Ce mardi 16 mai s’ouvre le Festival de Cannes. Alors que tous les regards vont se concentrer pendant deux semaines sur le tapis rouge, le collectif « Yacht CO2 Tracker » rappelle que la kermesse annuelle du cinéma français est aussi une débauche de moyens et d’énergie, notamment à cause des luxueux navires qui mouillent dans les ports de la Côte d’Azur.
Dans une tribune publiée en février dernier par Le Monde, une vingtaine de personnalités parmi lesquelles Juliette Binoche, Gilles Lelouche et Cyril Dion appelaient le septième art à s’emparer de la question écologique, et à réinventer ses méthodes de production.
Décors, matériel, transport, haute technologie… Plutôt épargné par la chasse au carbone, le cinéma n’en reste pas moins une industrie comme les autres, très polluant. En France, son empreinte s’élèverait à 1,1 million de tonnes de CO2 par an.
Outre ces émissions de gaz à effet de serre – que l’on justifie ou non par l’art –, le cinéma entretient des rapports de proximité et de dépendance avec le monde du luxe, de la publicité et de l’ostentation, en particulier lors de ses grandes manifestations.
C’est ce que dénonce Yacht CO2 Tracker. Né en juillet 2022 dans le sillage d’I Fly Bernard, ce collectif actif sur Twitter traque les yachts des milliardaires et publie au jour le jour des estimations de leurs bilans carbone respectifs – désastreux, cela va de soi.
Des gros, et une myriade de petits
Chaque année, de nombreux propriétaires profitent du Festival de Cannes pour amarrer leurs yachts dans les ports qui jalonnent cette portion du littoral méditerranéen, de Nice à La Ciotat, en passant par Antibes, Sainte-Maxime, Saint-Tropez…
« Les riches se servent du festival pour exposer fièrement leurs navires de plaisance, analyse Martin, membre du collectif Yacht CO2 Tracker. À quai ou au large, les yachts accueillent ensuite des soirées ou des rencontres où se retrouve tout l’entre-soi du cinéma, qui en profite. »
Impossible de connaître le nombre exact de yachts qui graviteront ces quinze prochains jours autour de Cannes : si les plus gros navires sont détectables – comme le Symphony (101,5 m de long), propriété de Bernard Arnault –, la myriade des plus petits est plus longue et difficile à repérer, d’autant que tous ces bâtiments naviguent le plus souvent sous un pavillon de complaisance, et changent fréquemment de nom.
« La semaine dernière, nous avons tenté de faire le bilan des navires supérieurs à 30 m de long stationnant autour de Cannes et l’île de Port-Cros, explique Camille, un autre membre du collectif. Si tous ces yachts faisaient fonctionner ensemble leurs moteurs, nous estimons qu’ils émettraient plus de 75 tonnes de CO2 par heure. Mais il y en a beaucoup plus ! »
On a le Celebrity Edge dans la place, qui remplace le Valliant Lady. Celui-ci est alimenté par 55 MW de moeturs diesel. Propulsé par 2 azipods (21MW selon son infos) pour une conso de 5000 l de diesel par heure de nav, et ~13.3 t de CO2/h de nav. https://t.co/XK5XNAPEx0
— Yacht CO₂ tracker (@YachtCO2tracker) May 17, 2023
Le yacht, actif le plus polluant du monde
Avec leurs moteurs à pétrole lourd ou à gaz, leurs hélicoptères, leurs piscines, leurs sous-marins et leurs milliers de tonnes à déplacer, les yachts représentent les biens mobiliers les plus émetteurs de carbone au monde.
D’après le site The Conversation, qui les a classés en 2021, les milliardaires les plus pollueurs sont tous, sans exception, propriétaires d’un de ces méga-navires de plaisance qui forment la plus grosse part de leur bilan carbone.
« Si David Geffen, le cocréateur de DreamWorks, témoigne Camille, se hisse à la seconde position de ce classement, ce n’est pas parce qu’il est le plus riche, mais parce que son seul yacht, le Rising Sun (qui se trouve d’ailleurs à La Ciotat) représente 90 % de son empreinte carbone. »
Même constat pour Bernard Arnault, en quatrième position : sur les 10 421 tonnes d’équivalent CO2 que le patron de LVMH aurait émises en 2020, quelque 9 000 proviendraient du Symphony.
Une année de carbone en une heure
Mais à quoi servent ces navires ?
« Ce sont surtout des objets de prestige, répond Martin, en particulier quand ils se montrent chaque année au Festival de Cannes. C’est une forme de tradition, de même que les milliardaires se rendent à Saint-Barthélemy pour les fêtes. »
« Pendant que certains coupent l’eau quand ils se brossent les dents ou font pipi sous la douche, ajoute Camille, d’autres vont boire en yacht un apéritif à Saint-Martin. La question qu’on voudrait donc poser, c’est : qu’est-ce qui est acceptable aujourd’hui ? Allons-nous tolérer que quelques-uns aient des comportements irresponsables et laisser la masse faire tous les efforts ? »
Yacht CO2 Tracker a déjà repéré plusieurs méga-yachts aux abords de Cannes : l’Ecstasea, propriété d’Alshair Fiyaz, un entrepreneur pakistanais ; l’Amevi, du magnat de l’acier indien Lakshmi Mittal ; le Why Not You, le Symphony, le Rising Sun…
Même si ces gros arbres cachent la forêt, le collectif rappelle que « pour une heure de croisière, un yacht [moyen] consomme ce que nous devrions consommer en une année par personne pour être sur une planète habitable », soit une à deux tonnes de carbone, parfois bien plus.
Le collectif passera les quinze prochains jours à identifier et traquer les monstres qui hantent le festival de Cannes.
« Nous lançons également un appel à tous les gens qui pourraient nous envoyer des photos de yachts à Cannes, annonce Camille, et de nous communiquer les noms de celles et ceux qu’ils auront vus monter dessus. Nous pourrons de la sorte les interpeller. »
« On ne peut pas laisser les mêmes décider du destin du monde », conclut Martin.
Sources : Private planes, mansions and superyachts: What gives billionaires like Musk and Abramovich such a massive carbon footprint, The Conservation, 16 février 2021
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