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Dans le Var, la première ZAD souterraine de France est née

Selon Nina Millet, qui se définit comme une « cible publique » de la ZAD, c’est-à-dire une personne chargée de mettre un visage et des mots sur un mouvement, entre 6 et 10 zadistes se seraient établis sous terre, pour une période indéterminée.

Depuis deux semaines, le combat contre la carrière de Mazaugues a pris une tournure décisive : dans les galeries abandonnées de cette ancienne mine de bauxite, une dizaine de personnes ont inauguré ce que l’on peut considérer comme la première zone à défendre souterraine de France. Les occupants des roches tentent d’empêcher le carrier de détruire des espèces protégées, de mettre en péril une réserve d’eau potable essentielle pour la région et de causer des risques et des nuisances inutiles à la population locale.   

Un site Natura 2000

Ces deux premières semaines de ZAD sont l’aboutissement d’une bataille bien plus longue. Voilà une bonne dizaine d’années, en effet, que des associations et des citoyens utilisent tous les moyens à leur disposition pour lutter contre l’ouverture d’une carrière de roches calcaires à proximité de Mazaugues, petite commune du Var à 40 kilomètres au nord de Toulon.

L’enjeu est de taille. Depuis 2015, environ 80 % de la commune est classée Natura 2000, le réseau de protection et de conservation européen. Mazaugues fait aussi partie, depuis 2017, du parc naturel régional de la Sainte-Baume (844 km2), du nom de ce remarquable massif à cheval entre le Var et les Bouches-du-Rhône.

Preuve des contradictions du développement local, la carrière se situe à moins d’une encablure d’un dépôt d’explosifs appartenant à l’entreprise Titanobel, dépôt classé Seveso seuil haut et comportant un périmètre de protection qui aurait dû dissuader la préfecture d’autoriser l’exploitant à extraire le calcaire à l’aide d’explosifs.

Et pour couronner le tout, les immenses sous-sols de ce territoire aux trois quarts recouvert de forêts abritent la plus grande réserve d’eau du Var : 7 millions de mètres cubes, qui alimentent en eau potable les 700 à 800 000 personnes de l’agglomération toulonnaise.

Crédit : Cacm83136

Un site marqué à jamais par la mine

La présence de ces nappes phréatiques s’explique aisément par l’histoire de la ville. Jusque au milieu des années 1980, le site de la carrière était un haut lieu d’extraction de la bauxite, minerai servant à fabriquer l’aluminium. Des générations de mineurs ont laissé derrière elles d’innombrables galeries souterraines, qui se sont ajoutées aux cavités naturelles du massif.

« Les salles d’époque et le sous-sol du massif ont créé comme un drain tirant l’eau et la conservant pure, à disposition de la population », nous explique Thierry Gontier, l’un des porte-parole du Collectif anti-carrière de Mazaugues (CACM), qui rassemble une dizaine d’associations, ainsi que des citoyens de toute la région. 

Professeur de mathématiques, Thierry se bat lui aussi depuis dix ans contre l’implantation du carrier Provence Granulats, filiale du groupe Audemard, sur sa commune. En vain.

Malgré une opposition locale forte, un bras de fer juridique interminable et une certaine réticence de la municipalité, l’exploitant a toujours réussi à se sortir d’affaire et la carrière est aujourd’hui en activité.

Les travaux ont recommencé – Crédit : Cacm83136

Une épopée juridique

À l’origine, nous apprend Thierry, c’est un centre d’enfouissement technique, proposé par Veolia, qui devait être installé non loin du site.

« Nous avons alors fait valoir la présence de nappes d’eau potable et d’une grande biodiversité et le projet d’enfouissement a été abandonné par la préfecture du Var. »

Paraissant moins polluante aux yeux des pouvoirs publics, la carrière reçoit une autorisation d’exploitation en 2012, au terme d’une enquête publique où la disparition fréquente du cahier de doléances se conjugue à une trouble influence du carrier sur le personnel de la préfecture.

Mais la municipalité de l’époque est contre et décide de déposer, avec la Confédération Environnement Méditerranée, une association régionale, un recours au tribunal administratif de Toulon, qui annule en 2015 l’arrêté préfectoral, interdisant de facto la carrière. Direction la cour d’appel administrative de Marseille qui, en 2018, annule à son tour la décision de Toulon.

Le carrier peut commencer les travaux. Mais il lui faut encore ériger les bâtiments qui transformeront le calcaire en granulats voués à la fabrication de béton. Or, la mairie de Mazaugues bloque le permis de construire.

Exploitant et municipalité se retrouvent donc de nouveau devant le tribunal administratif de Toulon qui, cette fois-ci, enjoint à la mairie de délivrer le fameux permis, signé à la fin du mois de janvier dernier, alors que l’équipe municipale venait d’être renouvelée.

La mairie aurait pu faire appel, faire traîner le dossier pendant quelques années de plus. Cependant, selon des sources concordantes, le carrier aurait menacé le nouveau maire, Laurent Gueit, de lui réclamer près d’un million et demi d’euros d’indemnités, dans le cas où il refuserait de signer le permis de construire.

Présente à cette réunion, la préfecture aurait ajouté qu’elle se verrait alors dans l’obligation de mettre le village sous tutelle.

C’est sous la pression conjointe d’un industriel et des pouvoirs publics que le maire aurait donc fini par céder, bafouant en moins d’un an la « charte anti-carrière », signée par tous les candidats pendant la campagne des municipales.

Crédit : Cacm83136

Effondrement des sols et destruction d’espèces protégées

La complexité de l’affaire ne s’arrête pas là. Entre 2012 et 2021, un parc naturel régional a été créé, Mazaugues a intégré une zone Natura 2000 et plusieurs rapports ont été produits au sujet de la carrière, dont aucun n’aura été examiné par la justice.

Il y a d’abord l’étude de Geoderis. En 2015, ce groupement d’intérêt public spécialisé dans les aléas d’après-mine a constaté six phénomènes de « mouvements de terrain » autour du site de la carrière : l’effondrement généralisé, l’affaissement, l’effondrement localisé, l’écroulement rocheux, le glissement et le tassement, dont les risques « varient de faibles à forts », indiquent les auteurs.

« Sur un périmètre total de 40 hectares, ajoute Thierry Gontier, la zone d’exploitation de la carrière s’étend sur les vingt hectares qui menacent le plus de s’effondrer. »

À tout moment, les galeries souterraines peuvent céder — et combler les nappes phréatiques.

Le second rapport, rendu en 2018-2019 par le bureau d’études Éco-Med, affirme que plusieurs espèces protégées ont été repérées sur le site. D’autres sources, parmi lesquelles le CACM (voir l’article du journal Reporterre), ont relevé la présence du lézard ocellé, d’une sauterelle carnivore, la magicienne dentelée, et de treize espèces rares de chauves-souris, qui nicheraient dans les galeries des anciennes mines.

La présence de ces animaux et de ces insectes aurait dû suffire à bloquer le chantier. Mais le carrier a joué la montre et à présent que les travaux de terrassement et de défrichement ont débuté, les services de l’État ne pourront plus que constater les dégâts.

« Tout n’a pas encore été détruit, tempère Thierry Gontier. Mais il fallait passer à l’action. Au mois de février, nous avons alerté l’Office français de la biodiversité et en absence de réponse ferme de leur part, nous nous sommes adressés au ministère de la Transition écologique. Celui-ci nous a répondu que le parquet de Draguignan avait ouvert une enquête, sans nous donner d’informations complémentaires. Nous en sommes là. » 

lieu-dit le Caire du Sarrazin à Mazaugues (Var) – Crédit : Cacm83136

De nouveaux recours en justice

Il y a quelques semaines, le CACM a déposé au tribunal administratif de Toulon un référé-liberté demandant de faire cesser les travaux : rejeté. Le collectif a donc ouvert un nouveau contentieux s’attaquant au permis de construire.

Dans le même temps, les associations songent à se tourner vers le tribunal de Draguignan, afin de lui soumettre une plainte en pénal pour atteinte aux espèces protégées et à leur habitat. Si l’issue de ces nouvelles procédures reste incertaine, le collectif estime être dans son bon droit.

« En créant le CACM en 2018, nous voulions continuer la lutte légale, explique Thierry Gontier. Selon nous, il n’est pas possible que la justice continue de donner raison au carrier. Mais d’autres personnes ont perdu patience et passent à l’action autrement. »

Sous le calcaire de Mazaugues, la ZAD

Las de déambuler dans les méandres de la justice française, mercredi 2 juin, des personnes souhaitant garder l’anonymat ont annoncé, dans une vidéo postée sur YouTube, qu’elles occupaient désormais les galeries abandonnées sous la carrière de Mazaugues. Il s’agit de la première zone à défendre (ZAD) souterraine de France. 

Selon Nina Millet, qui se définit comme une « cible publique » de la ZAD, c’est-à-dire une personne chargée de mettre un visage et des mots sur un mouvement, entre 6 et 10 zadistes se seraient établis sous terre, pour une période indéterminée.

« Mais c’est très difficile de juger, nuance-t-elle, puisque certains sont partis très loin dans les galeries. »

Les objectifs de la ZAD sont simples : bloquer les travaux, quel qu’en soit le prix ; faire reconnaître la légitimité de l’occupation, humaniste et non violente ; permettre à ceux qui n’en ont pas les moyens d’être enfin entendus.

« Montée des eaux, disparition des espèces, migrations présentes et à venir, le contexte nous donne le droit de nous opposer fermement au projet », explique Nina Millet.

Pour celle qui s’est installée depuis deux ans dans le Var, certains thèmes ne peuvent être défendus dans ou par les structures actuelles.

« Les associations environnementales se limitent à protéger l’environnement. Les maires sont limités par les prérogatives distribuées par l’État. En justice, on est condamné par le droit à agir. On n’arrive pas à se battre avec le droit parce que nous nous positionnons toujours comme des personnalités juridiques, les seules que peuvent contrôler les pouvoirs publics. C’est un schéma qu’on a tellement intégré qu’on ne pense plus à autre chose. Cependant, nous sommes doubles : des êtres humains et des personnes morales. »

Se surnommant « les humains de la mine », les occupants des galeries de Mazaugues déclarent agir au nom de l’humanité, des générations présentes et futures.

« Nous nous mettons en jeu par le biais de notre personne physique, commente leur cible publique, pour protéger notre environnement et demander que soit reconnu notre droit à l’objection de conscience et à la désobéissance civile. »

Les zadistes souterrains

Course contre la montre

Les zadistes remarquent que la plupart des lois qui régissent notre société ont été conçues il y a plusieurs décennies. Pour les changer en profondeur, pour comprendre et intégrer au système l’interdépendance de toute chose terrestre, il faudra attendre des dizaines d’années de plus, au bas mot.

Mais le temps presse. Le bouleversement climatique et l’effondrement en cascade du vivant auront atteint un point de non-retour bien avant que nos cadres de pensée aient évolué et que nous ayons corrigé la réglementation.

« Il faut donc prendre des décisions d’urgence, conclut Nina Millet. D’où la ZAD, d’où l’occupation de Mazaugues. »

Pour l’heure, la position des zadistes est tenue secrète, mais le sous-sol étant un dédale, la police aura de toute façon du mal à les déloger. Provence Granulats, le carrier, déclare quant à lui que personne ne se trouve sur le site et refuse d’interrompre les travaux de terrassement, qui mettent clairement en danger les occupants.  

Augustin Langlade

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