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« Qu’est-ce qu’il reste quand on se fait gazer au milieu de la nuit alors qu’on tente de protéger des platanes centenaires ? »

Avec des rassemblements quasi quotidiens devant le Conseil régional, les militants tentent de faire pression sur Carole Delga, sa présidente.

En mars, quand ils ont constaté la répression contre les quelques personnes ayant voulu empêcher l'abattage de sept platanes à Vendine, sur le tracé de la future A69, des militants pensaient déjà à une grève de la faim. Le 1er septembre, lorsque Thomas Brail a été délogé de son arbre et qu'il a décidé de se mettre en grève de la faim, 8, puis 13 personnes ont décidé de suivre le mouvement : ce sont à Paris Thomas, Reva et Celik, en Mayenne, Camille, à Toulouse et dans le Tarn, Olga, Marion, Victoria, Françoise, Matthieu et Bernard et, au Burkina Faso, Yasmina, Martin, Latifa et Mahamoudou. Voici le témoignage de sept d'entre eux.

Olga, 21 ans, « boulangère un jour, boulangère toujours », 41 kg.

« La grève de la faim n’est pas mon moyen de lutte préféré, insiste Olga, je préférerais cultiver et faire du pain, mais je me sens obligée de combattre car ça ne rime à rien de monter un tel projet dans un monde que l’on détruit. »

La fatigue physique est maintenant constante, avec une covid déclarée depuis hier. Quant au moral, comme pour tous les grévistes, il fluctue.

« Par exemple, dimanche dernier, quand Thomas a été délogé de force à Paris, on a eu un coup de blues. Puis, avec l’émulation du groupe, nous avons commencé à penser à un courrier à adresser au ministre, à un rassemblement ici et à Paris et ça, ça nous a remonté le moral. »

Olga s’attendait à l’opération contre le grimpeur arboriste du GNSA à Paris le 24 septembre, « plus rien ne m’étonne, en réalité, on ne change rien. J’ai l’habitude de ces réactions des pouvoirs publics » dit-elle, désabusée.

Pétitions, manifestations, diverses actions de désobéissance civile, Olga a tout essayé jusqu’à faire partie des « écureuils » à Vendine. Elle a d’ailleurs cinq procédures juridiques en cours, dont trois relatives à l’A69. Elle est notamment interdite de présence sur le tracé de la future autoroute, c’est pour cela que nous l’avons rencontrée à Toulouse.

« Je considère que mon avenir est foutu donc je préfère avoir des procédures parce que j’agis que me dire que je n’ai rien tenté. »

Avec des rassemblements quasi quotidiens devant le Conseil régional, les militants tentent de faire pression sur Carole Delga, sa présidente.

« Je lui ai écrit d’ailleurs, une lettre déposée le 20 septembre, pour lui dire qu’elle était en contradiction avec son discours environnemental, sur le développement du train, etc. J’ai pointé ses incohérences et expliqué comment son attitude la desservait politiquement, elle que l’on dit « présidentiable ».

Marion est paysanne-boulangère. A 41 ans, elle fait partie du conseil d’administration de la Confédération paysanne de Haute-Garonne.

« J’étais concernée par les questions de souveraineté alimentaire, de circuits courts avant de m’engager auprès de La Voie est Libre (LVEL, le collectif qui s’oppose au projet d’autoroute depuis 2021) » explique-t-elle.

Vu le durcissement des méthodes en face et la violence des forces de l’ordre avec le paroxysme du 1er septembre à Vendine, la grève de la faim a fini par lui apparaître comme la réponse face à l’urgence à agir.

« Je ne suis pas surprise par les mots du ministre Clément Beaune et le silence de Carole Delga, je ne compte pas sur leur pitié, ni leur conscience politique. »

Lucide, Marion comme d’autres grévistes, espère que leur détermination soit plutôt une manière de relancer le mouvement et de mobiliser de nouveaux soutiens. Elle raconte, comme les autres, les phases de découragement où l’on ne voit pas le bout du tunnel, alternant avec de grands espoirs quand un nouveau soutien se manifeste, comme la tribune des 200 chercheurs de l’ATECOPOL déposée lundi dernier au Conseil régional.

Ils ont alors gagné en visibilité locale et cela justifie pour eux de continuer sur Toulouse, plutôt que d’être des supplétifs de Thomas à Paris. Pour Marion s’ajoute pourtant l’angoisse de ne plus pouvoir s’occuper dans quelque temps de ses enfants de 11 et 13 ans, surtout si elle doit rester seule chez elle, sans le groupe pour tenir.

« Est-ce que j’aurais cette force mentale ? » Dans ses rêves les plus fous, elle imagine une vraie médiation, où tout le monde aurait le même poids autour de la table, ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, sur le mode de la démocratie participative.

« Je respecte que les autres aient une opinion différente mais je pense que présenter tous les arguments, et en débattre, nous rapprocherait d’une solution. »

Marion

Matthieu habitait Mazamet avant de rejoindre la lutte contre l’A69, il a 46 ans et s’inscrit dans une démarche de décroissance.

Son déclic ? L’été 2022 terrible sur le plan du manque d’eau et de la chaleur. Son potager de 3000 m² a souffert, les réserves d’eau étaient dans un état critique.

« Je me suis dis, c’est pas possible, ils ne vont pas faire cette autoroute ! »

Alors il a participé à l’enquête publique qui a montré une opposition écrasante au projet et, devant le mépris des autorités, il s’est rendu à Vendine, où il campait depuis mars et où il s’est initié à la grimpe dans les arbres pour les protéger des coupes. Cela ne suffisait pas, il fallait essayer autre chose, d’où sa décision de se mettre en grève de la faim.

« Je pense qu’il faudrait arrêter les travaux, c’est fou de faire ça en 2023, cela fait 50 ans que le monde scientifique et les associations alertent sur le réchauffement climatique. Mais il y a trop d’argent en jeu pour arrêter les destructions. J’espère au moins que dans la Région et notamment à Toulouse, les gens seront mieux informés grâce à la médiatisation de notre grève de la faim. »

Victoria a 29 ans, elle est au chômage. Elle habite Loubens, sur le trajet de la future autoroute, elle n’osait pas au début s’insérer dans la lutte locale et puis, début mars, le hasard a fait qu’elle a rejoint Vendine au moment où Thomas Brail s’était installé dans les arbres d’alignement pour les défendre contre une coupe illégale. Elle l’y a rejoint.

Quant à la grève de la faim, même si certains en parlait déjà, pour elle, c’était « la dernière cartouche ». Quand elle a vu le 1er septembre le déploiement de force pour protéger l’abattage des arbres, l’arrestation d’Olga qui était montée sur une abatteuse, elle a pensé que plus rien n’était possible « les travaux avançaient, c’était le moment de faire cette grève de la faim ».

Aujourd’hui, à son 17e jour de grève, elle ne regrette rien, parce que les retombées médiatiques sont là, que pour elle, le fait que Thomas ait été délogé de son arbre devant le ministère à Paris, montre que les décideurs ont un peu peur pour leur image.

Si elle avoue avoir encore faim, elle salue comme ses compagnons un entourage aux petits soins, deux médics expérimentés qui veillent sur le groupe, la possibilité de parler à un médecin qui les informe.

« C’est une lutte on ne peut plus pacifique, je pense que cela peut toucher le grand public et l’amener à prendre conscience de ce qu’il se passe. Je reste cependant atterrée de constater que les décideurs jouent avec la vie de personnes et se renvoient la balle, sans rien assumer. J’en veux à la présidente du Conseil régional qui est d’ici, qui devrait se sentir concernée par la mise en danger de Tarnais et Haut-Garonnais. »

Françoise, 62 ans est psychologue, elle partage son travail entre Plaisance dans la banlieue toulousaine et Brassac, à côté de Castres. Surtout, la maison familiale est dans la montagne tarnaise, un endroit auquel elle est très attachée.

C’est au cours du grand week-end d’action d’avril dernier qu’elle s’est rapprochée des militants en lutte contre le projet d’autoroute. Fille d’agriculteurs et sensibilisée depuis très longtemps à l’écologie, elle est en colère par rapport aux nombreuses atteintes à l’environnement, à l’échelle planétaire.

« Signer des pétitions, distribuer des tracts, c’est bien, mais à un moment il faut passer à autre chose. » explique-t-elle.

« Je prends beaucoup de recul par rapport aux réactions des autorités, car je suis assez émotive. Mais je sais qu’en politique, on manie des symboles. Que ce ne sont que discours, effet d’annonces et injonctions contradictoires. Beaune ? Il cherche à mener des attaques qui vont plaire au grand public, sa réflexion sur le martyre de Thomas Brail est heureusement isolée. »

Sa démarche personnelle est d’abord une façon d’être solidaire avec une belle équipe et d’être active. Elle a conscience cependant que « ce n’est qu’une bataille, la guerre est plus vaste qui écrase les hommes et la nature. Sur le plan humain, ce qui se joue est essentiel. »

Bernard est le doyen du groupe de grévistes, du haut de ses 68 ans, une vie riche d’engagements, de métiers différents, exercé en indépendant mais toujours proche d’une communauté et à son service. Cela fait longtemps qu’il est impliqué contre ce projet installé dans le temps.

Au moment de l’enquête publique en 2017, il réalise que sa voix n’a jamais été entendue, ni écoutée. Il rejoint le collectif LVEL dès sa création. Pour lui, la grève de la faim est un choix stratégique qui lui semble utile pour pointer la fin du vivant.

« Qu’est-ce qu’il reste quand on se fait gazer au milieu de la nuit alors qu’on tente de protéger des platanes centenaires ? »

En tant qu’objecteur de conscience, Bernard a une haute idée de la grève de la faim.

« Ce n’est pas un folklore, c’est une stratégie ultime, comme l’entend Thomas Brail. Je suis un militant, je mets mes forces dans la balance tant que cela rend service. »

Quand il regarde du côté des instances politiques, il salue le travail des élus d’opposition à l’assemblée, notamment l’intervention de Annette Stambach-Terrenoir, députée LFI de Haute Garonne. En revanche, il trouve « odieuse » la façon dont Clément Beaune à sous entendu que Thomas avait été incité par le collectif à entamer sa grève de la faim, « alors que ce sont plutôt les procédés du gouvernement qui l’ont mis en danger ».

« Oui, je suis en colère, mais je m’en méfie et je sais qu’un remède à cette colère, c’est l’action. Nous avons beaucoup agi depuis 2021, nous avons construit un mouvement d’opinion, nous avons vu, le long de ce tracé, des gens qui ne se connaissaient pas devenir solidaire, amis parfois. C’est un mouvement dans la durée. »

Même si ces femmes et ces hommes ne se sont pas mis en grève de la faim ensemble, même si le groupe est physiquement éclaté, entre Toulouse et Paris notamment, les contacts et discussions sont permanents. La solidarité de ces militants, très forte, leur permet de discuter notamment de leurs doutes, par exemple sur la poursuite de la grève.

Chaque jour, la question se pose ouvertement et sans pression. Surtout, aucune date de fin n’a été posée, elle correspondrait au mieux à l’arrêt des travaux et à l’ouverture de discussion entre les opposants, les élus et le maître d’oeuvre NGE/ Atosca.

Bien sûr, selon l’état de santé de l’un ou l’une (par exemple, la covid d’Olga) ou la situation familiale (comme pour Marion) ou économique (pour Victoria) la grève de la faim peut s’arrêter à des niveaux individuels. La liberté de chacun est totale et rien n’est imposé au niveau du groupe.

Si le ministre de l’environnement refuse pour le moment de discuter avec le collectif La Voie Est Libre, des demandes de négociations sont encore sur le bureau de Carole Delga. Dans l’attente d’une avancée politique, LVEL et la coalition La déroute des routes maintiennent la pression en convoquant un large public à participer, comme ça avait été le cas le week end du 22 et 23 avril, à une « manif’action » intitulée « Ramdam sur le macadam » les 21 et 22 octobre.

Valérie Lassus

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