De 1993 à 2010, ce sont près de 2150 gigatonnes d’eau douce qui ont été pompées pour répondre aux besoins de l’activité humaine. Et d’après une récente étude publiée en juin par le Geophysical Research Letters, cette activité, concomitamment à la fonte des glaces a eu pour conséquence de déplacer l’axe de rotation de la Terre de 79 centimètres à l’Est. Explications.
La Terre, une toupie sujette aux mouvements de l’eau
Pour rappel, la Terre, comme chaque planète du système solaire, tourne sur elle-même selon un axe de rotation et un degré d’inclinaison qui lui est propre. Cette inclinaison va connaître des variations selon la répartition des masses à l’intérieur et à la surface du globe.
« Ce réarrangement a lieu constamment et peut être d’origine naturelle ou bien humaine », rappelle Jérémy Rekier auprès de l’AFP.
C’est là qu’entrent en jeu les mouvements de l’eau, qui viennent, selon les zones où elle se concentre, influencer les oscillations de l’axe de rotation de la Terre.
« Comme si l’on ajoutait un tout petit peu de poids à une toupie, la Terre tourne un peu différemment lorsque l’eau est déplacée », vulgarisent les auteurs de l’étude dans un communiqué de presse.
Mais si cette information était déjà connue des scientifiques, qui ont, en 2016, largement documenté les conséquences de la fonte des glaces sur le degré d’inclinaison de la Terre, ils n’avaient jusqu’alors aucune preuve de l’impact du pompage des nappes phréatiques sur celui-ci.
La surexploitation de l’eau douce, responsable d’un décalage de 4 centimètres par an
Ce fut chose faite en juin dernier, lorsque l’étude du Geophysical Research Letters a établi un lien de causalité direct entre les prélèvements de l’eau souterraine par l’être humain et l’axe de rotation de la Terre.
Au total, les 2150 gigatonnes d’eau douce qui, en l’espace de 17 ans, ont été pompées, ont provoqué un déplacement de l’axe de rotation de la Terre de 79 centimètres à l’Est, soit près de 4 centimètres par an.
Et pour cause : couplée à une croissance démographique exponentielle, une mondialisation du modèle capitaliste et à l’émergence d’une société de surconsommation, l’exploitation mondiale de l’eau douce a, ces 20 dernières années, tout bonnement explosé.
C’est ce que nous apprennent un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, selon lequel les prélèvements d’eau claire seraient principalement dirigés vers l’agriculture intensive (69 %), l’industrie (21 %) et la consommation individuelle (10 %).
Dans certains pays, comme l’Inde et les États-Unis, la pression exercée sur l’eau des sous-sols en raison de l’irrigation et de l’exportation de l’eau virtuelle atteindrait même des sommets, pointent du doigt les chercheurs.
De quoi sérieusement remettre en question nos modèles de consommation de l’eau douce, dont les réserves, qui ne constituent que 3% de l’eau présente sur Terre, se raréfient face à l’ampleur de leur surexploitation.
L’élévation du niveau des mers, première cause des mouvements de l’axe terrestre
Mais outre l’épuisement de l’eau contenue dans les sols, cette étude met également le doigt sur un autre phénomène : l’élévation du niveau des mers. Et pour cause : l’eau pompée dans les nappes phréatiques, une fois utilisée par l’activité humaine, va être restituée dans les rivières et la mer. C’est ce qu’on appelle le cycle de l’eau. Seulement, dans ce schéma, un problème se pose : l’eau prélevée n’est jamais restituée dans sa totalité dans les sous-sols.
C’est notamment ce que relaye Ki-Weon Seo, géophysicien rattaché à l’Université Nationale de Séoul et principal auteur de l’étude, qui se dit « inquiet et surpris de voir que le pompage des eaux souterraines est une autre source d’élévation du niveau de la mer ».
D’après l’étude, la pression exercée sur l’eau douce aurait contribué à l’élévation de plus de 6 millimètres du niveau de la mer sur la période étudiée, faisant du prélèvement des eaux la deuxième cause de mouvement de l’axe terrestre derrière la fonte du Groenland, qui, en raison du réchauffement climatique, est responsable d’un décalage de l’axe de rotation de près de 7 centimètres par an.
Quand l’anthropocène défie une nouvelle fois les lois physiques…
Si à court terme la modification de l’axe de rotation de la Terre – pris seul – n’a pas d’impact sur le climat, « ce phénomène risque de ne pas évoluer dans le bon sens à l’avenir », tant l’eau douce se fait rare et le réchauffement climatique s’accélère, avertit Kristel Chanard, chercheuse à l’Institut de Physique du Globe de Paris auprès de Libération.
Surtout que, pour François Gemenne, ce phénomène risque d’avoir des conséquences sur nos modes de vie en accentuant les migrations climatiques.
Ce phénomène « va affecter les littoraux et les risques d’inondations en zone littorale [… en raison de] l’expansion thermique des océans, qui fait que quand l’eau est plus chaude, elle occupe davantage d’espace », analyse le directeur de l’Observatoire Hugo dédié aux migrations environnementales de l’Université de Liège, sur le plateau de BFMTV.
Et les conséquences à l’échelle géologique, si cette dynamique perdure, pourraient être bien pires : elle pourrait bouleverser le cycle des saisons et l’équilibre des biomes. D’autant plus que, d’après une étude réalisée en 2021 par des chercheurs de l’Académie des Sciences de Chine qui souligne que sur la période 1995-2020, le mouvement des pôles est près de 17 fois plus rapide que sur celle de 1981-1995, et ne semble pas près de s’arrêter.
Face à ce constat, les auteurs de l’étude du Geophysical Research Letters insistent : « les efforts déployés pour ralentir les taux d’épuisement des eaux souterraines […] pourraient théoriquement modifier l’évolution de la dérive, mais seulement si ces [mesures] sont maintenues pendant des décennies ».
D’autant plus que des solutions pour économiser l’eau, déjà largement documentées par La Relève et la Peste – ici, là ou encore là – existent !