Deux scientifiques, dont une française, Emilie Gios, ont été arrêtés lors d’une action de désobéissance civile à Trondheim pour avoir mené une action de désobéissance civile, en soutien à la campagne « Stopp oljeletinga! » (« Stop aux prospections pétrolières »). 15 autres scientifiques ont pour leur part été bannis de la ville. « Scientifiques en Rébellion » a publié un communiqué de presse pour présenter leurs revendications.
Les scientifiques ont mené l’action en déployant des pancartes pour bloquer la circulation, afin de demander la fin de toute exploitation pétrolière dans les eaux territoriales norvégiennes.
La Norvège est le plus gros producteur de pétrole en Europe de l’Ouest et le 15ème pays producteur de la planète. Lors des accords de Paris, le pays s’engageait à réduire ses émissions de CO2 d’au moins 40 % d’ici à 2030.
En 2021, après presque 8 ans d’un gouvernement conservateur, le nouveau 1er ministre norvégien élu d’une coalition de gauche, Jonas Gahr Stoere, qui disait vouloir mettre fin aux exploitations pétrolières, a décidé de ne plus accorder de nouvelles licences de prospection pétrolière pour les zones vierges jusqu’en 2025, date de fin de la mandature actuelle. Une nouvelle qui a été saluée par tous les écologistes.
Mais alors, pourquoi une telle action ? Actuellement, l’économie du pays dépend toujours de l’industrie pétrolière qui représente 14 % de son PIB, 7 % des emplois et 40 % de ses exportations.
Dans un Livre blanc sur le futur énergétique du pays, le gouvernement norvégien a précisé en 2021 vouloir « prolonger la pratique actuelle avec des cycles de concession réguliers […] pour donner à l’industrie accès à de nouvelles zones de prospection ». Le pays est donc très loin de sortir de sa dépendance aux hydrocarbures.
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De plus, la semaine dernière, un débat sur la chaîne norvégienne NRK a montré que malgré les décennies de rapports scientifiques, de tribunes et les nombreux appels appelant à l’action climatique, il est toujours facile de détourner la position des scientifiques. Les appels à plus de prudence et d’action ont été transformés en gros titre « Verdict des climatologues : le monde restera habitable ». Les scientifiques ont dénoncé entre autres le manque de sérieux et d’honnêteté des médias sur les enjeux climatiques.
Emilie Gios, chercheure post-doctorale en écologie microbienne à l’Institut norvégien des sciences de la nature (NINA) est l’une des scientifiques arrêté.es. Elle commente sur le sujet :
« Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre position parce que je suis en colère contre l’inaction des décideurs publics face à la crise climatique. Faire de la recherche dans mon laboratoire n’est plus suffisant, les faits concernant la situation critique à laquelle nous sommes confrontés ont été ignorés depuis des décennies. La science est formelle : les conséquences du changement climatique sont déjà là et ne vont qu’empirer. Je ne peux pas rester sans réagir et regarder des gens souffrir et mourir parce qu’une poignée de personnes guidées par leur avidité ont décidé en conscience d’ignorer les scientifiques. »
Baptiste Giroux, assistant de recherche en écologie industrielle à l’Université norvégienne de science et de technologie, a pour sa part expliqué :
« Je fais cela parce que je suis terrifié par la situation climatique actuelle. La cible de +1.5°C est maintenant hors d’atteinte et les décisions de nos responsables politiques nous conduisent vers une trajectoire de +3.2°C. Cela entraînera une souffrance et une violence massive, et pourtant les médias et les politiciens ne semblent pas comprendre la gravité de la situation. Les nouveaux projets pétroliers et gaziers ne sont pas compatibles avec l’accord de Paris, et c’est mentir que de prétendre le contraire. En tant que chercheur, je crois qu’il est illusoire de croire que publier davantage de rapports scientifiques puisse changer quoi que ce soit si les responsables ne les lisent pas ou ne les prennent pas au sérieux. Les actions de désobéissance civile directe peuvent obtenir bien plus en diffusant ce message et cette mobilisation. »
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C’est grâce à son pétrole que la Norvège possède le plus gros fond souverain du monde, près de 1000 milliards de dollars. Pour la majorité des partis, y compris conservateurs, il faudrait sortir très progressivement du secteur, sur de nombreuses années. Actuellement, seul l’un des alliés de la coalition, le groupe écologiste MDG, estime qu’il faudrait stopper immédiatement toutes les exploitations pétrolières.
Quel que soit le processus, les actions pour sortir des énergies fossiles doivent être mises en place rapidement. Selon le rapport du GIEC de 2022, nos émissions de CO2 doivent atteindre leur pic à 2025, afin de garantir au monde un avenir viable.
Norvège : deux scientifiques, dont une française, ont été arrêtés pour une action de désobéissance civile
Crédit photo couv – Scientist Rebellion Trondheim