Sous couvert d’austérité, le gouvernement envisage de fusionner les 11 établissements publics des parcs nationaux avec l’Office français de la biodiversité. Scientifiques, élus, personnels et citoyens dénoncent le risque de perdre un « instrument majeur de protection de la biodiversité » et de donner trop de pouvoir aux Préfets.
La volonté de simplification du gouvernement
Simplifier les mille-feuilles administratifs, oui ; supprimer des postes et ôter le pouvoir décisionnaire des établissements publics au détriment de la biodiversité, non. Voilà en substance ce que réclament les près de 65 000 signataires de la pétition en faveur des onze parcs nationaux français.
Depuis quelques mois, le gouvernement cible régulièrement les « agences » liées à l’écologie, en quête des 44 milliards d’euros d’économie qu’il cherche à faire pour l’année à venir. Cette novlangue incorrecte irrite les fonctionnaires des établissements publics.
« François Bayrou appelle « agences » des établissements publics (EP) ! On rejette ce terme car c’est de l’américain et n’a rien à voir avec la situation des EP en France : nous sommes des services publics, nos missions aussi, pas du privé. Avec le mot agence, le gouvernement français se rapproche de la conception trumpiste et la politique menée là-bas », précise d’emblée Sandrine Descaves, membre du Bureau national – Branche Espaces protégés au sein du syndicat national de l’environnement et de la FSU, pour La Relève et La Peste
Donald Trump a coupé de 24% la masse salariale du National Park Service depuis Janvier 2025. Le gouvernement français, lui, envisage la suppression ou la fusion de 30 % des opérateurs publics de l’État, dont font partie les onze parcs nationaux français.
Le 3 juillet, une commission d’enquête sénatoriale sur les agences et opérateurs de l’État a renfoncé le clou en suggérant la suppression de plusieurs institutions écologiques : l’Ademe, les 11 établissements publics gérant les parcs nationaux et le Conservatoire du littoral. Si ce dernier semble désormais hors d’atteinte grâce à une forte mobilisation, les parcs nationaux français restent menacés.
« Ce rapport est problématique car il sous-entend que les EP sont un État dans l’État et qu’ils font ce qu’ils veulent, or ce n’est pas le cas », détaille Sandrine Descaves. « On a des contrats d’objectifs ou de performance révisés tous les 3 ans, et des bilans annuels. Nos objectifs sont surveillés de près, et nous sommes soumis à des règles et des lois qui encadrent nos missions. »
Les 11 parcs nationaux coûtent au total 74,5 millions d’euros chaque année, un chiffre bien en-dessous des prétendues 540 millions d’euros d’économies possibles promises par le Sénat, mais pas démontrées. Dans le même temps, le Sénat a voté contre la « taxe Zucman », qui aurait pu ramener 20 milliards d’euros par an dans les caisses publiques en taxant le patrimoine des milliardaires. Les aides aux entreprises coûtent 211 milliards d’euros par an, sans que les grandes entreprises soient en mesure de prouver à quoi leur servent précisément ces subventions.
Un employé d’un parc national proteste – Crédit : Agentes et agents des Parcs nationaux de France, Syndicat national de l’Environnement (Sne-FSU)
Un modèle pourtant efficace
Parc amazonien de Guyane, Parc national des Calanques, des Cévennes, des Écrins, de Forêts, de Guadeloupe, du Mercantour, de Port-Cros, des Pyrénées, de la Réunion et de la Vanoise. La France compte 11 parcs nationaux qui représentent 8% du territoire national.
Créés à partir de 1960, les parcs nationaux français ont développé une protection stricte en « cœur de parc », couplée à une coopération avec les collectivités en zone périphérique. En plus d’aggrader la richesse biologique déjà présente, ce modèle efficace a permis de sauver de nombreuses espèces endémiques.
« Retour naturel du vautour dans les Cévennes, des espèces ayant amplifié leur zone de répartition comme la loutre ou le castor d’Europe, réintroduction du bouquetin ibérique sur les Pyrénées », énumère Sandrine. « D’autres espèces moins connues comme la chouette de Tengmalm ou la chouette chevêche vont mieux grâce à l’étendue des forêts. Des insectes comme le papillon Apollon et de nombreuses plantes reviennent également. »
Le parc des Cévennes a ainsi obtenu le label de Réserve internationale de ciel étoilé, trouvant à la fois des financements aux communes de son territoire pour rénover leur éclairage public, tout en protégeant les espèces nocturnes.
L’une des plus anciennes Aires Marines Protégées établies en Méditerranée, le parc national de Port-Cros a multiplié par 8,5 la population de mérous en 18 ans. L’interdiction aux bateaux de jeter l’ancre dans certaines parties du parc a également permis de protéger la posidonie, un herbier marin indispensable pour la séquestration du carbone et la biodiversité. Cette dernière mesure a été réalisée en concertation avec les usagers de Port-Cros.
« Nos espaces protègent la biodiversité tout en faisant perdurer des activités humaines comme le pastoralisme ou la sylviculture. On réussit cette conciliation, c’est complexe et il faut discuter beaucoup », explique Sandrine Descaves. « Cela nécessite d’avoir des gens sur le terrain pour trouver des solutions au quotidien : définir ensemble que la machine passe à tel endroit et pas à tel autre pour protéger des nids ou des terriers ».
Les parcs nationaux peuvent ainsi apporter des aides au pastoralisme, soit par l’acquisition et la mise à disposition de bâtiments, soit à travers de l’accompagnement technique ou administratif pour faciliter leurs pratiques comme l’obtention de financements, points d’eau, enclos, etc.
Troupeau dans le Parc des Ecrins – Crédit : les bergers Paul et Maryane
Le risque d’autoritarisme
Au-delà des gardes, cette connaissance fine du terrain et des enjeux écologiques, culturels, patrimoniaux et archéologiques est nourrie par la gouvernance elle-même des parcs nationaux, instaurée par la loi Giran de 2006. « Un conseil scientifique composé de personnalités locales bénévoles » est chargé d’émettre des avis et recommandations qui aiguillent la direction et le conseil d’administration (CA), lui-même composé de représentants de l’État et d’acteurs locaux.
Or, avec la réforme voulue par le gouvernement Bayrou, le pouvoir d’adopter des mesures réglementaires serait transmis aux préfets, et à eux seuls. Les conseils d’administration et les directeurs « ne pourraient qu’émettre des avis ou des vœux qui remonteraient au conseil de gestion central des parcs nationaux ». L’OFB serait, lui, privé du pouvoir répressif permettant de constater les infractions et de dresser des procès-verbaux, et fortement critiqué par certains syndicats agricoles.
« Donner plus de pouvoir au Préfet est très inquiétant avec la montée en puissance de l’autoritarisme en France », avertit Sandrine Descaves. « Pour l’instant, ce sont des recommandations mais dans le contexte actuel, il faut s’en inquiéter. »
De surcroît, les parcs nationaux sont déjà soumis depuis quelques années à une baisse drastique de leurs moyens humains et financiers (20% de personnels en moins en 10 ans). Dans le même temps, l’augmentation de la fréquentation des parcs nationaux est telle qu’ils accueillent plus de dix millions de visiteurs chaque année.
« Les parcs nationaux ne sont pas au niveau de personnel nécessaire pour faire face à l’afflux de fréquentation. Le personnel en place a une charge très conséquente de travail, et cela affecte déjà le temps de dialogue avec chacun des acteurs du territoire », dresse comme bilan Sandrine.
Les suppressions de poste visées par la réforme se porterait avant tout sur les fonctions support, c’est à dire sur les métiers de gestion de carrière, administratif, système d’information, gestion des bases de données, etc.
« J’ai plus de 25 ans de carrière à mon actif, je sais très bien ce qu’il va se passer, » s’agace Sandrine. « Ils vont compenser cette nouvelle baisse d’effectifs sur des fonctionnaires dans les ministères, ainsi qu’à l’OFB, qui sont déjà exsangues. Le personnel sur le terrain ne va pas diminuer, mais va devoir s’occuper de missions supplémentaires. Les techniciens et ingénieurs occupés à faire d’autres tâches est une mauvaise utilisation des compétences. »
Avec l’augmentation de la surface de certains parcs nationaux au fil des années, c’est une méconnaissance des espèces présentes qui risque d’advenir, et in fine une ignorance des façons de respecter leurs rythmes biologiques. D’autant plus que la plupart des espèces ont déjà commencé à migrer et changer leurs habitudes avec le dérèglement climatique, rendant les vieux dictons paysans caduques.
Plutôt que de renoncer au statut d’établissement public, les membres des parcs nationaux préconisent de « mutualiser davantage certaines fonctions supports au sein de l’OFB ».
Pour eux, les Parcs nationaux sont « des laboratoires vivants, des refuges pour la biodiversité, et des lieux d’innovation écologique ».
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