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« S’il ne pleut pas dans le désert, c’est parce qu’il n’y a pas d’arbres, et non l’inverse ! »

Pour avoir de l'évapotranspiration il faut couvrir nos sols de végétaux verts, donc vivants. Il faut aussi de l'eau dans le sol.

Pierrick Berthou est agriculteur, producteur de lait bio à Quimperlé, en Bretagne. En 2003, la canicule meurtrière qui s’abat sur la France lui fait prendre conscience de la valeur inestimable de l’eau. Depuis, il s’est formé pour apprendre à gérer de la façon la plus résiliente possible cette ressource indispensable à la vie. Il a souhaité nous livrer ses apprentissages, avec une leçon clé : il nous faut réapprendre à connaître le cycle de l’eau et favoriser le phénomène d’évapotranspiration pour empêcher les sécheresses.

Les leçons du passé

« Depuis la nuit des temps, l’eau est une préoccupation pour l’être humain : soit il y en a trop, soit il en manque, jamais content ! D’ailleurs, de nos jours, il n’y a guère que les paysans qui s’en préoccupent. Les paysans sont vraiment stressés par l’eau. Pour les autres, leurs contemporains, du moment qu’il y a du soleil et que l’eau coule abondamment du robinet, tout va bien. 

Justement, le problème est là : tant que l’eau coule du robinet, tout va bien.

Actuellement, nous ne payons pas l’eau en tant que telle, notre facture d’eau correspond aux traitements de l’eau et à son acheminement. Or, il suffit d’imaginer qu’un jour l’eau ne coule plus du robinet. Et, cette possible imagination devient déjà réalité. Avec la sécheresse qui frappe l’Hexagone, ce sont déjà 100 communes qui se retrouvent aujourd’hui sans eau potable en France.

Mais sachons bien, qu’avant que l’eau ne coule plus du robinet, des personnes auront pris les devants pour nous faire acheter l’eau dont nous avons besoin. C’est ce que l’on appelle la marchandisation de l’eau. Alors, un véritable business très lucratif se mettra en place. Tout est fait pour nous faire accepter cette idée totalement folle. A moins que nous ne réagissions dès maintenant.

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Le passé regorge d’exemples de réussite sur la gestion de l’eau :

1000 ans avant notre ère, les ancêtres des Aztèques vivaient dans l’actuel Mexique, une zone géographique plutôt aride. Ils avaient mis au point des techniques de récupération d’eau de pluie. A ces techniques s’ajoutaient des terrasses sur les flancs des collines afin de ralentir le ruissellement de l’eau de pluie.

L’alliance de ces différentes techniques permettaient aux Aztèques d’avoir de l’eau, donc de la nourriture toute l’année. Ces techniques vieilles de 25 siècles (2500 ans) sont à nouveau étudiées au Mexique, justement, pour faire face à la pénurie d’eau. Notamment dans la vallée d’Oaxaca.

Les Incas, ancêtres des péruviens, avaient, eux aussi, mis en place des techniques de récupération d’eau en haut des montagnes et/ou des vallons. Ils laissaient l’eau s’infiltrer lentement.

Cette eau, après avoir été filtrée et enrichie en minéraux, ressortait plusieurs mois plus tard dans la vallée, pendant la saison sèche. Ainsi, ils avaient de l’eau en abondance pour les cultures et pour se désaltérer. Les Incas avaient une connaissance prodigieuse de l’eau et de son cycle. C’est ainsi qu’ils purent développer ces techniques sophistiquées. 

Ces techniques sont largement utilisées et vulgarisées par Sepp Holzer, chez lui, au Krameterhoff, en Autriche. Au Pérou, ces techniques sont, elles aussi, actuellement, remises au goût du jour.

Le Krameterhof : la ferme en permaculture de Sepp Holzer – Crédit : Sepp Holzer

En 2020, en France, nous avons subi durement une sécheresse, comme en 2019 et en 2018, et comme cette année. Comment réagissons-nous ? Où en sommes-nous ? Que faisons-nous ? Pour ainsi dire, rien ! 

Dans les Deux-Sèvres, deux conceptions de gestion de l’eau s’opposent de plus en plus durement. Cela n’est pas pas de bon augure, et laisse imaginer aisément ce qui pourrait se passer si jamais l’accès à l’eau se compliquait. Un climat d’inquiétude et d’insécurité s’emparerait de nous. Et, comme la peur n’est pas bonne conseillère …..

Dans les Deux-Sèvres, deux visions différentes tentent de surmonter ce problème. D’un côté, il y a des agriculteurs qui veulent stocker l’eau pour assurer une irrigation massive et gabegique ; et de l’autre, il y a certains militants qui ne veulent pas entendre parler de stockage de l’eau. Ces deux visions totalement opposées provoquent de vives tensions, alors que, dans un cas comme dans l’autre, c’est la méconnaissance du cycle de l’eau qui est en cause.

Ce qu’il nous faut réapprendre aujourd’hui, c’est favoriser le phénomène d’évapotranspiration d’une région pour lui permettre de rester verte.

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Préserver l’eau au présent

« Il va nous manquer d’eau, donc il faut l’économiser », voilà une phrase à l’emporte pièce qui révèle une erreur d’analyse. A vouloir économiser l’eau, on concourt à sa pénurie en la forçant à aller dans les rivières, donc partir dans les océans. Or, justement, c’est de l’évapotranspiration dont nous avons besoin

Les chercheurs Russes Anastassia Makarieva et Victor Goshkov l’avaient théorisé : le cycle de la pluie n’est pas dû a une action chimique, ni physique, mais est le fruit d’une action mécanique, avec comme clef de voûte l’évapotranspiration.

L’évapotranspiration correspond à l’eau transpirée par les plantes vertes ; par exemple un arbre à feuilles caduques rejette dans l’atmosphère autant d’eau qu’il a captée. Un chêne adulte transpire ainsi jusqu’à 1 000 litres d’eau par jour. C’est cette eau qui servira à  »fabriquer » les prochaines pluies un peu plus loin. Grâce à ce phénomène, il pleut plusieurs milliers de kilomètres à l’intérieur d’un continent.

Crédit : Schéma de l’INRAE

Pour avoir de l’évapotranspiration il faut couvrir nos sols de végétaux verts, donc vivants. Il faut aussi de l’eau dans le sol. 

Ceci nous mène tout droit à la façon dont nous pratiquons l’agriculture. Les cultures annuelles (blé- orge-colza, mais aussi riz et soja, ailleurs dans le monde) sont des cultures qui mûrissent, donc jaunissent dès la fin du printemps et ce jusqu’à la fin l’été, c’est à dire lorsque la température annuelle est à son point culminant. Cela induit deux phénomènes : tout d’abord la chute de l’évapotranspiration et un fort développement de l’albédo (réverbération du rayonnement solaire).

Quant au maïs, culture emblématique de notre agriculture industrielle, il n’est pas sans reproches puisque, dès le mois de mars, les agriculteurs ouvrent leurs terres par le labour et offrent les sillons aux forts vents (de nord et d’est) et au soleil. C’est ainsi qu’en une seule journée, ce sont des centaines de mètres cubes d’eau qui s’évaporent. Tout ceci est amplifié par l’arasement des talus où s’érigeaient de nombreuses haies brise-vent. 

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Deux mois plus tard, ces mêmes maïsiculteurs se plaignent du manque d’eau en oubliant ce qu’ils ont fait deux mois auparavant. Sans oublier qu’entre les premiers labours et la fin juillet le sol restera souvent quasiment nu, sans couverture végétale. Depuis quelques années, la mise en place de couverts végétaux est obligatoire en zone vulnérable, pour la certification en dérogation au verdissement de la PAC et pour les surfaces d’intérêt écologique. 

Une avancée salutaire mais encore insuffisante. Nous voyons bien qu’il va falloir revoir notre manière de cultiver nos terres et sans doute faire des choix agricoles.

L’irrigation massive est un cache misère de la catastrophe qui se déroule sous nos pieds : la chute du taux d’humus de nos sols.

Ainsi que l’explique Vandana Shiva dans le livre-journal Vivant, “les sols riches en matière organique qui crée de l’humus peuvent retenir 90% de leur poids en eau. Les sols vivants sont le plus grand réservoir à la fois d’eau et de nourriture”.

L’irrigation massive ne pourra bientôt plus compenser ce problème. La première réserve d’eau est donc le sol et sa richesse en humus ! 

Lire aussi : Ce ne sont pas les forêts qui meurent, mais surtout des plantations d’arbres

Paolo Lugari est un homme vraiment exceptionnel. En effet, au cœur de l’Amérique du sud, cet homme a relevé un défi surhumain. Il a entrepris de réhabiliter une zone qui souffrait de maux terribles : chaleurs excessives, manque d’eau, et l’eau qui s’y trouvait était d’une qualité plus que douteuse, la terre était acide, bref ce n’était pas le paradis.

Il a établi un plan d’action précis. Le pivot de cette action était de rétablir l’évapotranspiration. Pour cela, il planta 8 000 hectares de forêts. 25 ans plus tard, le constat est sans ambiguïté. Les précipitations ont augmenté de 10%, la température moyenne a baissé de 3°, la qualité de l’eau est retrouvée.

D’une zone hostile, il en a fait un endroit où il fait bon vivre et où les projets sont possibles, car une économie s’est développée. Aujourd’hui, ce sont 6,3 millions d’hectares qui sont en cours de réhabilitation. D’une zone de désespoir, cet homme a su recréer un avenir à Las Gaviotas.       

Crédit : Las Gaviotas

Taméra, au Portugal, voilà un domaine qui périclitait par manque d’eau. Enfin, c’est ce qu’ils croyaient. Car, ils recevaient, tout de même, 500 millimètres de pluie en moyenne chaque année. 500 millimètres pour beaucoup de personnes c’est peu, et cependant, aujourd’hui, à Taméra , ils ne souffrent plus du manque d’eau. Ils ont fait appel à Sepp Holzer, qui a étudié leur domaine. Il leur a proposé une stratégie de récupération de l’eau de pluie basée sur des bassins de rétention qui favorisent les infiltrations lentes ( contrairement aux « bassines »). 

Ces bassins de rétention ont permis de recharger les aquifères et aux terres environnantes d’être régulièrement humidifiées. A Taméra, ils ont débuté, un peu sceptiques, par un bassin de rétention. Aujourd’hui, convaincus et confiants, ils projettent de créer une douzaine de ces structures.

Détail important, chaque bassin de rétention est systématiquement accompagné d’une plantation arbustive et d’une végétalisation verte massive afin de favoriser, là encore, l’évapotranspiration.

Tamera avant/après – Crédit : Simon du Vinage

Maintenant, Taméra est un domaine où la vie est paisible et les projets possibles. Nous pouvons même dire que les projets foisonnent. En quelques années, ils sont passés d’une situation catastrophique à une situation telle qu’ils aident à l’émulation. Quel changement !

La Maurucie était une région prospère, peuplée de nombreux arbres, les pluies étaient abondantes et régulières. La terre était riche, grasse, profonde. A leur arrivée, les Romains voulurent en faire le grenier à grain de Rome. Dès lors, débuta la déforestation, le labour et l’implantation des céréales. Cela perdura bien au-delà de l’effondrement de l’empire Romain. 

Les sécheresses, les canicules et les inondations ne sont pas une fatalité. Avec quelques principes bien ciblés, nous pouvons inverser la situation, tels que le ralentissement du ruissellement, favoriser l’infiltration de l’eau partout où cela est possible avec toutes sortes de techniques (bassins de rétention, tranchées d’infiltration, baissières etc), plantation massive d’arbres, végétalisation verte de notre environnement, campagnes et cités, pour remettre en route l’ évapotranspiration. 

Mark Shepard, agriculteur américain, de la New Forest Farm dans le Wisconsin nous dit : « il faut faire en sorte que chaque goutte d’eau de pluie qui tombe sur votre ferme y reste le plus longtemps possible ». 

Ces techniques sont simples et peu onéreuses, appliquons-les. N’attendons pas que la France et même l’Europe deviennent la Maurucie. Aujourd’hui, la Maurucie s’appelle le Sahel. » Pierrick Berthou

Crédit photo couv : Oasis d’Adjir près de Timimoun, Algérie – George Steinmetz/Corbis

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