Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

Ces poèmes chinois vieux de 14 siècles éclairent la disparition des marsouins

Derrière la mythologie, un fait biologique. Les marsouins, avant les tempêtes, bondissent en surface en chassant les poissons. Ce type de détail, omniprésent dans les recueils impériaux, s’avère exploitable scientifiquement.

En analysant plus de 700 poèmes chinois, des chercheurs reconstituent l’effondrement du marsouin du Yangtsé, l'un des rares cétacés d’eau douce au monde. Ces vers anciens se révèlent une archive écologique d’une précision inattendue.

Pendant des siècles, la Chine impériale a chanté la vie du Yangtsé, ce grand fleuve de l’est du pays. Au fil des dynasties, des centaines de poètes ont décrit un cours d’eau vibrant, habité, dont l’une des présences les plus marquantes était le marsouin aptère. Aujourd’hui, ce corpus littéraire se transforme en outil scientifique. Il permet de retracer, avec une précision insoupçonnée, l’effondrement historique de l’espèce.

Publiée en mai 2025 dans Current Biology, l’étude révèle combien la poésie chinoise peut servir d’archive écologique d’une précision inattendue. Il ne s’agit pas d’une trouvaille folklorique mais d’un travail d’analyse méthodique, fondé sur 724 poèmes mentionnant l’animal, les plus anciens datant de l’an 618 (soit le début de la dynastie Tang). À partir de ces textes, les chercheurs sont parvenus à reconstituer l’aire de répartition du marsouin sur 1 400 ans.

La poésie, une source scientifique inattendue 

L’idée peut sembler extravagante. Pourtant, dans l’histoire chinoise, les poètes sont souvent d’excellents témoins. Fonctionnaires itinérants, ils parcouraient le pays en bateau, observant méticuleusement paysages, saisons, comportements animaux. L’empereur Qianlong (18e siècle) lui-même, auteur prolifique, décrit lors d’un voyage sur le Yangtsé une scène devenue emblématique :

“Les marsouins poursuivaient le clair de lune sur la marée argentée, tandis que les dragons invoquaient les nuages d’orage qui se profilaient à l’horizon”.

Derrière la mythologie, un fait biologique. Les marsouins, avant les tempêtes, bondissent en surface en chassant les poissons. Ce type de détail, omniprésent dans les recueils impériaux, s’avère exploitable scientifiquement.

Les chercheurs ont examiné chaque poème comme un document d’archive. Vérification du contexte, localisation plausible, style de l’auteur, fiabilité descriptive (certains étaient réalistes, d’autres hyperboliques)… La moitié des textes contient une indication géographique précise. Une mine d’or.

Estampe représentant un marsouin dans le fleuve Yangtsé, tirée d’une page du «Sancai Tuhui» (en français, Compendium illustré des Trois Talents), une encyclopédie chinois compilée par Wang Qi (1573 – 1620) et publiée en 1609 sous la dynastie Ming. — © Wang Qi / Wikipedia Commons

1 400 ans de recul pour comprendre un effondrement moderne

Le résultat est vertigineux. En quatorze siècles, le marsouin du Yangtsé a perdu au moins 65 % de son aire de répartition totale. Et jusqu’à 91 % dans les affluents et les grands lacs connectés au fleuve, où il a presque entièrement disparu. Pendant plus d’un millénaire, le recul reste lent et discret. Puis, vers 1900, tout bascule. L’aire de l’espèce se contracte brutalement. 

Dans les poèmes anciens, les marsouins apparaissent partout. Dans le fleuve, les bras secondaires, les grands lacs, notamment Dongting et Poyang, situés au centre-est du pays. Aujourd’hui, ils n’y vivent presque plus.

Le marsouin aptère n’a jamais été chassé. Sa disparition est un effet secondaire de la transformation du Yangtsé en corridor industriel.

Dès les années 1950, la construction de barrages massifs fragmente l’habitat et coupe les routes migratoires. Les zones humides sont remblayées. Le trafic fluvial explose. La pollution étouffe les eaux. C’est cette mécanique cumulative qui fait s’effondrer l’espèce. Les descriptions poétiques, de plus en plus rares, reflètent avec une précision glaçante ce rétrécissement géographique.

Aujourd’hui classé en danger critique d’extinction, le marsouin du Yangtsé compte environ 1 200 individus. Les plans de conservation – sanctuaires, corridors protégés, limitation du trafic – semblent enfin stabiliser les effectifs. Mais l’espèce reste suspendue au fil de l’action politique.

L’étude n’est pas qu’un épisode fascinant de “science alternative”. Elle montre que les littératures anciennes recèlent des archives écologiques encore inexploitées.

L’histoire du marsouin du Yangtsé rappelle, surtout, que les extinctions façonnent autant nos cultures que nos paysages. Encore faut-il savoir en déceler les traces dans l’encre des siècles.

Joanna Blain

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Animal, un nouveau livre puissant qui va vous émerveiller 🐺

Notre livre Animal vous invite à vous émerveiller face à la beauté du peuple animal. Des dernières découvertes scientifiques sur le génie animal jusqu’au rôle primordial de chaque espèce qui peuple notre terre, notre livre vous plonge au cœur du monde animal et vous invite à retrouver votre instinct.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrages tant sur le fond que sur la forme.

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^