices liés à la crise sanitaire et la guerre en Ukraine puissent être taxés pour répondre à l’urgence. »
À titre d’exemple, Total a engrangé 16 milliards d’euros de bénéfices en 2021, contre 6 milliards annuels les trois années précédentes. Sur la même période, BNP Paribas est passée d’une moyenne de 7,5 milliards de bénéfices annuels à 9,5 milliards d’euros.
Estimant que les « 150 plus grandes entreprises » françaises « ont dégagé de 80 à 90 milliards d’euros de “superprofits” » en 2021, « Plus jamais ça » propose d’en extraire « un budget de 15 à 30 milliards », en se contentant de taxer les compagnies du CAC40.
Bien qu’elle divise encore la majorité, l’idée d’un impôt d’exception a fait son entrée à l’Assemblée nationale. Ce mardi 19 juillet, des députés du groupe « Renaissance » ont déposé un amendement au projet de loi de finances rectificative pour que les sociétés pétrolières et gazières et certaines sociétés de transport maritime de marchandises puissent être imposées à hauteur de 15 % sur leurs bénéfices de l’année 2022.
S’inspirant directement des exemples du Royaume-Uni et de l’Espagne, ce texte issu d’une « forte minorité » a reçu un accueil froid et mitigé au sein du gouvernement et de la coalition présidentielle. Le débat est cependant lancé.
Crédit photo couv : Le Premier Ministre Pedro Sanchez face au Parlement Espagne le 12 juillet 2022 – PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP