Le CNRS veut faire du site de Rousset un centre majeur d’élevage de macaques à longue queue, primates essentiels à la recherche mais en danger d’extinction. Entre nécessité scientifique et impasse éthique, le projet divise.
À deux pas de Rousset, dans un coin de forêt provençale, le CNRS s’apprête à agrandir sa station de primatologie, qui passera de 600 à 1 740 primates d’ici 2030, pour devenir un Centre national.
Ce projet vise à répondre aux besoins croissants de la recherche médicale française, tout en réduisant la dépendance aux importations. « Cela permettra de regagner notre souveraineté scientifique et médicale », confie une source interne au CNRS.
Les macaques à longue queue – primate phare de la recherche scientifique qui vient d’être classé “en danger d’extinction” par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) – sont au cœur du dispositif.
Depuis le Covid, l’accès à ces primates s’est corsé : la Chine a stoppé ses exportations en 2020, Air France a cessé les transports en 2022, et les prix ont flambé (passant de 4 000 à plus de 30 000 euros). Résultat : la France s’approvisionne désormais majoritairement en Asie ou en Afrique, notamment à l’île Maurice.
Pour mettre fin à cette dépendance, le CNRS – soutenu par l’Inserm, le CEA et l’Institut Pasteur – milite pour un élevage national et encadré. Selon l’institution, celui du Rousset pourrait couvrir la moitié des besoins. D’après Ivan Balansard, vétérinaire et président du Gircor (groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche), les conditions prévues seront “bien meilleures que ce qui se fait ailleurs”. Au-delà, selon lui, des standards européens actuels.
La station de Primatologie de Rousset du CNRS – Crédit : One Voice
Une opposition grandissante
Mais, pour l’association de défense des animaux One Voice, ce projet marque une rupture brutale avec l’esprit du centre, historiquement tourné vers l’étude du comportement animal.
« On parle ici d’un élevage pensé pour l’échange et la vente de primates entre laboratoires européens – on se rapproche clairement d’un commerce lucratif ! », dénonce Louise Koenig, juriste pour l’association, auprès de La Relève et La Peste.
Le fait que le projet soit inscrit au plan France 2030 – censé incarner l’innovation industrielle – interroge, selon elle, sur les réelles priorités de l’État. Pour One Voice, l’agrandissement ne résout pas le problème de fond : une grande partie des primates continuerait d’être importée via des filières étrangères jugées opaques.
Selon un sondage Ipsos réalisé en 2023, 75 % des Français sont opposés à l’expérimentation animale. One Voice appelle à renforcer les investissements dans des alternatives telles que les organes artificiels ou les modèles informatiques. De son côté, le CNRS assure être engagé dans cette voie, en pilotant notamment un programme de 48 millions d’euros dédié au développement de méthodes substitutives (le PEPR MED-OOC).
« Les primates, essentiellement des macaques, représentent une part infime des animaux utilisés en recherche – moins de 0,2 %. Mais leur rôle reste crucial pour comprendre certaines pathologies graves touchant l’humain, notamment en neurologie et en cancérologie », fait valoir l’institution.
Pour le CNRS, l’usage des animaux reste, à ce stade, « indispensable face aux grands enjeux de santé, y compris le risque de pandémies à venir ».
Une espèce “en danger d’extinction” dans les laboratoires
Classé espèce en danger depuis 2022, le macaque à longue queue (Macaca fascicularis) représente pourtant encore environ 80 % des primates utilisés dans la recherche scientifique, avec des exportations persistantes en provenance de l’île Maurice et d’Asie du Sud-Est.
Les données de 2023 indiquent que 3 459 primates ont été utilisés en France cette année-là. Parmi eux, 3 077 étaient des macaques à longue queue. Une grande part de ces individus serait issue de la première génération de captivité (F1), c’est-à-dire nés de parents prélevés dans leur milieu naturel – un procédé pourtant proscrit par la réglementation européenne depuis fin 2022. Près de 1 000 individus sans origine clairement déclarée ont également été recensés.
Macaques sauvages braconnés à l’île Maurice © One Voice
Une directive européenne contournée ?
La directive européenne 2010/63/UE impose l’utilisation exclusive de primates nés en captivité depuis au moins deux générations (F2) afin de réduire les prélèvements sur les populations sauvages. Mais selon One Voice, cette règle ne suffirait pas à empêcher le recours à des singes sauvages (F0), utilisés comme reproducteurs pour alimenter les élevages.
« Il y a un vrai problème de diversité génétique. On ne peut pas satisfaire 100 % des besoins de la recherche française avec les mêmes primates issus des mêmes élevages. À terme, pour maintenir cette diversité, il faudra retourner puiser dans les milieux naturels. C’est un cycle sans fin – et c’est précisément ce qui nous alarme », alerte One Voice auprès de La Relève et La Peste.
En Europe, l’expérimentation animale demeure autorisée, sous conditions strictes. Une directive européenne prévoit son remplacement progressif dès que des alternatives fiables sont disponibles. Mais sur le terrain, les méthodes substitutives peinent à s’imposer, notamment dans des domaines complexes comme l’immunologie, où la modélisation du corps humain reste largement incomplète.
Pour Louise Koenig, cette inertie pose question : « Le projet Rousset entrera en service en 2030, mais il faudra encore plusieurs années pour que les primates se reproduisent. On parle de 2035. À cette échéance, n’aura-t-on pas enfin des technologies capables de s’en passer ? »
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