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Rébellion contre Shell qui veut faire des détonations sismiques sur la Côte Sauvage

« Nous parlons d'un bruit massif dans l'océan », explique Janet Solomon, d'Oceans Not Oil. « C'est comme un vaisseau spatial qui décolle. »

En Afrique du Sud, la mobilisation prend de l’ampleur contre le projet d’exploration gazier et pétrolier de Shell. La major pétrolière a provoqué un tollé en dévoilant l’étude sismique tridimensionnelle qu’elle veut effectuer au large de la Côte Sauvage, dès le 1er décembre. Pour trouver des gisements de pétrole et de gaz, la multinationale prévoit d’émettre des « ondes de choc extrêmement fortes », comparables à des détonations sismiques, qui pénètrent à travers 3 km d’eau et 40 km sous la croûte terrestre dans le fond marin, mettant en grand danger toute la vie marine unique de la Côte Sauvage, et ce pendant 5 mois. Face à un désastre environnemental annoncé, plus de 100 000 personnes ont signé une pétition et les locaux mènent des actions pour stopper ce projet écocidaire.

Des détonations sismiques et des énergies fossiles

Le long de l’océan Indien, la Côte Sauvage est une étendue de 300 km de beauté naturelle, parsemée de réserves marines et naturelles, en Afrique du Sud. Mais un projet gazier et pétrolier menace désormais ce havre de biodiversité.

La firme anglo-néerlandaise Shell a récemment annoncé son intention de commencer l’exploration aux énergies fossiles dans cette partie du monde, sur une zone de 6 011 km² dans l’océan Indien. L’exploration devrait durer entre quatre et cinq mois, en fonction des aléas climatiques et naturels, et commencer dès le 1er décembre.

Concrètement, Shell veut lancer une étude sismique tri-dimensionnelle à la recherche de gisements de pétrole ou de gaz de Morgan Bay à Port St Johns. La zone d’étude se situe à plus de 20 km de la côte à son point le plus proche, à des profondeurs allant de 700 m à 3000 m sous l’eau.

Pour effectuer son levé sismique offshore en trois dimensions (3D), le navire piloté par les sous-traitants de Shell Exploration and Production SA, Shearwater GeoServices, doit, pendant cinq mois, traîner jusqu’à 48 canons à air comprimé qui vont déclencher des émissions d’ondes de choc extrêmement fortes, pénétrant à travers 3 km d’eau et 40 km dans la croûte terrestre sous le fond marin.

Ce son de haute intensité atteint 230 à 250 décibels, et représente une menace terrible pour tout l’écosystème marin qui aurait le malheur de se trouver sur le passage des déflagrations sonores.

C’est pourquoi ce projet a suscité l’indignation des scientifiques marins, des citoyens et des organisations environnementales, qui ont sonné l’alarme sur les effets nocifs potentiels de ces puissantes explosions sous-marines profondes sur les écosystèmes marins, et cela sans avoir impliqué la population locale au préalable.

« Au cours de ce relevé sismique, la vie marine de la Côte Sauvage sensible pourra être prise de panique et gravement blessée. Les baleines, dauphins, phoques, pingouins, requins et même les crabes, le plancton et les minuscules coquillages seront détruits. Nous parlons d’un bruit massif dans l’océan », explique Janet Solomon, de la coalition Oceans Not Oil. « C’est comme un vaisseau spatial qui décolle. »

La Côte Sauvage en Afrique du Sud – Crédit : Pank Seelen

Le danger sur la vie marine

Face au danger, la coalition Oceans Not Oil a lancé une pétition dont le nombre de signatures augmente constamment. En moins de deux semaines, elle a déjà récolté près de 110 000 signatures.

« Partout où des relevés sismiques sont entrepris, il y aura un impact négatif », insiste Kevin Cole, naturaliste au East London Museum, auprès du journal hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian

Le projet de Shell pourrait ainsi produire « une onde de choc extrêmement forte toutes les 10 secondes, 24 heures sur 24, et ce pendant 5 mois », soit 8640 détonations par jour, selon les environnementalistes.

Or, cette onde de choc est un véritable danger pour la vie marine qui a évolué en s’appuyant notamment sur le son pour évoluer dans l’environnement océanique sombre.

« Les animaux marins sont très sensibles au son acoustique. Les poissons et mammifères marins dépendent du son pour communiquer avec les membres du groupe et les jeunes, trouver de la nourriture, se reproduire, éviter les prédateurs et les dangers, naviguer et détecter leur environnement. Il n’y a pas de recherche de base sur les effets que ces levés sismiques auront sur l’environnement marin de Morgan Bay à Port St Johns ; mais en général, ils sont connus pour provoquer des changements de comportement dans la vie marine, du stress, des embolies et des lésions aux tissus corporels, » détaille Kevin Cole

Baleine de Bryde – Crédit : Morningdew

Pour les cétacés, « de tels changements de comportement impliquent une modification des temps de plongée et du temps passé à la surface ce qui entraîne des coûts énergétiques [perte d’énergie] importants, les obligeant à se déplacer sur de grandes distances pour s’éloigner des sons dérangeants, pour n’en citer que quelques-uns. La recherche de nourriture et l’allaitement peuvent également être perturbés. Les bébés cétacés, séparés de leur mère en raison des niveaux de bruit élevés, ne pourront plus téter pour se nourrir. »

Chez ces mammifères marins, le stress provoque des changements physiologiques qui peuvent affecter leur croissance, leur reproduction et également entraîner leur mort. Les effets physiques sur se manifestent par des embolies, des lésions aux tissus corporels et une perte auditive temporaire ou permanente. Une véritable condamnation à mort pour ces êtres sociaux.

L’inquiétude des écologistes est à son comble en ce qui concerne l’impact du projet sur les baleines, des animaux bien connus pour leurs chants majestueux qui leur permettent de communiquer, trouver de la nourriture et se déplacer.

Message de sensibilisation pour sauver la Côte Sauvage – Crédit : Oceans not Oil

Bien que les relevés sismiques auront lieu en-dehors de la période migratoire des espèces les plus emblématiques comme les baleines à bosse et les baleines franche australes, différentes espèces sont présentes sur la Côte Sauvage tout au long de l’année comme les baleines à bec plongeuses, les rorquals de Bryde et les cachalots.

Malgré leur taille imposante, ces êtres aquatiques restent discrets et les données manquent encore pour avoir une compréhension claire de leur répartition, leur nombre et leur comportement.

Et ce manque de suivi concerne toutes formes de vie présentes sur la zone : coraux, planctons, tortues, calmars et poissons mésopélagiques (vivant 200m à 1000m de profondeur). Des données pourtant cruciales afin de limiter les dégâts d’un tel projet d’exploration.

Pour le Dr Simon Elwen, zoologiste à l’Université de Stellenbosch, la meilleure façon d’atténuer les impacts des relevés sismiques est tout simplement d’abandonner cette recherche effrénée d’énergies fossiles, car « nous avons maintenant des énergies renouvelables ».

Surtout, les écologistes cherchent maintenant à prouver le lien entre des relevés sismiques sismiques effectués au KwaZulu-Natal en 2016, et les échouages importants de cétacés qui ont suivi l’opération. 5 des 41 aires marines protégées (AMP) d’Afrique du Sud se trouvent dans la zone concernée par le droit d’exploration du Transkei Block de Shell.

Baleine à bosse échouée, Afrique du Sud – Crédit : Bernard DUPONT

La colère contre Shell

De fait, l’Océan est le nouvel eldorado des industriels en mal de terres rares ou de gisements pétroliers et gaziers. Ce qui explique sans doute pourquoi, lors de la COP26, s’il y a bien eu quelques engagements politiques tonitruants contre la déforestation, l’Océan a été complètement délaissé par les pouvoirs publics.

Pourtant, c’est le premier puits de carbone de la planète. L’océan absorbe plus de 90 % du surplus d’énergie dû à la concentration accrue de ces GES anthropiques et 30 % du carbone émis chaque année par les humains. Depuis 1870, il en aurait séquestré 155 milliards de tonnes.

La major pétrolière Shell ne fait pas exception à la règle avec ce projet nommé « Transkei Exploration Area », lancé en 2013 et approuvé par le gouvernement sud-africain en juillet 2020.

Crédit : Oceans not Oil

Face à la vindicte populaire, la multinationale s’est voulue rassurante en expliquant avoir pris toutes les mesures nécessaires pour minimiser les dommages collatéraux des relevés sismiques sur la faune et la flore marine.

Shell a notamment déclaré qu’il y aura une zone d’exclusion de 500 mètres autour de la source sonore qui sera constamment surveillée, 24 heures sur 24, par des observateurs indépendants de mammifères marins à bord. Cette zone d’exclusion est de 20km pour les humains.

Des propos consensuels qui n’ont pas convaincu les locaux, fermement opposés au projet. Dans leur réponse, ils s’appuient notamment sur l’étude de Parsons et ses confrères (2009) qui rappelle que les « bonnes pratiques » environnementales, actées à l’international, pour ce type de relevé sismique ne reposent sur « aucune base scientifique ou efficacité prouvée ».

Crédit : Oceans not Oil

La ministre des Forêts, des Pêches et de l’Environnement sud-africaine, Barbara Creecy, a de son côté botté en touche en expliquant que ni elle, ni son ministère n’ont été impliqués dans la validation du projet puisqu’il l’a été par le Département des Ressources Minérales et de l’Energie du pays.

L’Afrique du Sud possède 15 centrales électriques dont 90% de l’électricité est produite avec du charbon, faisant de ce pays de 59 millions d’habitants le douzième émetteur mondial de gaz à effet de serre. Et les différents ministères sud-africains ne sont pas d’accord sur la façon d’améliorer la situation.

Alors que Barbara Creecy a rencontré son homologue française, Barbara Pompili, mi-octobre afin d’obtenir des subventions internationales pour financer sa transition énergétique, le Ministre des Mines Gwede Mantashe a boycotté la visite récente d’une délégation internationale de la COP26 et souhaite développer le gaz et le nucléaire.

Mais avec une approbation donnée en 2013, et alors que les scientifiques du GIEC ont lancé une énième alarme vitale au monde pour changer de modèle de société, les sud-africains sont « absolument, complètement et totalement horrifiés » par le projet.

Face au désastre annoncé, des manifestations sont organisées un peu partout par la population locale.

Crédit : Oceans not Oil

Les petits pêcheurs de calmars sont particulièrement inquiets pour leur activité : si une génération de calmars est anéantie, toute la pêche s’effondre. Une inquiétude partagée par les pêcheurs de subsistance de Port St John’s.

Le long de la côte, ce sont les hôteliers et les groupes de guides d’aventure qui sont profondément préoccupés par ce projet dévastateur pour la vie marine, source d’émerveillement pour les touristes de passage. Quant aux surfeurs et amoureux de l’Océan, ils ont placardé des affiches de Richards Bay à Nahoon Beach.

Sur les réseaux, la coalition Oceans not Oil a également lancé une grande campagne de mobilisation numérique pour faire connaître le problème au monde entier.

Les opposants reprochent à la multinationale de ne pas agir en connaissance de cause, face aux enjeux climatiques du XXIème siècle et au mauvais état dans lequel se trouve déjà l’Océan, déjà grandement menacé par les activités humaines qui le réchauffent, le dilatent et l’acidifient.

Lire aussi : Rapport du GIEC : les décisions prises aujourd’hui vont décider de la vie ou de la mort des océans et de la cryosphère

« Nous nous tournons tous la mer lorsque nous avons des soucis. C’est sur le rivage et sur l’eau que nous trouvons la paix et la sérénité. Nous le faisons depuis des dizaines de milliers d’années. Les plus anciennes empreintes d’hominidés trouvées à ce jour ont été découvertes à Nahoon Beach près de East London/eMonti/KuGompo. Pour beaucoup d’entre nous, cette mer est sacrée. Elle nous relie à qui nous sommes. La Côte Sauvage est le cœur sacré de notre littoral et les Sud-Africains veulent qu’elle le reste ainsi. Le gouvernement doit prendre en compte la population – c’est à quoi devrait ressembler un processus de participation du public. Nous disons à nos ministres de laisser nos précieux océans tranquilles – d’utiliser des énergies renouvelables et d’employer davantage de Sud-Africains pour le faire. » concluent-ils

Laurie Debove

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