Face au quinquennat désastreux d’Emmanuel Macron, de trop nombreux citoyens envisagent désormais de voter Marine Le Pen en espérant que l’Assemblée Nationale limite sa force politique en l’empêchant d’atteindre une majorité parlementaire, voire en lui imposant une cohabitation. Seulement, cette femme politique à l’expérience bien rodée a prévu son coup depuis longtemps. Si elle accède au pouvoir, Marine Le Pen envisage purement et simplement de dissoudre l’Assemblée Nationale. Un danger fasciste déjà vécu au cours de l’Histoire.
Cohabitation et « barrage républicain »
D’abord, un rappel des procédures. Les élections législatives ont pour objectif d’élire les 577 députés qui siégeront à l’Assemblée Nationale pendant 5 ans. Ils ont pour mission de voter des lois, contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques.
Les députés sont élus par un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Pour être élu dès le 1er tour, un candidat doit obtenir plus de 50 % des suffrages exprimés et un nombre de voix au moins égal à 25 % du nombre des électeurs inscrits. Si aucun candidat n’est élu dès le 1er tour, un 2d tour est organisé une semaine plus tard.
Les partis qui dépassent 12,5 % du nombre des électeurs inscrits accèdent au 2ème tour, il peut donc y avoir plusieurs candidats qui restent en lice. Le candidat qui sera finalement élu député est celui qui remportera le plus de votes au deuxième tour. En cas d’égalité, le plus âgé des candidats est élu.
Si un parti politique ou une coalition parvient à atteindre la majorité absolue, c’est à dire plus de 289 députés, le Premier Ministre doit alors être issu dudit partie ou de cette coalition de partis politiques. Le Premier Ministre et le Président de la République n’étant alors pas du même bord politique, c’est ce qu’on appelle la cohabitation. Au cours de la Vème République, il y en a eu trois : 1986-1988 avec Mitterrand/Chirac, 1993-1995 avec Mitterrand/Balladur, et 1997-20002 avec Chirac/Jospin.
Face au désastreux résultat du 1er tour pour la justice sociale et environnementale, les partis de gauche regroupent à présent leurs forces pour entraîner la dynamique d’une cohabitation. Dans les faits, en 2022, ce scénario est possible.
En effet, Emmanuel Macron, qui avait réussi à obtenir la majorité parlementaire, ne bénéficie désormais plus du même engouement populaire qu’en 2017. Quant à Marine Le Pen, le Rassemblement National perd bien souvent aux élections législatives car ses électeurs sont peu enclins à l’exercice et qu’un « barrage républicain » se met souvent en place au deuxième tour.
Seulement, cette année, la récupération des idées sécuritaires d’extrême-droite par le gouvernement de Macron d’une part, et sa casse systématique des acquis sociaux en refusant d’accorder à la population toute participation démocratique, pourtant maintes fois réclamée, ont transformé Marine Le Pen en un « rempart social », ainsi que l’écrivent Romaric Godin et Ellen Salvi dans Mediapart, contre le président sortant qui s’obstine à maintenir sa réforme des retraites, alors que 77% des français n’en veulent pas, y compris au sein de ses électeurs !
La manœuvre pour prendre le plein pouvoir
Lors de sa conférence de presse du 12 avril 2022, à laquelle ont pu participer uniquement les journalistes validés par la candidate elle-même, un signal d’alarme à lui seul, Marine Le Pen a développé sa conception de « la démocratie et de l’exercice du pouvoir ». Reprenant à son compte la proposition des Gilets Jaunes pour un Référendum d’Initiative Citoyenne, Marine Le Pen projette de contourner le Parlement en utilisant les référendums comme moyen de prendre le plein pouvoir.
Ainsi que nous l’écrivions, la présidente du RN a bien su comprendre les attentes sociétales et joue la carte du pouvoir d’achat dès qu’elle le peut pour camoufler sa politique fasciste. Mais si quelques électeurs comptent encore sur le pouvoir de l’Assemblée Nationale pour limiter les dégâts, ils risquent vite de déchanter. Tout tient dans la mesure 11, étonnamment non développée dans son programme :
Marine Le Pen souhaite réduire le nombre de députés à 300 et instaurer le scrutin proportionnel aux législatives. Dans ce cas, ce n’est plus un candidat pour lequel on vote mais son parti. Avec un scrutin fonctionnant à la proportionnelle, chaque parti politique présente donc une liste de candidats. En fonction des résultats, les sièges des députés sont alors attribués à chaque liste proportionnellement au nombre de voix que chacune des listes a recueillies.
Cette demande populaire a également été reprise par Emmanuel Macron qui s’est déclaré « ouvert à l’idée » mais « sans rien promettre ». Sauf que, et là est la différence fondamentale entre les deux candidats à la présidence, seule Marine Le Pen veut instaurer la proportionnelle pour « deux tiers » des députés et que le dernier tiers soit réservé à la « prime majoritaire », c’est-à-dire qu’un tiers de l’hémicycle sera attribué d’office au parti ayant obtenu le plus de voix lors des élections.
« Il s’agirait, pour éviter une assemblée trop fragmentée, d’un scrutin à la proportionnelle avec une prime au vainqueur de 30%. En gros, si un parti (le RN par exemple) arrive en tête avec 25% des votes, il disposera de 55% des sièges à l’assemblée nationale. Une fois ce nouveau dispositif voté par référendum, la présidente n’aurait plus qu’à dissoudre l’assemblée. » explique Mathieu Molard, rédacteur en chef de Street Press
En clair, la proposition soi-disant démocratique de Marine Le Pen est un jeu de dupes. Le parti en tête est quasi-certain d’obtenir la majorité absolue grâce à cette fameuse « prime majoritaire », là où la majorité normale le rend presque impossible.
Au sens strict du terme, dans le cadre d’une proportionnelle, si un parti obtient 28% des suffrages, il détiendra 28% du parlement. Dans les pays fonctionnant à la proportionnelle comme l’Italie ou l’Allemagne, des coalitions doivent la plupart du temps être établies entre les partis pour obtenir une majorité parlementaire et gouverner.
La proportionnelle façon Le Pen est totalement opposée au système de cohabitation, c’est une reproduction du système actuel, avec une majorité claire d’un unique parti. Marine Le Pen tente de nous faire croire que ce système est plus démocratique alors que dans les faits il ne changera rien et avantagera son parti.
Et ce projet ne date pas d’hier, ainsi que le rappelle cet extrait du Canard Enchaîné de 2017 circulant sur les réseaux sociaux :
« Si la nouvelle Assemblée nous est hostile, nous changerons la loi électorale par un référendum organisé dès l’été prochain, puis la Présidente dissoudra l’Assemblée… » annonce au « Canard » Gilles Lebreton, professeur de droit public, député européen FN et membre du « conseil stratégique de campagne de Le Pen »
A tel point qu’un projet de loi prêt à être inséré dans la Constitution serait déjà rédigé au Rassemblement National, a assuré la candidate, qui promet que cette réforme pourrait répondre à la « crise démocratique ». Sauf que, en élisant des partis et non plus des candidats, les citoyens n’auront plus de représentants locaux dans l’Hémicycle et que le système de copinage politique risque de s’accentuer.
Surtout, un bref regard dans l’Histoire nous permet de voir à quel point cette manœuvre politique est une attaque directe à la démocratie.
Historiquement, l’effacement de toute séparation entre la présidence de l’Etat et l’écriture des lois préfigure le fascisme. Ce mouvement politique apparu en Europe au siècle dernier inventait justement le passage depuis la démocratie à l’autocratie en régime Républicain. Pour continuer à se justifier comme Républicanisme, il s’accompagne communément de recours à la consultation populaire, par plébiscite ou référendum.
Substitut de démocratie, le référendum permet de faire miroiter au pays le fantasme d’une fusion sacrée entre le peuple et son dirigeant. Il donne un semblant de consistance à la propagande selon laquelle la volonté du chef est celle du peuple, et selon laquelle le parti unique est simplement l’outil de cette volonté, ce qui n’explique qu’aucun autre parti ne peut s’y opposer. L’autocratie se prétend plus proche du peuple que la démocratie.
En 1928, le mouvement Fasciste, celui de Mussolini, lance un référendum pour savoir si oui ou non, il faut asseoir au parlement les députés qu’il a lui-même choisi, et obtient « Oui » à 98%. En 1934, le mouvement Nazi d’Hitler aura aussi recours à un référendum pour ratifier sa décision de réunir en un seul rôle la Présidence et de la Chancellerie Allemande. La propagande, l’engouement pour le nazisme et les techniques d’intimidation du parti lui permettront d‘obtenir 89,93% de « Oui ». L’usage de référendums permet de donner un semblant de réalité au fantasme d’une Allemagne absolument unie autour de son führer.
« Même si cela peut paraître technique, ce qui se joue est absolument fondamental. Marine Le Pen prépare un véritable coup de force contre nos institutions, la démocratie et l’Etat de droit. Si nous ne nous mobilisons pas d’ici le 24 avril, le pire est vraiment possible. Et n’oublions jamais : l’Histoire nous a appris qu’avec les fascistes, nous savons quand ils prennent le pouvoir mais jamais quand ils le rendent. » avertit Jérôme Auslender, Docteur en droit international à Panthéon-Assas université
Comme pour lui donner raison, Marine Le Pen a déjà déclaré qu’elle compte bien utiliser le très contesté article 49 alinéa 3, qui permet à l’exécutif de faire adopter une loi sans vote à l’Assemblée nationale. Dès lors, il n’est pas étonnant que cette mesure de scrutin à la proportionnelle soit si peu développée dans son programme et qu’elle ne mentionne jamais l’État de droit ou les libertés fondamentales dans ses discours. Attention, danger fasciste !
Avec la participation de Pierre Boccond-Gibod et Florian Grenon.
Crédit photo couv : Thomas SAMSON / AFP
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