Depuis le début des années 90, l'orpaillage s’est implanté en Guyane comme une gangrène incurable. Interdit en 2006, le mercure, qui facilite l’extraction de l’or des sols, continue d’être utilisé par les exploitations illégales qui pullulent autour du fleuve Maroni. Au total, plus de 13 tonnes de mercure par an et 7 000 tonnes de boue par jour sont déversées dans les cours d’eau de la région. La catastrophe sanitaire et naturelle constitue le quotidien des peuples amérindiens vivants dans les zones touchées.
“Chaque jour, l’eau est toujours aussi trouble. Les orpailleurs eux, sont toujours aussi nombreux” témoigne Linia Opoya, présidente de l’association des victimes du mercure Haut Maroni.
Il y aurait aujourd’hui, selon le président de l’ONG Solidarité Guyane Jean-Pierre Havard, environ 500 sites d’exploitations illégales actifs en Guyane où séviraient plus de 10 000 garimpeiros, chercheurs d’or clandestins.
L’État tente d’endiguer le phénomène en menant des opérations ponctuelles sur les sites par l’intermédiaire des forces de gendarmerie. Marine Calmet, juriste en droit de l’environnement et présidente de Wild Legal, estompe : “c’est une stratégie qui ne fonctionne pas, les résultats ne sont pas au rendez-vous, le phénomène n’est pas contenu”
Mi octobre, les associations Victimes du Mercure – Haut-Maroni, Wild Legal, Jeunesse Autochtone de Guyane (JAG), Maiouri Nature Guyane, Solidarité Guyane ainsi que la Coordination des Organisations des Peuples Autochtones de Guyane (COPAG) ont lancé une action en justice contre l’État, réclamant un renforcement des mesures de lutte et de protection de la santé des personnes et des écosystèmes.
“La France est dans un état de complète carence vis à vis de ses obligations légales existantes” assène Marine Calmet.”Nous voulons que les tribunaux reconnaissent la violation des droits humains et du fleuve Maroni et qu’il oblige l’État à un plan d’action de lutte contre l’orpaillage illégal.”
Le fleuve Maroni “se meurt”
En décembre 2022, les scientifiques du Parc Amazonien de Guyane tiraient la sonnette d’alarme, constatant “une dégradation catastrophique de la biodiversité” du fleuve Maroni.
“La recherche de l’or se concentrant sur les cours d’eau, ce sont plus de 3000 kilomètres de rivières rejoignant le Maroni qui ont, d’ores et déjà, été totalement et durablement détruits” rapportent les scientifiques.
La pollution sédimentaire, en l’occurrence les rejets de boues issus de l’orpaillage, accentue la turbidité de l’eau et provoque “une asphyxie des habitats de la faune aquatique et une partie importante des premiers maillons de la chaîne trophique” selon le rapport du Parc Amazonien.
Les scientifiques ont observé une diminution significative de la diversité et de la quantité de poissons dans le fleuve Maroni, une raréfaction aiguë comparée à d’autres fleuves moins impactés par l’orpaillage comme l’Approuague.
Pire encore, certaines espèces comme l’acoupa, la torche, l’aïmara ou le pakou qui occupent une place prépondérante dans l’alimentation des populations locales se sont révélées absentes ou rares dans les échantillonnages réalisés.
Les réservoirs alimentaires des peuples autochtones se sont considérablement réduits. Les zones de chasse et de pêche sont “envahies par plusieurs milliers d’orpailleurs illégaux qui pillent leurs zones de subsistance” explique Jean-Pierre Havard.
L’eau est devenue non potable, certains villages se tournent vers l’eau minérale conditionnée en bouteilles plastique, ce qui accentue la pollution du fleuve selon le rapport scientifique.
L’alimentation des populations est principalement basée sur le poisson pêché dans le Maroni et sur le manioc et d’autres légumes cultivés dans des sols contaminés et arrosés avec l’eau polluée.
Les populations “souffrent de nombreuses pathologies”
Les peuples amérindiens Wayana et Teko sont les plus affectés par cette situation, leurs villages étant situés dans le Parc Amazonien de Guyane, dans une zone privilégiée des orpailleurs illégaux.
Ces derniers “pillent” leurs zones de subsistance et donc leurs ressources alimentaires”, “polluent” les sols et les eaux aux alentours des villages, et perpétuent des “pressions physiques et psychologiques” sur les populations locales selon Jean-Pierre Havard.
Selon les normes de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), les taux de mercure présents dans les cheveux à ne strictement pas dépasser sont de 4,4 µg/g chez l’adulte, de 1,5 µg/g pour les enfants de moins de 7 ans, et 2,5 µg/g pour les femmes enceintes. L’association Solidarité Guyane a mené des tests capillaires entre 2004 et 2014 pour quantifier le mercure ingéré par les populations Wayana et Teko.
Lors de la dernière année d’étude, les enfants du village Cayodé, un des villages les plus touchés, présentaient un taux moyen de 8,12 µg/g de mercure dans leurs cheveux, soit plus de 5 fois le niveau maximum préconisé. Pour les adultes de ce même village, les taux moyens étaient de 14,27 µg/g, une valeur préoccupante pour les femmes enceintes.
Selon l’ EFSA, le mercure est responsable d’altérations du système nerveux et de lésions rénales observées in vitro. Une exposition au mercure peut provoquer “des avortements spontanés et des malformations (tératogénicité)” dont les plus sévères sont des paralysies, des retards de croissance et des cécités.
L’Agence européenne précise également que les enfants de moins de 8 ans exposés présentent des troubles neuro-comportementaux et cognitifs.
Solidarité Guyane a notamment observé dans les villages amérindiens sujets à la pollution “des troubles de l’équilibre avec notamment un retard à la marche pour les plus jeunes enfants” ainsi que “des arriérations mentales, convulsions, perte d’acuité visuelle (dont rétrécissement du champ visuel) et auditive, retard du développement, troubles du langage et perte de mémoire” souligne Jean-Pierre Havard.
“L’abandon” de l’État
L’État ne fournit ni assistance médicale ni soins, se limitant à émettre des recommandations alimentaires selon le président de Solidarité Guyane. Il encourage les habitants locaux à éviter la consommation de certains poissons, tout en négligeant de proposer des alternatives alimentaires, sachant que les populations autochtones dépendent principalement du poisson et du manioc pour se nourrir.
Pire encore, ces recommandations entraînent des “déséquilibres nutritionnels” rapporte Jean-Pierre Havard, et favorisent l’émergence de nouvelles pathologies telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l’hypertension parmi ces communautés.
Pour les villages Cayodé et Taluwen, l’accès aux soins se situe à plusieurs heures de pirogue, dans la commune de Maripasoula dont ils dépendent administrativement.
“La détresse des populations est à son paroxysme, avec un sentiment d’abandon de la part de l’État” témoigne Jean-Pierre Havard.
La France a ratifié, en 2015, la Convention de Minamata sur le mercure et s’était engagée à limiter les rejets du métal lourd imputable aux activités minières. Mais l’État encadre uniquement les déjections issues des activités industrielles selon l’association Solidarité Guyane.
Le mercure étant également présent naturellement dans le sol guyanais, le drainage des sols effectué par les orpailleurs légaux et illégaux dans leur recherche d’or mobilise le mercure naturel, le déverse dans les eaux et accentue la contamination. Ce qui fait dire à Jean-Pierre Havard qu’il faudrait aussi “imposer des contraintes environnementales aux orpailleurs légaux”.
En 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne obligeait l’État a éliminer tout rejet et perte de mercure issus de l’activité humaine, au plus tard en fin d’année 2021. La France n’a pas respecté son obligation dans la Haut-Maroni.
L’action en justice contre l’État dans le cadre de la pollution du fleuve Maroni pourrait faire office d’une nouvelle jurisprudence en faveur de la reconnaissance des droits de la nature.