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Pour contrer l’hégémonie de la pêche industrielle, Mer de liens veut aider des artisans à s’installer

« Dans nos rêves les plus fous, l'objectif serait de réussir à inverser la tendance et de réussir à racheter des chalutiers pour répartir leurs licences et quotas à destination de bateaux vertueux, qui pêcheraient à l'hameçon et à la voile par exemple »

Inspiré de la foncière agricole Terre de liens, le projet, porté par l'association Pleine Mer, aspire à racheter des bateaux afin de permettre à des pêcheurs artisans qui pratiquent une pêche durable de lancer leur activité. Un projet encore embryonnaire, qui pourrait apporter une solution concrète face à la concentration des quotas de pêche dans les mains des géants de la pêche industrielle.

Des quotas monopolisés par la pêche industrielle

Dans le monde agricole, on ne présente plus l’association Terre de liens. Fondée il y a une vingtaine d’années pour lutter contre l’accaparement des terres par l’agro-industrie, l’association rachète des terres grâce à l’épargne citoyenne afin de permettre à des paysans de s’installer en agriculture biologique. Une démarche précurseuse, qui pourrait prochainement avoir son pendant en mer grâce au projet Mer de liens.

Lancé en 2022 par l’association Pleine Mer, ce projet encore embryonnaire vise à racheter des bateaux de pêche afin de permettre à des pêcheurs artisans qui pratiquent une pêche durable de lancer leur activité. Des rachats de bateaux auxquels ces derniers peinent aujourd’hui à accéder face aux géants de la pêche industrielle, qui monopolisent les licences comme les quotas de pêche.

« Pour lancer son activité, un pêcheur artisan doit impérativement obtenir des licences, puisque ce sont elles qui vont lui permettre de pêcher légalement un certain type d’espèces sur un lieu donné, entame Charles Braine, président de Pleine Mer, pour La Relève et La Peste. Mais dans les faits, elles sont très difficiles à obtenir, car elles ont pour la plupart toutes déjà été attribuées. »

Surtout, le système des quotas qui prévaut actuellement en France « défavorise les pêcheurs artisans au profit de la pêche industrielle », continue Charles Braine. Destinés à gérer de façon durable et équitable les stocks de poissons afin d’encadrer les volumes de capture et protéger les espèces surpêchées, ces quotas sont répartis entre les différents pays de l’Union européenne (UE).

En France, ils sont ensuite partagés entre pêcheurs via un système de répartition basé sur les « antériorités de capture », c’est-à-dire en fonction de la quantité de poissons pêchés par les pêcheurs sur trois années de référence, à savoir 2001, 2002 et 2003.

« Le problème, c’est qu’avec ce système, plus un navire a pêché pendant cette période, plus il obtiendra de quotas, déplore Charles Braine. Par conséquent, les pêcheurs industriels, qui pêchent le plus, accaparent toujours plus de quotas, pendant que les pêcheurs artisans en obtiennent toujours moins. »

Une répartition des quotas qui ne prend donc en compte ni l’impact environnemental des méthodes de pêche, ni leurs répercussions socio-économiques, mais seulement le volume de poissons pêchés.

« Avec cette répartition, c’est vraiment à qui sera le plus bourrin », fustige Charles Braine, avant de rappeler l’exemple paradigmatique du thon rouge, dont les quotas de pêche sont presque entièrement attribués à la pêche industrielle méditerranéenne.

Charles Braine – Crédit : Javier Belmont

Mer de Liens, un projet inédit en cours de construction

Face à la concentration des licences et quotas de pêche aux mains de la pêche industrielle, l’ambition de Pleine Mer de réussir à racheter des bateaux de pêche pour en faire profiter des pêcheurs artisans qui pratiquent la pêche durable paraît aussi essentielle que titanesque.

« Dans nos rêves les plus fous, l’objectif serait de réussir à inverser la tendance et de réussir à racheter des chalutiers pour répartir leurs licences et quotas à destination de bateaux vertueux, qui pêcheraient à l’hameçon et à la voile par exemple, avance Charles Braine, le ton enjoué. Pour le moment, on en est encore loin, mais on avance », continue celui qui, « né dans une famille d’intellos, [est] tombé amoureux de la mer tout gamin déjà ».

Dans cette optique, l’association Pleine Mer réfléchit actuellement à la forme juridique à donner à Mer de liens. L’association se questionne également sur la façon de racheter les quotas de pêche et le rôle que l’épargne citoyenne va pouvoir jouer dans le projet.

« On ne sait pas encore non plus comment les bateaux, une fois rachetés, vont être mis à disposition des pêcheurs, détaille Charles Braine. A Terre de liens par exemple, l’association reste propriétaire du foncier, qu’elle met ensuite à disposition des agriculteurs, mais dans le milieu de la pêche, ça ne pourrait pas fonctionner, assure-t-il. Il y a une très forte culture de la propriété du bateau, et puis la vente du bateau représente une part très importante de la retraite. C’est des points qu’il est indispensable de prendre en compte dans notre réflexion. »

Autre sujet de réflexion, et non des moindres : définir ce que signifie la pêche « durable », afin de déterminer les critères qui permettront aux pêcheurs artisans de bénéficier, ou non, du projet Mer de liens.

« Pour le moment, ces critères ne sont pas arrêtés et ils vont certainement être adaptés selon les régions », souligne Charles Braine.

Dans la droite lignée du rapport de l’association Bloom, « Changer de cap », qui détaille les avantages autant économiques qu’écologiques de la pêche artisanale, le pêcheur militant assure cependant vouloir « soutenir une pêche à faible impact environnemental, qui maximise l’emploi et qui permette aux pêcheurs d’être polyvalents ».

De Mer de liens aux élections européennes

Pour l’heure, difficile de quantifier le nombre de pêcheurs qui pourront bénéficier du projet Mer de liens. « Si on arrive à racheter un ou deux bateaux d’ici l’année prochaine, ce sera déjà bien, assure Charles Braine. On préfère prendre notre temps pour ne pas avoir uniquement un rôle de faux banquier, mais vraiment accompagner les pêcheurs et s’assurer leur installation soit pérenne. »

Déterminé à faire advenir ce projet « pirate », comme Charles Braine aime à l’appeler, ce dernier n’en reste pas moins convaincu que Mer de liens ne résoudra pas à lui seul le problème de la concentration des licences et quotas de pêche aux mains de la pêche industrielle.

« Il faut continuer à faire du plaidoyer pour qu’enfin la législation change et que les quotas de pêche soient mieux répartis en faveur de la pêche artisanale, comme le stipule d’ailleurs déjà l’article 17 de la Politique commune des pêches (PCP) », assure celui qui vient d’ailleurs d’être annoncé candidat aux prochaines élections européennes sur la liste écologiste.

« Le modèle français de la pêche n’est pas viable, conclut Charles Braine. Il est peu pourvoyeur d’emplois et écologiquement, c’est une catastrophe. Même sans nous, il finira par s’écrouler. Ce qu’on essaie, c’est de proposer une voie de sortie et montrer que la pêche peut évoluer. »

Cecile Massin

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