Les tourbières sont des zones humides… pas comme les autres ! Elles présentent un intérêt majeur à l’heure où nous devons faire face à l’empreinte carbone gigantesque de l'humanité entre l’ère pré-industrielle et aujourd’hui. Zones de stockage de carbone, elles pourraient devenir des “bombes à retardement” si on continue de les détruire.
Nous connaissons mal les tourbières
« Non, les tourbières ne sont pas des écosystèmes spécifiques aux régions froides et humides. La plus grande tourbière du monde est installée au cœur de la cuvette congolaise en pleine Afrique équatoriale ! » s’écrie Hervé Cubizolle auprès de La Relève et La Peste
Dans les contes, les tourbières sont recouvertes de brouillard et nous ensauvagent l’imagination. Nous les confondons allègrement avec d’autres milieux humides. Hervé Cubizolle est enseignant-chercheur à l’Université de Saint-Étienne et signe un livre aux éditions Quæ, “Plaidoyer pour les tourbières.
Aujourd’hui, les tourbières couvrent 3 % de la surface du globe mais représentent 30 % du carbone total piégé dans les sols. On estime que, depuis environ 200 ans, entre 50 et 75 % des tourbières (et des autres zones humides) ont été détruites ou fortement dégradées en France et dans les pays limitrophes. Supérieure à 200 000 hectares en France en 1945, leur surface est estimée aujourd’hui à moins de 100 000 hectares.
La présence humaine en est la cause majeure. La pression agricole a été à l’origine de l’assèchement de nombre de tourbières pour les transformer en pâtures ou en zones de culture. Les besoins en irrigation, en modifiant les flux, ont condamné ou bien contribué à créer des tourbières au fil des millénaires.
L’expansion urbaine est un facteur prégnant dans la disparition de ces milieux. L’extraction industrielle de la tourbe détruit les écosystèmes tourbeux. Certaines tourbières ont été noyées pour devenir des étangs ou installer des barrages hydroélectriques. Et, les pollutions diverses accélèrent la décomposition de la tourbe. Les tourbières, comme le reste des zones humides, sont en mauvais état et en danger dans le monde entier.
Spécificités des tourbières
Il convient de bien prendre en compte la spécificité de la tourbière et ce qui la différencie des marais.
« Une tourbière se définit comme un type de zone humide où la saturation en eau est suffisante pour y maintenir des conditions de manque d’oxygène favorables à l’accumulation de la tourbe. Celle-ci est un matériau très original puisqu’il est à la fois un sol et une roche. Il est composé principalement, d’une part, de fibres végétales et, d’autre part, d’eau plus ou moins chargée en éléments solubles et particulaires.
La tourbe est donc très riche en carbone ce qui la place dans la famille des roches carbonées au même titre que le charbon, le pétrole, la lignite, l’ambre etc. Cette capacité à stocker du carbone est un aspect essentiel du rôle des tourbières dans le fonctionnement de la machine climatique terrestre. » précise Hervé Cubizolle pour La Relève et La Peste
C’est l’accumulation, sur des siècles ou des millénaires, de résidus végétaux dans un environnement toujours gorgé d’eau et dépourvu d’oxygène qui inhibe l’activité de la microflore et ralentit la décomposition et le recyclage, produisant de la tourbe qu’on désigne aussi par le nom d’histosol. Parmi les végétaux hygrophiles, le plus significatif de ces milieux est la sphaigne ou plutôt les sphaignes. Il en existe environ 40 espèces en France, et 200 dans le monde. Elles aiment les milieux acides mais chaque variété vit dans une gamme particulière d’humidité et de pH.
L’importance de l’eau dans le fonctionnement et la prise en charge conservatoire des tourbières est déterminante. L’eau qui les imbibe peut venir du sol suite à un relèvement de la nappe phréatique, des ruissellements des bassins versants ou des précipitations, ou de combinaisons de ces facteurs.
Ce qui est absolument nécessaire pour la formation d’une tourbière est que la quantité d’eau qui arrive soit plus importante que celle qui s’évapore. La configuration topographique et les apports en eau produisent des types de tourbières différentes qu’Hervé Cubizolle décrit dans le podcast ci-dessous.
Les tourbières doivent être protégées
L’essor industriel du XIXe siècle s’accompagne de recherche de sources énergétiques et d’un intérêt pour la tourbe qui compense le manque de bois. Et c’est donc transformée en charbon et comme combustible qu’elle connaît son succès. Mais cet usage de la tourbe comme combustible remonterait au Paléolithique.
Ce n’est pas tout, transformée en brique, elle entre dans la construction des maisons dans toutes les zones arctiques et boréales de l’hémisphère nord. Des bâtiments traditionnels construits en tourbe sont encore visibles comme l’église de Viðimyri et la ferme de Glaumbaer en Islande. Enfin, dans les terreaux, la tourbe est utilisée pour sa grande capacité à retenir l’eau et à la restituer progressivement aux plantes.
Hervé Cubizolle rappelle que la qualité de ces écosystèmes complexes est de créer des refuges de biodiversité, des espaces de régulation des crues et des étiages, de stocker le carbone dans des quantités souvent très importantes et de conserver des couches de l’histoire du monde. Leur aspect patrimonial lui paraît aussi important que leurs propriétés écosystémiques.
Rappelons que l’épaisseur de la tourbe peut varier de 30 cm à plusieurs dizaines de mètres. En France, la tourbière haute des Monts du Forez dans le Massif central atteint plus de 6 mètres, et près du double pour une autre tourbière située dans la massif des Bauges.
Face à la crise de l’eau qui apparaît déjà, leur rôle de filtration de l’eau avant de la rendre au sous-sol est fondamental. Les extrêmes climatiques auxquels nous sommes confrontés mettent en évidence leur rôle, au même titre que les autres zones humides, de régulateur des afflux d’eau pour diminuer les risques d’inondations. Enfin, dans le cadre de la protection de la biodiversité, il faut se rappeler qu’elles sont propices au développement d’espèces locales, plantes mais aussi insectes, amphibiens, etc. auxquels elles offrent habitat et nourriture.
Les tourbières, plus que toutes les autres zones humides, sont des réservoirs de CO2 très importants. Or, l’augmentation des températures favorise l’évapotranspiration. Un bien mauvais présage pour des milieux qui doivent rester saturés en eau pour continuer à stocker le carbone. Les sécheresses à répétition les rendent également plus vulnérables aux incendies.
En France, 89% des surfaces d’habitats tourbeux sont dans un état de conservation dégradé. À l’échelle mondiale, les émissions annuelles de dioxyde de carbone (CO2) par les tourbières dégradées représentent déjà 5 à 10% des émissions anthropiques annuelles, selon le CNRS.
Le CNRS les considère comme des bombes à retardement si on ne leur accorde pas l’attention qu’elles méritent.
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