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Amendes et sursis pour les agriculteurs ayant construit le barrage illégal de Caussade

Pousser les travaux le plus loin possible, détruire les terrains pour empêcher les constats, jouer sur les ambiguïtés juridiques, mettre les pouvoirs publics devant le fait accompli : c’est une stratégie bien connue de quiconque entreprend de grands chantiers en contournant les autorités environnementales.

Mise à jour. Nouvelle étape dans la saga judiciaire du barrage illégal de Caussade. En appel, le tribunal d’Agen a finalement décidé de ne pas confirmer les peines de prison ferme requises contre Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken en juillet 2020. Les deux hommes ont vu leurs peines ramenées à dix mois avec un sursis probatoire de dix-huit mois, et sont condamnés à des amendes d’un total de 86 900€ à eux deux.  La Chambre d’Agriculture a été quant à elle condamnée à 40 000 euros d’amende, dont 20 000 avec sursis.

À quelques jours des conclusions du Varenne agricole qui menace de déstabiliser la politique de l’eau en France, la décision était vivement attendue par les associations de protection de l’environnement.

« C’est une première et France Nature Environnement s’en félicite : enfin des délinquants environnementaux, élus dirigeants de la Chambre d’agriculture ont été condamnés par la justice française, tout comme la Chambre consulaire elle-même. À l’issue d’une saga politique et judiciaire qui dure depuis l’été 2018, Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, président et vice-président de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, ont été condamnés en appel pour avoir construit un barrage illégal. Toutefois nous observons avec regret que la justice réduit les peines sous la pression du monde agricole et des élus locaux, ce qui témoigne du fait qu’elle n’est pas à la hauteur de l’urgence écologique. Il est vraiment temps que la France se dote de véritables juridictions spécialisées dans l’environnement. » a réagi France Nature Environnement dans un communiqué

En respect de la décision prise en première instance, les deux accusés devront tout de même payer 7 000 euros d’amende chacun et, au titre du préjudice moral à l’égard des plaignants, de 25 000 euros de réparation pour France Nature Environnement (FNE) et pour la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso), auxquels s’ajoutent 15 000 euros pour l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières, truites, ombres, saumons. Ils devront également dédommager Enedis, dont des installations ont été endommagées lors du chantier de Caussade, à hauteur de 32 900 euros.

Alors que leur ouvrage, illégal, reste actuellement « exploité au su de tous« , les associations plaignantes ne veulent pas en rester là et demandent à ce que le Préfet « use de ses pouvoirs les plus coercitifs pour que le site de Caussade soit remis en état dans les meilleurs délais ».

Les accusés, quant à eux, se sont montrés ravis de ce « camouflet pour les associations environnementales ». Preuve que le dossier est tendu, cette audience en appel a été marquée de vives tensions.

Les quatre représentants de FNE, dont ses deux avocates, n’ont pas pu pénétrer par l’entrée principale en raison de la présence de plusieurs centaines de manifestants, ayant répondu à l’appel de la Coordination rurale. et avaient dû rentrer discrètement par l’arrière du bâtiment, escortés par les forces de l’ordre.

Jean-Pierre Lacave, l’ancien président de la Sepanso, a même été la cible d’insultes et bombardé d’œufs et de pommes pourries par un groupe d’une dizaine ou quinzaine de personnes, avant d’être secouru par la police, lorsqu’il est retourné à sa voiture. Plutôt âgé et de santé fragile, M. Lacave, a déposé une plainte auprès du procureur du tribunal d’Agen quelques jours plus tard.

Article initialement publié le 14 juillet 2020 –

Nouveau rebondissement dans l’histoire ubuesque de la digue de Caussade. Vendredi 10 juillet, les promoteurs de cet ouvrage controversé, Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, président et vice-président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, ont été condamnés par le tribunal judiciaire d’Agen à des peines de prison ferme. Le premier écope de huit mois, le second de neuf, tous les deux de 7 000 euros d’amende. Un revers qui devrait relancer une énième fois le dossier.

Un conflit autour de l’eau

Voilà quatre ans que la commune Pinel-Hauterive, dans le Lot-et-Garonne, défraie régulièrement l’actualité. Et pour cause : c’est dans la plus complète illégalité que la chambre d’agriculture du département y a fait construire une retenue d’eau de 300 mètres de long, 12,5 mètres de haut, et d’une capacité de 920 000 mètres cubes.

Ce lac artificiel de 20 hectares est censé accueillir les eaux de la Caussade, le ruisseau qui traverse Pinel-Hauterive, et les reconduire vers une trentaine d’exploitations où l’on cultive maïs, oignons, betteraves et pruneaux, ainsi que vers le débit du Tolzac, un affluent de la Garonne qui a tendance à s’assécher en été.

Le projet de barrage remonte aux années 1980, mais connaît une accélération à partir de 2011. Le Syndicat départemental des collectivités irrigantes du Lot-et-Garonne (SDCI), une structure affiliée à la Coordination rurale, souhaite résoudre une bonne fois pour toutes les problèmes de sécheresse chronique que connaissent les agriculteurs locaux.

Coût estimé : 3 millions d’euros, financés aux deux tiers par la région et le conseil départemental. Le SDCI achète alors les terrains et dépose en 2017 une demande d’autorisation de travaux auprès de la préfecture. Il est vivement soutenu par les élus du Lot-et-Garonne. C’est à ce moment-là que le dossier va exploser.

Le 29 juin 2018, après une enquête publique positive, la préfecture du Lot-et-Garonne donne son aval à la construction de la retenue d’eau, sans tenir compte des réserves de l’autorité environnementale et de plusieurs avis défavorables de l’Agence française pour la biodiversité (AFB, devenue récemment OFB).

Cette dernière alerte à deux reprises les promoteurs du barrage sur la présence d’espèces protégées et l’inadéquation du projet vis-à-vis des normes de gestion de l’eau. Outre le volet « biodiversité », qui passe toujours le premier à la trappe, le SDCI évite toutes les procédures mises en place depuis le conflit du barrage de Sivens, dans le Tarn, qui a abouti à la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, le 26 octobre 2014, et à l’abandon du projet.

La retenue d’eau

Un passage en force

En juillet 2018, tout est prêt : les travaux sont sur le point de commencer. Mais l’association France Nature Environnement et la fédération Sepanso, implantées localement, contestent l’ouvrage et décident de déposer un recours au tribunal administratif de Bordeaux. L’affaire fait grand bruit et parvient jusqu’aux ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, dont les locataires demandent à la préfecture de retirer son autorisation.

Le scandale du barrage de Sivens a traumatisé le monde politique. Le 15 octobre 2018, la préfète du Lot-et-Garonne s’exécute et quelques semaines plus tard, le tribunal administratif interdit d’entamer le chantier, sans rendre encore de jugement de fond. Une situation instable que les promoteurs vont exploiter.

Pousser les travaux le plus loin possible, détruire les terrains pour empêcher les constats, jouer sur les ambiguïtés juridiques, mettre les pouvoirs publics devant le fait accompli : c’est une stratégie bien connue de quiconque entreprend de grands chantiers en contournant les autorités environnementales.

Elle fut appliquée par le conseil départemental du Tarn dans le dossier du barrage de Sivens, suivie par la famille missionnaire de Notre Dame à Saint-Pierre-de-Colombier, et dûment mise en œuvre par le SDCI pour la retenue d’eau de Pinel-Hauterive.

Ainsi, à la fin de l’année 2018, camions, bulldozers et pelleteuses envahissent les quelque 20 hectares de terrains naturels achetés par le syndicat et érigent la digue en seulement trois mois, un temps record pour ce genre d’ouvrages, certainement favorisé par l’absence de concertation et de contrôle. Comme on peut le voir sur les photographies du site, les zones naturelles ont été entièrement saccagées ; leur biodiversité n’est plus qu’un lointain souvenir.

Quand les travaux commencent, la préfecture de la région de Nouvelle-Aquitaine porte plainte, mais le maître d’ouvrage a entre-temps changé. Comme par magie, c’est la chambre d’agriculture qui dirige désormais le chantier. Les pouvoirs publics sont donc impuissants, en l’absence d’un jugement du tribunal administratif, d’autant que le barrage est situé sur un terrain privé.

En janvier 2019, alors que les travaux sont bien avancés, les gendarmes se rendent sur les lieux. Ils veulent poser des scellées sur les engins de construction. Mais plusieurs centaines d’agriculteurs sont rassemblés sur le site et en bloquent l’accès. Les forces de l’ordre repartent bredouilles. Ce sera la seule tentative d’intervention menée par la préfecture. Que se serait-il passé si des militants écologistes y avaient déclaré une nouvelle « zone à défendre » ?

Glaïeul des moissons, l’un des espèces végétales protégées du site – Jean-Pol GRANDMONT

L’intervention sous contrainte juridique de l’Etat

Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne et principal défenseur du lac artificiel, fait le plus grand bruit dans les médias et mobilise toutes les ressources à disposition : élus locaux, députés, syndicats, sympathisants…

Il prétend représenter la France rurale, contre les « oukases » des élites parisiennes déconnectées, affirme que les agriculteurs sont de meilleurs spécialistes de la biodiversité que les intellectuels de l’OFB, met en cause la préfecture et omet toutes les alertes que lancent les organismes de contrôle de la gestion de l’eau. Grâce à cette stratégie incendiaire, le barrage a bel et bien été construit. En février 2019, les ouvriers en sont arrivés aux finitions.

Et le 28 mars 2019, le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est enfin rendu : la digue de Caussade est illégale et ne peut être justifiée par une gestion durable de l’eau. L’État peut désormais intervenir dans le dossier. Le 2 mai, un arrêté décisif est publié : la retenue d’eau devra être vidée d’ici trois mois et le site remis en état d’ici un an et demi.

Un million d’euros seront saisis sur les comptes bancaires de la chambre d’agriculture, une caution devant pousser les promoteurs du barrage à faire marche arrière. Cependant, sur fond de menaces de mort adressées aux représentants des associations et de démarches politiques en haut lieu, la préfecture du Lot-et-Garonne finit par suspendre son arrêté. Il faut dire que le mal est fait et que les agriculteurs sont remontés. Ils se déclarent prêts à se révolter.

Le 26 juillet 2019, l’association France Nature Environnement annonce qu’elle porte plainte auprès de la Commission européenne : l’État français ne peut plus masquer son impuissance. Pendant ce temps, la préfecture mandate une expertise sur la solidité de l’ouvrage et le gouvernement envoie sur place des inspecteurs.

Rapports, synthèses et visites de contrôle se succèdent pendant de longs mois et indiquent à l’unisson que le barrage présente des défauts de sécurité. Construite dans la précipitation, sans respecter les normes en vigueur, située sur un terrain en pente, la digue pourrait céder en cas de gros orage. Les habitants du voisinage se tiennent prêts à l’évacuation. La préfecture ordonne plusieurs fois la vidange, sans résultat.

Cet été, le bassin est toujours rempli et les agriculteurs ont été autorisés par le gouvernement à employer l’eau sur les récoltes. Selon France Nature Environnement, cette autorisation représente une « récompense de la délinquance environnementale ».

L’association s’est également constituée partie civile dans une plainte déposée au tribunal judiciaire d’Agen (Lot-et-Garonne). L’audience s’est tenue le 3 juillet, à l’encontre de trois prévenus, la chambre d’agriculture, son président et son vice-président, Patrick Franken, accusés d’avoir entrepris des travaux « susceptibles de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource, d’accroître le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique » et pollué le ruisseau en y déversant terre et sédiments à l’occasion des travaux.

Le jugement du 10 juillet dernier marque ainsi une nouvelle étape dans ce dossier qui n’en finit par de remuer préfectures, tribunaux et ministères. Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken ont été condamnées à neuf mois de prison ferme pour le premier et à huit mois ferme et quatorze mois de sursis pour le second. Chacun écope d’une amende de 7 000 euros. La chambre d’agriculture, devenue maître d’ouvrage de la retenue d’eau, est condamnée à 40 000 euros d’amende. Les deux hommes ont fait appel de cette décision de justice. L’affaire est donc loin d’être terminée.

crédit photo couv : Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Augustin Langlade

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