A l’entrée du village de Cambo les bains, un projet de logements porté par Bouygues immobilier menace de bétonner 3,7 ha de terres agricoles exceptionnelles sur le Pays basque. Depuis 7 ans, élus d’oppositions, paysans et habitants ont uni leurs forces pour faire barrage aux bulldozers dans les tribunaux et sur le terrain. Ils défendent la préservation des terres nourricières pour tendre vers l’autonomie alimentaire du territoire, répondre aux besoins de foncier des aspirants paysans et protéger la biodiversité.
Bataille du foncier
La bataille autour du foncier n’en finit plus au Pays basque. Prises en étau entre la multiplication décadente des logements touristiques et l’augmentation de la population locale, les terres agricoles sont souvent les premières à être détruites pour créer de nouveaux biens immobiliers.
Le village de Cambo les bains n’échappe pas à la règle et pourrait bientôt voir son entrée de ville bétonnée par un projet de 100 logements porté par Bouygues Immobilier avec le soutien de la mairie. Actuellement utilisées comme pâturages pour des brebis, 3,7 ha de terres fertiles sont ainsi menacées de bétonisation.
« Nous menons une mobilisation depuis des années dans tout le Pays basque pour lutter contre l’éternel étalement urbain. On est convaincus qu’il faut en finir avec cet étalement qui ne résout rien, puisque plus la population augmente, plus on étale, et moins on arrive à la loger. Il y a quand même un problème sérieux. Par ailleurs, en tant que paysans, on est là pour dire que ce terrain particulier a un intérêt agricole majeur. C’est un grand terrain plat, or le Pays Basque est une zone montagneuse pour les deux tiers du territoire. Les paysans passent donc beaucoup de temps à travailler sur des pentes, et on ne peut pas tout cultiver partout : notamment les céréales, les légumineuses et le maraîchage. Ce serait donc une aberration de détruire un terrain aussi propice à la culture ! » explique Maryse Cachenaut, paysanne à Itxassou depuis 1995 et membre de Lurzaindia, pour La Relève et La Peste
De fait, la Chambre d’Agriculture a émis un avis défavorable au projet de Bouygues qui confirme l’analyse des opposants au projet. En cause : le classement de ces parcelles n’est pas en phase avec le Projet d’Aménagementet de Développement Durable (PADD) du territoire et risque d’impacter la zone Natura2000 qui jouxte ces terrains ainsi qu’une zone humide classée ZNIEFF II.
L’organisation paysanne Lurzaindia, le CADE (un collectif d’associations écologistes) et le groupe d’opposition municipale kanboar Nahi Dugun Herria ont donc saisi le tribunal administratif sur deux aspects : la modification du PLU pour passer ces terres agricoles en constructibles, et un recours contre le permis de construire qui a été accordé à Bouygues par la Mairie de Cambo en juin 2021.
« Les élus de la majorité, pour faire passer la pilule, n’ont pas hésité à modifier le zonage de grandes étendues d’espaces boisés et naturels, ou a contrario, des jardins de maison individuelle et des bouts de terrain dans la ville, les estampillant à vocation agricole sur le papier sachant pertinemment qu’aucune activité agricole ne pourrait s’y faire ! La Mairie a demandé à son service d’urbanisme de modifier le règlement du PLU pour que le permis de construire de Bouygues y soit conforme. C’est pourquoi nous, élus d’opposition, avec l’aide de Lurzaindia, du Cade et de la population locale, avons alerté les élus du conseil exécutif pour stopper cette manigance et éviter à la commune d’être accusée de délit de détournement de procédure au profit d’un promoteur privé. » dénonce Argitxu Hiriart-Urruty, élue au groupe d’opposition municipale kanboar Nahi Dugun Herria, lors d’une conférence de presse
Les arguments avancés par la Mairie : répondre aux besoins en logement sociaux. Il y en a actuellement 7 % sur Cambo au lieu des 25 % prévus par la loi, ce qui correspond à un manque de 650 logements. Or, le projet de Bouygues comprend seulement 100 logements dont 75% de résidences principales et 25% de logements destinés, encore une fois, au tourisme ou aux résidences secondaires.
« Ces dernières années, Cambo a construit énormément de T1 destinés à la location saisonnière. Résultat, il y a 600 logements destinés à la location saisonnière, car le village a une forte activité thermale, et 200 logements vacants : cela fait donc 800 logements inutiles pour les locaux et à côté de ça, les gens ne peuvent pas se loger à Cambo ! » s’offusque Argitxu Hiriart-Urruty, élue au groupe d’opposition municipale kanboar Nahi Dugun Herria, lors d’une conférence de presse
Preuve de l’intensité des crispations, les affiches et les banderoles des écologistes sont systématiquement déchirées et retirées. Une des personnes ayant déposé le recours a eu la mauvaise surprise de recevoir la visite d’un huissier chez elle, la menaçant des dommages et intérêts à payer que Bouygues pourrait réclamer en cas de victoire du grand groupe devant les tribunaux administratifs. La date d’audience n’a pas encore été fixée : « peut-être en octobre 2022 » précisent les opposants à Bouygues Immobilier.
Préserver les terres agricoles
« Nous défendons la réalisation de logements sociaux mais la bétonisation de Marienia n’est qu’un grossier alibi pour masquer une opération purement spéculative. Il nous semble indispensable de donner la priorité à la mobilisation des logements vacants et à la construction au sein des zones déjà urbanisées, à l’heure où les pouvoirs publics doivent éviter au maximum d’artificialiser les terres, en respect objectifs définis par le gouvernement français, et il est indispensable de préserver les terres agricoles pour nourrir localement la population. » explique Jean-Pierre Boullet, du CADE, lors de la conférence de presse
Les habitants, paysans et élus souhaitent en effet tendre le plus possible vers l’autonomie alimentaire du Pays basque. Avec 300 000 habitants actuellement, et sûrement 400 000 d’ici quelques décennies, Lurzaindia explique qu’il faudrait l’équivalent de 250 000 ha de terres cultivées pour y parvenir, ce qui est peu probable, et a minima améliorer les volumes de production de celles qui sont déficitaires : maraîchage, arboriculture pour les fruits, et légumineuses.
« Si la communauté d’agglomération décide un jour d’avoir un véritable plan d’amélioration d’autonomie alimentaire, il faut bien se rendre compte que le monde agricole ne pourra pas s’adapter d’une année sur l’autre. L’agriculture est un chantier qui se mène sur plusieurs années, voire sur plusieurs décennies. Cela demande des surfaces cultivables disponibles, des projets et des paysans qui soient accompagnés pour vivre dignement de leur métier. On le redit aujourd’hui, on le disait déjà il y a 4 ans quand le changement de PLU a été présenté : donner un permis de construire à Marienia c’est donner un permis de détruire. » détaille Maryse Cachenaut, paysanne à Itxassou depuis 1995 et membre de Lurzaindia
Lurzaindia mène de nombreuses batailles en ce sens. A Arbonne, une autre commune basque, l’association s’était opposée avec succès à une multimillionnaire qui souhaitait acquérir une maison bourgeoise entourée de 12ha de terres agricoles, sans les mettre à disposition des paysans. Depuis Arbonne, beaucoup de collectifs se sont montés dans les villages basques pour protester contre la spéculation foncière, l’urbanisation à tout va et le sacrifice de terres agricoles : Cambo en fait partie mais aussi Baigorri, Ayherre, Ahaxe, Aicirits, etc.
Preuve que les mentalités évoluent, face aux arguments des opposants, une dizaine d’élus de la majorité remettent aujourd’hui le projet en question et ont demandé au maire de retirer son soutien. De leur côté, les paysans et habitants sont bien décidés à ne rien lâcher. Une pétition a recueilli plus de 3000 signatures et un grand rassemblement est prévu samedi 23 avril.