Le romancier Olivier Bleys a parcouru la Californie durant l’été 2023 à la recherche des derniers ciels sauvages de la planète. Durant son expédition, il recense les menaces qui planent sur les lumières qui nous proviennent des étoiles et inventorie les divers projets en faveur de ce patrimoine méconnu. Il en a tiré un livre : La Marche aux étoiles.
Satellites, la pollution du ciel
Le périple commence le 12 août 2023. L’écrivain s’enfonce à pieds sur les sentiers de la Sierra Nevada, chaîne de montagne californienne occupant une partie de l’Ouest du Nevada. Il s’éloigne de la côte continuellement exposée à la pollution lumineuse et chimique.
« Source de toute poésie », le ciel étoilé « serait-il en voie de disparition comme le sont les espèces protégées ? » Sur son chemin, il traverse nombre d’espaces naturels, rencontre des amoureux du ciel, interviewe des astronomes.
Ce sont les scientifiques qui sont les plus alarmistes quant à la préservation du ciel. « En 2030, 9 points lumineux sur 10 que nous verrons dans le ciel seront des satellites », explique Olivier Bleys lors d’une conférence organisée à la Société de Géographie pour la projection de son documentaire La Marche aux étoiles qui vient compléter la sortie de son livre homonyme.
Un flou juridique autour de l’espace et de son accaparement ne permet pas de réguler l’accroissement du nombre de satellites. Il n’existe qu’un unique traité des Nations Unies, datant de 1967, qui encadre l’exploration et l’utilisation de l’espace et des planètes, en l’occurrence la Lune quand le texte fut adopté durant la Guerre froide. Ce traité prévoit la liberté d’accès des États à l’espace à des fins non guerrières.
Olivier Bleys compare cette situation à « la ruée vers l’or », qui a été favorisée par « l’absence de régulation sur la propriété privée et l’exploitation. Cela marque encore de manière très visible la Californie, on a l’impression d’être à Verdun », paysage de cratères forés à la recherche du précieux métal.
« Aujourd’hui, les télescopes doivent être placés dans l’espace, au-dessus du trafic des satellites » pour pouvoir observer les étoiles sans perturbation. Et cela va considérablement empirer.
La ruée vers l’espace
Au cours des 10 dernières années, le nombre de satellites a été multiplié par 10. En septembre dernier, on en comptait 10 345, selon Jonathan’s Space Report, site d’information de l’astrophysicien Jonathan McDowell du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics.
Cette augmentation est due à l’entrée sur le marché d’une multitude d’acteurs privés, et notamment à l’arrivée de SpaceX, société d’Elon Musk, qui a déployé plus de 6 000 satellites depuis 2019, soit les deux tiers des appareils en activité. A terme, l’entreprise entend déployer 42 000 engins. Boeing, Airbus, toutes les sociétés privées ont leur constellation de satellites en préparation.
Conscients des importances stratégiques en termes de défense et de télécommunication, aucune grande puissance ne veut louper le virage de la conquête spatiale. Ainsi, la Chine a lancé, en août 2024, les 18 premiers satellites de sa constellation Qianfan qui pourrait compter 15 000 appareils en 2030. La Russie, par l’intermédiaire de son agence Roscosmos, tout comme l’Inde avec ISRO, affichent d’importantes ambitions. Dans les 3 prochaines années, 60 000 mini-satellites pourraient être lancés.
Une interrogation subsiste, celle de la gestion des déchets spatiaux. 90 000 tonnes de débris tournoient actuellement autour de la Terre.
Réserve de ciels étoilés
Heureusement, Olivier Bleys a croisé durant son expédition nombre de passionnés qui défendent le ciel à travers une multitude d’actions. A Julian, dans le comté de San Diego (sud de la Californie), les efforts des habitants en matière de pollution lumineuse ont permis la labellisation de la ville auprès de l’International Dark-Sky Association (IDA). La politique en matière d’éclairage public est désormais officiellement codifiée dans la loi du comté.
Il existe 22 réserves de ciel étoilé à travers le monde. La France en compte 5 : le parc national des Cévennes, le pic du Midi de Bigorre, les Alpes Azur Mercantour, le parc naturel régional de Millevaches en Limousin, et le parc naturel régional du Vercors.
La pollution lumineuse mondiale augmente malgré tout de 10% chaque année, selon une étude datée de 2023 menée par Christopher Kyba, astrophysicien du Centre allemand de recherche des sciences de la Terre.
Menaces sur la biodiversité
Si la vision des étoiles et la pollution lumineuse est pour nous, êtres humains, principalement une perte poétique et scientifique, cela relève du danger existentiel pour certains animaux.
« Une variation infime de luminosité peut tuer une espèce » se désole Olivier Bleys. 28% des vertébrés et 64% des invertébrés sont nocturnes et dépendent de l’absence de lumière.
L’océanite cul-blanc, un oiseau océanique, est désorienté par cette pollution, ce qui menace sa nidification et ses sorties hors-nid, la luminosité étant un facteur primordial pour que ce petit oiseau échappe à ses prédateurs. Pour la même raison, certaines espèces de grenouilles ne sortent chasser qu’à un niveau de luminosité précis.
Beaucoup de témoins rencontrés par Olivier Bleys évoquent la noctalegie, la nostalgie des ciels étoilés observés pendant leur enfance. La technologie de l’optique adaptative permet aujourd’hui d’observer, à l’aide de l’IA et d’une application mobile, le ciel étoilé comme si la pollution lumineuse n’existait pas.
« C’est très mauvais signe, que l’intelligence humaine soit utilisée pour s’adapter à la catastrophe » conclut l’écrivain.