Initiative plutôt rare, le Conseil National de Protection de la Nature s’est autosaisi au printemps 2023 face aux polémiques autour des méga-bassines de Ste Soline, vu qu’il aurait dû être consulté avant le début des travaux. Son verdict est sans appel : les travaux de mégabassines dans les Deux-Sèvres sont contraires à la protection de l'outarde canepetière, une espèce en voie d’extinction. De nouveaux éléments qui viendront étayer les décisions des juges dans les recours en justice contre le projet.
L’outarde canepetière, un oiseau en voie d’extinction
C’est un argument de poids supplémentaire pour les milliers de personnes opposées aux méga-bassines de Sainte Soline. Ce 4 décembre, le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) a estimé dans son avis que les travaux de mégabassines en cours dans les Deux-Sèvres sont contraires à la réglementation des espèces protégées.
En cause : les Terres Rouges de Ste Soline sont un territoire d’accueil historique pour les espèces patrimoniales du département, et notamment pour l’outarde canepetière. Inconnu du grand public, cet oiseau est pourtant emblématique des plaines françaises. Extrêmement difficile à observer, il niche dans les prairies sèches. En France, il y a deux populations distinctes : l’une sédentaire qui réside sur le littoral méditerranéen, et une migratrice qui se reproduit dans les plaines du Centre-Ouest de la France.
C’est cette population migratrice qui est aujourd’hui au bord de l’extinction. Entre 1976 et 2000, sa population a chuté de 95 %. On compte aujourd’hui seulement 350 couples dans le Centre-Ouest de la France contre 6800 en 1978. L’ancienne région du Poitou-Charente accueille plus de 80 % de la population migratrice d’outardes.
« La plaine de Sainte-Soline, incluse dans une Zone de Protection Spéciale, constitue l’un des derniers secteurs propices à la reproduction de l’Outarde canepetière. En dépit de cette situation, le projet de la retenue de substitution sur ce secteur, inclus dans un programme initial plus vaste de 19 « bassines » concernant plusieurs centaines d’hectares en vue de développer l’irrigation, a été autorisé par deux arrêtés préfectoraux successifs sans qu’ils aient été précédés d’une demande de dérogation à la destruction d’espèces protégées et de leurs habitats, dérogation pourtant obligatoire pour une espèce relevant, depuis 1999, du ministère chargé de l’environnement, précédé d’un avis du CNPN » explique le conseil scientifique dans son avis
Les défenseurs des terres de Ste Soline l’ont bien compris depuis longtemps, et ont fait de l’oiseau migrateur un de leurs emblèmes récurrents. L’un des trois cortèges du grand rassemblement de mars 2023 se faisait ainsi sous la protection de « l’outarde rose », représentée par une grande statue mobile en bois en tête de cortège.
Un atout potentiel en justice contre les mégabassines de Ste Soline
Cet avis du CNPN donne de nouveaux éléments scientifiques précieux pour les associations ayant engagé des recours en justice contre les méga-bassines.
Actuellement, deux recours sont en cours : l’un sur l’autorisation environnementale des 16 méga-bassines devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, l’autre contre le permis d’aménager de Priaires dont le juge des référés a suspendu l’autorisation en raison d’un conflit d’intérêts (ordonnance du 30 octobre 2023).
« L’autosaisine du CNPN était déjà très encourageante. Ce qui est intéressant c’est qu’ils ont bagué et suivi des individus. Cela a montré l’impact des individus sur la zone puisqu’ils évitent largement le site de la bassine. Cet oiseau a besoin d’un grand espace de plaine sans obstacle visuel pour se déplacer. Ces éléments supplémentaires devraient être pris en compte dans la décision en appel » explique la juriste Geo du collectif Bassines Non Merci à La Relève et La Peste
Ce recours est celui sur l’autorisation environnementale des 16 méga-bassines. Le tribunal a considéré que le dimensionnement de 9 méga-bassines était illégal et a demandé leur régularisation par un premier jugement du 27 mai 2021. Le 11 avril 2023, après régularisation, le tribunal a validé le projet. Les associations ont donc fait appel et attendent un retour courant 2024.
Les associations envisagent également de déposer une plainte pour atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques, sur le fondement de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement.
La disparition de l’outarde canepetière va de pair avec celle d’un modèle agroécologique paysan. Ce dernier privilégiait les petites surfaces cultivées et des réservoirs de biodiversité, notamment à travers des centaines de kilomètres de haies qui ont été détruites lors de l’industrialisation de l’agriculture.
« Depuis les années 1970, la modification profonde des agroécosystèmes et les changements des pratiques agricoles (mécanisation, traitements phytosanitaires, passages périodiques d’engins, irrigation…) ainsi que le choix des plantes cultivées, sont considérés par les scientifiques ainsi que par les experts du Groupe Ornithologique des Deux-Sèvres et de la Ligue pour la Protection des Oiseaux, comme les facteurs principaux de régression de l’espèce. » détaille ainsi le CNPN dans son avis
Pour le CNPN, c’est clair : « Cette dégradation permanente des habitats propices à l’Outarde canepetière montre depuis un demi-siècle combien la population installée en Deux-Sèvres sur le secteur de la ZPS de la Plaine de la Mothe-Saint-Héray-Lezay revêt une importance capitale pour la survie de la population migratrice à l’échelle nationale ».
Un constat qui corrobore le discours des opposants aux méga-bassines depuis le début : « il ne s’agit pas d’un combat entre bons et mauvais agriculteurs, mais bien contre l’agroindustrie elle-même ».
« L’un de nos principaux détracteurs est Thierry Bouret, l’archétype de l’agrimanager. Il a fait une magnifique vidéo en 2012 où il montre ses 1200ha, et la façon dont ses 17 sociétés sont articulées autour d’une holding financière permettant l’optimisation fiscale et sociale. Et bien sûr, il bénéficie déjà de cinq méga-bassines et fait partie du projet qu’on a visé ce weekend. » analysait ainsi Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, pour La Relève et La Peste suite à une grande mobilisation en mars 2022
Ironie de la situation, les travaux des méga-bassines sont actuellement à l’arrêt à cause de la nappe qui remonte et des pluies intenses. Récemment, les associations ont obtenu gain de cause dans de nombreux recours en justice contre les méga-bassines. Elles ont donc donc espoir que ces nouveaux éléments scientifiques jouent en leur faveur.
D’ici-là, d’autres mobilisations sont prévues, dont la prochaine aura lieu ce 16 décembre sur le bassin de la Pallu, par le collectif BNM 86, pour avertir les habitants locaux des impacts des méga-bassines sur le cycle de l’eau.