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Moselle : un collectif demande au gouvernement de stopper l’exploitation de gaz de couche, une énergie fossile

Ce type d’hydrocarbure n’a jamais été exploité en France, mais les impacts environnementaux et climatiques dramatiques de son extraction sont bien connus à l’étranger : pollution de l’air, de l’eau, des sols, fortes émissions de gaz à effet de serre. Aucune garantie sérieuse n’a été mise en évidence, les études et rapports sanitaires et environnementaux pointent des risques sans ambiguïté.

Alors que la loi Climat doit être présentée en Conseil des ministres début février, le Gouvernement français pourrait octroyer un permis d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels, en l’occurrence de gaz de couche, en Moselle, à l’entreprise gazière « La Française de l’Énergie » (entreprise privée initialement créée par une société australienne).

Dans une lettre ouverte que nous partageons ici, 36 associations et collectifs de citoyens, en soutien à l’APPEL 57 qui s’oppose à l’extraction du gaz de couche depuis des années, se mobilisent contre ce projet d’énergie fossile dangereux pour l’environnement et le climat, et demandent le ​rejet de ce permis par le gouvernement.

Les rapports scientifiques du GIEC et les effets d’un dérèglement climatique de plus en plus manifeste, ont mis en évidence la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de tourner définitivement le dos aux énergies fossiles.

Pourtant des projets fossiles continuent d’être soutenus par les pouvoirs publics : les entreprises obtiennent des autorisations et des subventions publiques, notamment grâce à leurs liens privilégiés avec des hauts administrateurs publics placés au sein des directions centrales de l’État. Les intérêts des entreprises du secteur des énergies fossiles malmènent la démocratie et font obstacle à l’adoption et la mise en œuvre des mesures indispensables pour faire face à l’urgence climatique.

« Jusqu’à 400 puits de forage »

L’entreprise gazière La Française de l’énergie (anciennement European Gas Limited) a déposé une demande de concession pour exploiter du gaz de couche de charbon en Moselle, qui pourrait représenter jusqu’à 400 puits de forage.

Cette énergie fossile requiert l’utilisation de techniques non conventionnelles pour son extraction, semblables à celles utilisées pour le gaz de schiste. Suite au lobbying de la Française de l’énergie et aux renoncements du gouvernement, la loi « Hulot » sur les hydrocarbures, adoptée en 2017, avait exempté le gaz de couche de l’interdiction de ces techniques non conventionnelles.

Ce type d’hydrocarbure n’a jamais été exploité en France, mais les impacts environnementaux et climatiques dramatiques de son extraction sont bien connus à l’étranger : pollution de l’air, de l’eau, des sols, fortes émissions de gaz à effet de serre. Aucune garantie sérieuse n’a été mise en évidence, les études et rapports sanitaires et environnementaux pointent des risques sans ambiguïté [1].

Par ailleurs, selon le code minier actuellement en vigueur, l’obtention d’une concession suppose que l’entreprise démontre ses capacités techniques et financières ; ce n’est pas le cas ici [2]. Légalement, le gouvernement a donc la possibilité et le devoir de refuser cette demande de concession.

En effet, la Française de l’énergie n’a pas les capacités requises : elle a multiplié les forages avec des techniques différentes qui se sont toutes soldées par des échecs en termes d’extraction du gaz, mais qui n’en sont pas moins dangereuses et fortement consommatrices d’eau. Cette demande de concession s’apparente donc surtout à une opération spéculative [3].

Schéma très simplifié présentant deux types d’exploitation du gaz de couche, 1) par pompage et mise en dépression du charbon, 2) par cavitation (open-hole cavity completion) puis mise en dépression (une ou plusieurs opérations de « re-cavitation » peuvent ensuite être pratiquées). En bleu : l’eau, en rose : le méthane qui était piégé dans le charbon (gaz de couche) – crédit : Lamiot

Connivences au plus haut sommet de l’État

Au plan local, en Lorraine, les retombées socio-économiques du projet seraient dérisoires voire nulles. L’enquête à consultation publique qui s’est achevée en novembre a mobilisé de nombreux citoyens et élus locaux, qui se sont prononcés en grande majorité (près de 85%) contre ce projet fossile en raison des graves risques qu’il présente pour l’environnement et le climat.

Cependant, des relations privilégiées entre membres du conseil d’administration [4] de cette entreprise et hauts administrateurs publics au sein des directions centrales de L’État biaisent la concertation, qui n’est en réalité qu’une consultation sans pouvoir réel, et mettent à mal la démocratie et toute décision en faveur de l’intérêt général.

L’octroi de cette concession, serait un nouveau renoncement du gouvernement face à ses engagements et une abdication face à la pression d’entreprises spéculatives. Nous demandons le rejet de cette demande de concession par le gouvernement. Aurez-vous le courage et la responsabilité de le faire ?

Plusieurs projets fossiles en France

Il existe d’autres projets fossiles en France. A quelques kilomètres de la forêt de Fontainebleau, une autorisation pour dix nouveaux puits d’extraction de pétrole vient de faire l’objet d’une enquête publique.

Lire aussi : Un projet de 10 puits de pétrole menace l’eau potable de 300 000 parisiens

Près de Commercy, dans la Meuse, une entreprise demande un laisser passer pour implanter huit plateformes d’extraction de gaz en pleine forêt (avis défavorable suite à l’enquête publique). A l’inverse un avis favorable a été donné pour trois plateformes dans le secteur de Bar-le-Duc.

Les enjeux climatiques soulevés par ces énergies fossiles ne sont pas conciliables avec les ambitions annoncées par Emmanuel Macron sur la scène internationale : il est nécessaire que des mesures à la hauteur de l’urgence climatique soient prises.

Les décideurs publics se doivent d’être en première ligne pour préserver la santé, garantir un environnement sûr, et défendre nos intérêts et ceux des générations futures.

Enfin, nous nous associons aux revendications de la campagne européenne Fossil Free Politics, portée par plus de 200 organisations, et qui vise à libérer les politiques publiques de l’influence des lobbies fossiles. Cette campagne exige l’arrêt immédiat des soutiens publics à l’industrie fossile : l’argent du contribuable ne doit plus être utilisé pour soutenir l’extraction d’hydrocarbures.

Elle demande aussi que soient coupés les canaux d’influence des représentants de l’industrie fossile sur la politique, notamment en mettant fin aux réunions de lobbying et en régulant plus strictement les conflits d’intérêts et le pantouflage [5]. Cela permettrait de s’affranchir enfin de la pression des lobbies et ainsi de défendre l’intérêt général.

En l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre plus haute considération.

Le 19 janvier 2021.

À l’initiative de :
Association pour la préservation de l’environnement local 57-Moselle (APEL57)
Amis de la Terre France
Attac France
Campagne Fossil free politics
Greenpeace France

Organisations signataires :
350.org
Association Internationale de Techniciens Experts et Chercheurs (Aitec)
Alternatiba
ANV-COP21
Association Gratte papier
Collectif Pour une terre plus Humaine
DenosMAINs
Émancipation Collective
Fondation Danielle Mitterrand
France Nature Environnement
Reclaim Finance
Réseau Foi et Justice Afrique Europe
Sciences citoyennes
Stop Mines 23
Vervillages
aGter
Amis de la Terre Moselle
Association mosellane pour la promotion des énergies renouvelables (Amper)
Association pour la protection de l’environnement à Lérouville
Association Un toit partagé
Attac Moselle
Collectif houille ouille ouille
Collectif non à l’huile et gaz de schiste 91
Extinction Rébellion NANCY
Greenpeace – groupe local Nancy
La Voix de l’Arbre
Lorraine Association nature
Lorraine Nature environnement
Marche pour la biodiversité
Résilience France
ZEA

Crédit photo couv : Forage de gaz de schiste dans la province de Lublin, en Pologne. – Nightman1965

[1] L’exploitation du gaz de couche de charbon a des impacts environnementaux multiples et bien documentés par de nombreux rapports indépendants scientifiques et techniques. Potabilité, contamination de l’eau, émission de gaz à effet de serre, réduction de la fertilité des sols, dégradation de l’attractivité du territoire, ne sont que quelques-uns des impacts néfastes prévisibles détaillés dans la synthèse sur les gaz de houille de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le rapport 2016 de la Commission européenne « Environmental and Sustainability Assessment of Current and Prospective Status of Coalbed Methane Production and use in the European Union ». Outre les problématiques autour de la ressource en eau, de la préservation des sols et de la biodiversité, il convient de rappeler que le gaz de couche de charbon est très fortement émetteur en méthane, un gaz à effet de serre bien plus nocif que le CO2. Son exploitation est contradictoire avec les engagements pris par la France dans l’Accord de Paris, et rappelés par le président Emmanuel Macron en 2019 dans sa lettre aux Français : « Je pense toujours que l’épuisement des ressources naturelles et le dérèglement climatique nous obligent à repenser notre modèle de développement. Nous devons inventer un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen nouveau, plus juste et plus efficace. (…) Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses. »

Le décret n° 2006-648 du 2 juin 2006 stipule que « nul ne peut obtenir une concession de mines s’il ne possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux d’exploitation ». La lecture attentive des documents techniques et financiers montre que la Française de l’énergie ne possède pas les capacités requises. Les 15 ans de recherches et 5 forages ont démontré que l’entreprise a toujours connu des échecs, dus au caractère particulièrement bouleversé et mal connu du sous-sol lorrain, faisant que chaque forage a présenté ses difficultés spécifiques. L’entreprise a dû changer à chaque fois de secteur, pour rencontrer toujours de nouvelles difficultés bien détaillées dans les rapports de fin de travaux de la direction régionale de l’Environnement, la Dreal. Le dernier forage, le plus abouti, démontre bien le manque de capacité technique et la non rentabilité de l’extraction du gaz de couche de charbon : sur 2000m de drains initialement prévus, l’entreprise n’a pu forer que 340m utilisables. Lors de tests de production, l’entreprise a extrait 31 992m3 de gaz en 31 semaines alors que c’est le volume qu’elle espérait extraire en un seul jour pour être rentable. Par ailleurs, plus de 8 millions de m3 d’eau ont été utilisés pour ce seul forage, dans une région concernée chaque année par des restrictions d’eau.

[3] La Française de l’énergie est cotée en bourse. Année après année, le résultat net de l’entreprise reste négatif. Son fonds de trésorerie se compose essentiellement de dettes et divers litiges sont toujours en cours. L’entreprise a fait certifier des ressources en gaz ; l’obtention de la concession lui permettrait de faire entrer ces ressources inaccessibles dans les actifs de l’entreprise et faire ainsi augmenter sa valeur.

[4] Un des membres du comité d’administration de La Française de l’énergie, Alain Liger, ingénieur diplômé de l’École des mines et de l’Institut de haute finance, a occupé des postes stratégiques de mise en relation entre l’entreprise gazière et l’administration française. Il a travaillé au sein de l’organisme public qu’est le Bureau de recherches géologiques et minières pendant 17 ans. En 2012, il est placé à la tête de la Dreal de Lorraine qui est en charge de l’instruction des dossiers et des contrôles sur les forages de gaz de couche. De 2013 à 2016, il a été membre du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies. Il y a également été président du comité de pilotage de l’initiative « Mine responsable » lancée en 2015.

[5] Le « pantouflage », connu aussi sous le nom de « portes tournantes », consiste pour un fonctionnaire de l’État de passer du secteur public au secteur privé afin de faire bénéficier une entreprise ou un secteur de son carnet d’adresses et de son savoir d’initié. Cela peut fonctionner également en sens inverse (« rétro-pantouflage »), lorsque des cadres d’entreprises privées prennent des responsabilités publiques dans un domaine directement en lien avec leur ancien employeur. En France, les conflits d’intérêts et le pantouflage sont soumis au contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, mais celle-ci dispose de peu de moyens et de pouvoirs de sanction.

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