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L’essor des centrales à bois énergie menace des milliers d’hectares de forêts primaires en Guyane

A Sinnamary, la plus grande centrale à biomasse de Guyane devrait voir le jour en 2024. Elle sera alimentée par la coupe des arbres immergés dans la retenue d’eau de Petit Saut – un gisement de millions de mètres cubes de bois, certes, mais également un haut lieu de biodiversité.

Dans la récente révision de sa directive sur les énergies renouvelables, dite RED III, la Commission européenne n’a pas donné suite aux réclamations de la France, qui demandait d’élargir massivement les dérogations accordées à la biomasse dans les territoires « ultrapériphériques ». Le nouveau texte maintient cependant un régime dérogatoire qui permet aux industriels de Guyane d’exploiter des espaces forestiers pour produire des plantes ou du bois-énergie.

Adoptée le 14 septembre 2022, la RED III a l’ambition de faire atteindre à l’Union européenne, d’ici 2030, une part de 42,5 % d’énergies renouvelables.

Au sein de ce mix incluant toutes sortes de sources – éolien, solaire, hydrogène… – et de formes finales d’énergie – électricité, gaz, carburant – figure les agrocarburants et la biomasse, une technique permettant d’obtenir de l’énergie par la combustion de matières végétales telles que les rebuts agricoles et le bois.

On en imagine aisément les dérives : dans la mesure où les arbres peuvent être considérés comme une source d’énergie renouvelable, qu’est-ce qui empêche les industriels de remplacer les forêts primaires et les havres de biodiversité par des plantations ?

Encadrement de la biomasse

C’est pour prévenir cet excès que la Commission européenne a tenu à encadrer la biomasse « renouvelable », dans laquelle ne seront plus inclus, désormais, les matériaux issus de forêts primaires comme la Białowieża, en Pologne – l’une des dernières d’Europe –, ou connues pour la richesse de leur biodiversité.

Cette saine restriction ne s’applique pas, cependant, à la Guyane française – territoire couvert à plus de 90 % de forêt amazonienne –, en vertu d’une dérogation accordée aux zones ultrapériphériques de l’Union.

Pire, par un lobbying intense de ses députés, la France a cherché, pendant de longs mois, à élargir la dérogation guyanaise pour y faire entrer l’ensemble des bioliquides, biocarburants et combustibles produits à partir de biomasse ligneuse primaire, autrement dit potentiellement issue de la forêt amazonienne.

Dans l’idée d’alimenter le Centre spatial guyanais (CSG), à Kourou, d’où sont lancées de nombreuses fusées, la France a également tenté (en vain) de faire du spatial un secteur prioritaire dans la production et la réception d’énergie issue de la biomasse.

« Sans mobilisation de la société civile ni résistance à l’échelle européenne, témoigne Marine Calmet, présidente de Wild Legal et juriste à Maïouri Nature Guyane, la France obtenait un blanc-seing pour financer un modèle de production d’électricité et de carburants “verts”directement lié à la déforestation de l’Amazonie, et donc à la destruction de la biodiversité et à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. »

Un développement tous azimuts

Ces réclamations n’ont pourtant pas été retenues, fin mars dernier, par la Commission européenne, qui a refusé d’élargir, tout en la maintenant, la dérogation accordée aux régions ultrapériphériques. Fer de lance de la lutte pour la protection de la forêt amazonienne, l’association Maïouri Nature considère donc la révision de la directive RED III comme « un texte de compromis ».

« C’est une victoire décevante, explique Marine Calmet. Il y a une prise de conscience, mais pas de véritable changement. La dérogation de la RED II est prolongée dans la RED III. On reste sur un statu quo. »

Il existe aujourd’hui, en Guyane, trois centrales électriques à biomasse : celles de Kourou, Cacao et Saint-Georges de l’Oyapock, qui fonctionnent grâce à la combustion de déchets végétaux.

Mais tandis que les associations négocient bec et ongles l’avenir de la Guyane à Bruxelles, États, élus locaux et industriels développent tous azimuts la biomasse sur ce territoire de 83 800 km2 que d’aucuns ne cessent de qualifier d’« enclavé ».

Ainsi, à Sinnamary, la plus grande centrale à biomasse de Guyane devrait voir le jour en 2024. Elle sera alimentée par la coupe des arbres immergés dans la retenue d’eau de Petit Saut – un gisement de millions de mètres cubes de bois, certes, mais également un haut lieu de biodiversité.

D’autres projets sont en gestation, en premier lieu celui de Larivot, qui sera alimenté par de la biomasse dite « liquide », issue de plantations de colza.

Un décret incertain

Prenant acte de la nouvelle directive et selon la procédure habituelle, le ministère de la Transition énergétique vient de présenter à la Commission européenne un projet de décret sur l’encadrement général de la biomasse dans les territoires ultramarins.

« Selon nos informations, indique Marine Calmet, la Commission aurait refusé le projet en l’état, car il ne propose aucun garde-fou concernant les forêts primaires et secondaires qui se trouvent sur les terres du schéma d’aménagement régional, les plus proches du littoral. Nous espérons qu’elle tiendra bon contre cette politique énergétique en contradiction avec les ambitions européennes de lutter contre la déforestation et la destruction de la biodiversité. »

Mis en consultation au début de l’année, le décret du ministère de la Transition énergétique vise à autoriser, jusqu’en 2047, l’utilisation de biomasse et de bioliquides en dérogeant notamment aux obligations visant la régénération et le maintien de la capacité de production des forêts, mais aussi en permettant de produire de la biomasse agricole à partir de terres riches en  biodiversité comme forêts primaires, secondaires, ou celles présentant un important stock de carbone.

« C’est une espèce d’opération financière court-termisme, conclut la juriste de Maïouri Nature Guyane. On va ruiner des espaces forestiers pour soi-disant produire une énergie verte, et bénéficier des aides de l’État alors même que cette production est un désastre pour les forêts, la biodiversité et le climat. C’est un non-sens écologique complet. »

Augustin Langlade

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