Navire Avenir est un phare dans la nuit. Face à l’inaction de l’Europe et le durcissement des frontières, le premier bateau spécifiquement conçu pour le sauvetage en haute mer apporte une solution à la hauteur de l’urgence des crises humanitaires et migratoires actuelles. Ce navire, porté par une coalition d’ONG et de collectifs citoyens, est pour le moment financé par le monde de la culture. L’association PEROU (Pôle d'Exploration des Ressources Urbaines), à l’initiative du projet, espère récolter les fonds nécessaires rapidement, pour pouvoir le construire et le mettre à l’eau dans les plus brefs délais.
Le premier navire conçu pour répondre à la crise humanitaire
Les données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sont alarmantes. Depuis le début de l’année, environ 2300 personnes sont portées disparues en essayant de traverser la Méditerranée. Depuis 2014, c’est 28 000 morts estimés sur la route la plus empruntée et dangereuse en Méditerranée centrale.
Actuellement, aucun navire n’a été spécifiquement conçu pour le sauvetage de migrants. Les rares bateaux mobilisés pour sauver des vies sont d’anciens chalutiers, souvent inadaptés aux défis rencontrés en mer.
Navire Avenir sera un catamaran de 69 mètres de long et 22,3 mètres de large, avec une embarcation agile qui s’adapte aux situations d’urgence. Les créateurs, fins connaisseurs de bateaux à voile, ont fait le choix d’hybrider sa propulsion entre moteur et éolien pour réduire les émissions de CO2.
Ce navire répond à l’une des conséquences de la crise climatique, qui exacerbe les mouvements migratoires. Selon un rapport de 2021 de la Banque Mondiale, 216 millions de personnes pourraient devenir des réfugiés climatiques d’ici 2050. Navire Avenir incarne une démarche écologique, prenant soin de la vie humaine.
Coalition d’ONG et de collectifs citoyens
C’est Sébastien Thiéry, artiste, politologue et coordinateur du projet PEROU qui a imaginé Navire Avenir en 2021. Élaboré par des rescapés, des marins-sauveteurs, des soignants, des chefs cuisiniers et des pilotes sur Marseille, le cahier des charges repose sur des recherches précises.
Le sauvetage de personnes polytraumatisées requiert des techniques spécifiques d’intervention, d’accueil et de soins. Ce bateau sera équipé de radars de haute précision, de canots de sauvetage rapides et d’un pont spacieux et modulable. En tant que conseiller d’administration, Arthur Le Vaillant, également navigateur, militant écologiste et co-créateur de Sailcoop, soutient depuis longtemps ce projet.
« Navire Avenir a été dessiné avec un hôpital à bord, avec l’objectif de pouvoir accueillir entre 300 et 400 personnes dans les meilleures conditions possibles » livre-t-il pour La Relève et La Peste.
Bien qu’il soit encore en phase de conception, artistes, scientifiques, économistes, anthropologues, juristes et citoyens se sont également rattachés au projet.
« Il y a une vraie urgence à développer ce projet, symboliquement fort et juste. La démarche de porter assistance, c’est vraiment quelque chose qui est essentiel pour les marins. Si on doit être sauvé en mer lors des courses, c’est le marin le plus proche, notre concurrent, qui le fera. Donc on développe une forme de solidarité, notamment quand on navigue en solitaire » continue Arthur.
Une œuvre d’art soutenue par le monde de la culture
À ce jour, l’association PEROU a déjà récolté plus d’un million d’euros. Mais il lui manque encore près de 6 millions pour démarrer le chantier et environ 27 millions pour finaliser la construction du navire. Le financement de ce projet, clivant sur le plan politique, est principalement citoyen et non porté par des gouvernements ou grandes institutions.
Même si au niveau européen, des députés se sont saisis du projet et veulent faire avancer les choses. Depuis plusieurs mois, l’eurodéputée et navigatrice Catherine Chabaud (Modem) s’emploie activement à sensibiliser les parlementaires à ce projet. Selon elle, la création d’un pavillon européen représenterait « un signal fort » pour l’Union européenne et permettrait de construire « des standards sociaux, environnementaux et humanitaires européens sur les navires de sauvetage ».
Pour l’architecte naval et président du projet, Marc Van Peteghem, Œuvre est l’impératif du verbe « œuvrer ». Le projet Navire Avenir s’appuie sur une dimension artistique, à la fois pour la force d’expression qui joue un rôle fondamental ainsi que pour le soutien du milieu culturel. À bord, des espaces dédiés à la création artistique – ateliers d’écriture, de peinture, de photographie et de musique – favoriseront l’expression et le partage.
Puissants vecteurs de témoignages sur les tragédies humaines qui se jouent en Méditerranée, les œuvres produites pourraient être présentées dans différents musées à travers l’Europe.
Considéré comme équivalent à une sculpture ou un tableau, Navire Avenir bénéficie de financements émanant de structures culturelles nationales, qui ont déjà été une soixantaine à s’engager concrètement. Ces institutions sont devenues des lieux d’échanges et de rencontres pour le collectif, invitant le public à s’informer sur le projet et ses enjeux.
La résistance maritime face au naufrage moral des gouvernements
Au-delà de l’action humanitaire, Navire Avenir dénonce aussi l’irresponsabilité d’une Europe aux frontières étanches et politiques répressives, qui laisse les ONG faire son travail, tout en les criminalisant.
Frontex, l’agence européenne de contrôle des frontières, critiquée pour sa complicité dans des refoulements illégaux et son indifférence aux violations des droits humains, a fait savoir qu’il ne participerait pas au projet.
Face à cette situation, Navire Avenir se positionne comme symbole de résistance maritime et s’engage à respecter l’obligation de porter assistance en mer, tel que le prévoit le droit international.
Cependant, le chemin semble houleux. Les navires humanitaires subissent depuis des années de l’acharnement administratif et des pressions diplomatiques, comme le cas de l’immobilisation des bateaux de sauvetage Aquarius et Ocean Viking à plusieurs reprises.
« Le futur nous réserve de gros sujets de migrations liés au règlement climatique et aux conflits. On aurait besoin de multiplier ce type de bateau pour les incendies en Europe, les tsunamis en Asie mais aussi pour de l’aide humanitaire à Gaza par exemple » termine Arthur.
À terme, ce navire pourrait devenir un prototype d’une flotte de bateaux servant l’assistance mondiale dans un contexte de crises diverses et variées.
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