Avec 320 000 anciens sites d’activités industrielles ou de services et près de 3 000 anciens sites miniers, la France possède un lourd héritage industriel ayant dramatiquement pollué de nombreux sols de notre territoire. Pourtant, bien qu’il s’agisse d’une menace directe pour la santé des habitants et des territoires, cette pollution reste majoritairement méconnue des citoyens concernés et ne fait pas l’objet de la même attention des autorités que celle de l’air et de l’eau. Tout aussi problématique, les frais de dépollution sont souvent laissés à la charge des collectivités, entraînant un sentiment d’impunité chez les pollueurs qui ne sont pas confrontés à leur responsabilité.
Après une enquête de plusieurs mois recueillant l’avis d’experts, d’ONG et de membres de la société civile, la sénatrice Gisèle Jourda a présenté ses conclusions mercredi au Ministère de la Transition Ecologique avec une demande forte : en finir avec le manque d’informations sur la pollution des sols français, et créer une législation contraignante au niveau national et européen pour mieux les protéger, eux, et ceux qui y habitent.
Une pollution méconnue qui dure dans le temps
Ce sont les inondations des 15 et 16 octobre 2018 dans l’Aude qui ont tout changé pour Gisèle Jourda. Provoquées par une catastrophe naturelle, l’ex-ouragan Leslie transformé en tempête post-tropicale, des précipitations exceptionnelles s’abattent sur la Vallée de l’Orbiel et en réveillent une pollution majeure : celle des déchets de l’ancienne Mine d’Or de Salsigne.
Avec la pluie, l’arsenic et le cyanure s’infiltrent dans les cours d’eau avoisinants et polluent dramatiquement l’environnement. Dans certaines communes, cela fait même des années que les familles ne peuvent plus manger les fruits et légumes de leur potager. Cette année 2018, la cour d’école de la commune de Lastours est inondée ce qui entraîne une pollution dramatique avec des taux d’arsenic jusqu’à 15 fois supérieur à la normale.
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A l’époque, la sénatrice Gisèle Jourda interpelle les autorités gouvernementales pour venir en aide aux habitants de son département, en vain. Consternée par la façon dont les élus locaux et les habitants sont livrés à eux-mêmes pendant cette crise sanitaire et environnementale, la sénatrice Gisèle Jourda s’inquiète alors de la situation dans le reste de la France.
« J’ai pris cette initiative suite à des inondations catastrophiques pour ne pas dire dramatiques, ayant fait 11 morts sur le territoire audois, et qui avaient révélé à la mémoire des Audois, une pollution historique : celle de la Vallée de l’Orbiel. J’ai trouvé que le système de précaution n’était pas assez pris en compte et qu’il n’y avait pas d’accompagnement des élus, ni des populations. » explique Gisèle Jourda, Sénatrice de l’Aude (Groupe socialiste et républicain) et rapportrice de la commission d’enquête
En Février 2020, elle lance une grande commission d’enquête avec le Sénat pour alerter sur le sujet et évaluer « l’ampleur de la pollution des sols consécutive à des activités industrielles et minières, ainsi que la capacité des pouvoirs publics à identifier et prévenir les risques que cette pollution présente pour la santé des populations et l’environnement. »
L’importance d’établir un état des lieux précis
Au terme de plusieurs mois d’auditions, la commission d’enquête a présenté ses conclusions en septembre 2020 dans un rapport au titre évocateur : « Pollution industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir ».
« Ce rapport a été voté à l’unanimité des membres donc c’est un consensus très large qui s’est fait autour du constat et des propositions. Le constat : partout en France, on est confrontés à des problèmes de pollution de sol et selon les territoires où vous êtes, les réponses apportées par l’Etat sont extrêmement variables. Les enjeux sont forts : bien sûr d’un point de vue environnemental, mais aussi sur le plan de la santé parce que la présence d’un certain nombre de polluants dans les sols peut être à l’origine de maladies pour les populations. » explique Laurent Lafon, Président de la Commission d’enquête et Sénateur du Val-de-Marne (Groupe Union centriste)
Pour cause, la Vallée de l’Orbiel est loin d’être un cas isolé sur le territoire français : collèges bâtis sur des terres polluées dans le Val-de-Marne, terres agricoles contaminées au plomb et au cadmium dans le Gard et le Pas-de-Calais, pollution au mercure en Guyane…
Hélas, non seulement « la lutte contre la dégradation des sols et ses effets ne constitue pas une priorité des pouvoirs publics », comme le relève Gisèle Jourda, mais surtout l’absence d’un état des lieux précis pose de nombreuses questions sur la mise en danger des habitants, à leur insu, particulièrement dans les établissements scolaires.
« Mon département du Val-de-Marne a souffert de la désindustrialisation engagée à une époque où les entreprises n’avaient aucune obligation forte en matière de dépollution. J’ai trois exemples en tête dans mon département. Le collège Saint-Exupéry à Vincennes est fermé depuis 2017 en raison d’une pollution au trichloréthylène antérieure aux années 1960 ; la dépollution coûterait 17 millions d’euros. Le collège Audin, à Vitry, doit faire l’objet d’une dépollution pour un coût de 8 millions d’euros avant même son ouverture. Le collège Assia Djebar, à Ivry-sur-Seine, enfin, ne peut ouvrir en raison de taux de mercure au-dessus des normes. La pollution empêche les collectivités territoriales d’accomplir leur mission d’accueil des élèves. » témoigne Pascal Savoldelli, Sénateur du Val-de-Marne (groupe communiste républicain citoyen et écologiste) ayant participé à la commission d’enquête
Malgré plusieurs bases de données comme Basol et Basias, la France ne dispose pas d’une cartographie complète des sols pollués de son territoire. Un reportage de PublicSenat pointe ainsi que 2/3 des friches industrielles seraient encore polluées en France.
Depuis que l’ancienne ministre Ségolène Royal a mis un véto à son actualisation pour cause de restriction budgétaire, les diagnostics sont laissés à la charge des communes qui n’ont pas les moyens de les prendre en charge.
Pour pallier à cette absence d’information consolidée sur les sols pollués, le groupe de sénateurs demande une enveloppe budgétaire de 50 millions d’euros afin de reprendre le diagnostic des établissements scolaires et des sols potentiellement pollués partout sur le territoire.
Le Sénat avait ainsi voté cette enveloppe dans le projet de loi de finances dans la mission « Écologie » : une initiative supprimée par la majorité présidentielle lors du remaniement du texte. Mercredi 13 janvier 2021, le Sénat a ainsi débattu des conclusions du rapport avec la Ministre de la Transition Ecologique, Barbara Pompili, en lui demandant quels sont les leviers financiers envisagés par le gouvernement.
La mise en œuvre de la dépollution
Au-delà des enjeux sanitaires, la dépollution des sols est une mesure de bon sens pour éviter de les artificialiser à outrance, première cause d’extinction de la biodiversité. Alors qu’elle s’est engagée à un objectif de « zéro artificialisation nette du territoire », la France se couvre de béton jusqu’à l’étouffement.
Entre 2006 et 2015, la France métropolitaine a ainsi perdu plus d’un demi-million d’hectares de terres agricoles et d’espaces naturels. En 2019, il était estimé que seulement 52,7 % du territoire métropolitain français reste peu anthropisé.
Plutôt que d’aller construire sur des terres qui ne sont pas urbanisées, il devient désormais impératif d’utiliser ces terres au passé industriel et des les réhabiliter pour y remettre de l’activité ou de l’habitation sur ces terres. La réhabilitation des sols est longue et coûteuse, la question de son financement est donc un levier central du rapport de la commission d’enquête.
« La première mesure à prendre, le B.A.-BA, est la prévention. L’État exerce avec diligence son pouvoir de police et de contrôle des installations. Mon ministère effectue près de 18 000 contrôles par an, chiffre appelé à augmenter de 50 % d’ici la fin du quinquennat. Pour offrir aux friches une nouvelle vie, le plan de relance prévoit, dans le cadre d’appels à projets lancés par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), une enveloppe de 300 millions d’euros, dont 40 millions d’euros sur deux ans pour la reconversion d’anciens sites miniers. Ce travail de fond durera aussi longtemps que nécessaire. » a justifié la ministre Barbara Pompili lors de l’échange avec les sénateurs
Une enveloppe budgétaire insuffisante pour la sénatrice Maryse Carrère :
« Le Gouvernement a prévu d’y consacrer 300 millions d’euros ; cela sera largement insuffisant compte tenu des dégâts constatés sur nos territoires : sols pollués plus que de raison, impossibilité d’appliquer le principe pollueur-payeur en raison de la disparition ou de l’insolvabilité de l’exploitant. Finalement, la charge revient aux collectivités territoriales qui n’en ont pas les moyens. »
Unanimes, les sénateurs et sénatrices ayant participé à la commission d’enquête exigent aujourd’hui une législation contraignante pour mieux protéger les sols et faire appliquer plus facilement le principe de polleur/payeur.
En effet, alors que l’air et l’eau sont considérés comme des bien communs, le sol reste attaché à la propriété privée, et ne bénéficie donc d’aucune protection législative forte qui permette de mieux réparer les préjudices écologiques sur les sites pollués.
Si le gouvernement prétend vouloir s’appuyer sur la réforme du code minier pour y parvenir, les parlementaires dénoncent une absence de définition juridique précise sur les termes de « sols pollués », de « friches » et de « réhabilitation » afin que cette réforme ne soit pas un cadeau de plus aux industriels, comme le craignent de nombreux écologistes, à l’image de la loi ASAP.
« Vous nous avez annoncé la réforme du code minier, attendue depuis longtemps. Mais il reste un désaccord juridique sur la définition que nous faisons de la pollution des sols. Nous sommes à votre disposition pour enrichir le futur projet de loi et enclencher de nouvelles actions. Souvent, ce qui bloque, c’est l’absence d’assise juridique forte. Nous serons attentifs à vos réponses. » ont prévenu les sénateurs en guise de conclusion
Un an après la parution du rapport, malgré une forte mobilisation des sénateurs, la majorité de leurs propositions pour pallier au problème ont été rejetées par le gouvernement.
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