Pour sa première action, le nouveau collectif des « Naturalistes des Terres » s’est rendu jusqu’à la tourbière du Bourdet, dans les Deux-Sèvres, afin de reboucher une canalisation qui drainait l’eau de cette zone humide au profit des champs de maïs alentour.
Située au cœur du marais poitevin, non loin de Niort et à seulement une heure de Sainte-Soline, la tourbière du Bourdet abrite, sur une vingtaine d’hectares, 260 espèces de plantes et d’animaux, dont de nombreuses possèdent un statut de protection.
Classé parmi les ZNIEFF de type 1, ce milieu unique et plutôt rare est aussi l’objet, depuis 1990, d’un arrêté préfectoral de protection de biotope (APPB) qui en reconnaît la fragilité, et est censé en protéger l’équilibre.
« Tout cela montre bien que l’importance de la tourbière est reconnue par l’État et les instances scientifiques, et que tout est mis en place pour la protéger efficacement », analyse Thomas, ornithologue et membre du collectif des Naturalistes des Terres.
Les agriculteurs ont la main par défaut
Dans les faits, pourtant, toutes les terres autour du cœur de cette zone humide – qui auraient dû rester des prairies – sont asséchées par un réseau d’ouvrages hydrauliques qui permettent aux agriculteurs locaux d’y cultiver jusqu’à deux fois l’an du maïs.
« Il n’y a aucune gestion commune de l’eau dans ce territoire, continue Thomas. Résultat : ce sont les agriculteurs et les agricultrices qui s’en emparent ; et ceux-ci ont besoin de terres très fertiles, les prairies humides, mais débarrassées de leur humidité. »
La conséquence directe de cette vidange, c’est un assèchement généralisé : raréfaction de l’eau potable en période estivale, disparition d’espèces et diminution, d’année en année, du niveau des sols – la tourbe elle-même –, mettant en péril les arbres et les plantes dont les racines finissent à nu.
Bref, la tourbière disparaît pour des intérêts économiques.
Un chantier et une action défensive
Pour inverser ce lent dépérissement, une dizaine de membres du collectif des Naturalistes des terres ont mené, mercredi 12 avril, une double action de « renaturation » du site du Bourdet.
« Cette tourbière étant le produit d’un écoulement des nappes phréatiques à travers des roches calcaires, détaille Thomas, nous avons d’abord créé des barrages de branches et de pierres pour réduire cet écoulement à la base, et que la tourbière reste en eau plus longtemps, peut-être un mois de plus dans l’année. »
Ce chantier écologique s’est doublé d’une action plus défensive, mais tout aussi simple durant laquelle les naturalistes ont maçonné, avec de la pierre et du ciment, une canalisation agricole qui asséchait le pourtour de la tourbière.
« Les endroits par où l’eau s’échappe de la zone humide sont peu nombreux, souligne Thomas, de sorte qu’avec des actions localisées, on peut être très efficace. »
Il est hélas probable que les agriculteurs débouchent rapidement ce drain.
Un mot sur le collectif
Réunissant déjà plus de 700 professionnels ou amateurs à travers la France, le collectif des Naturalistes des Terres a été créé pour mettre en lien des connaisseurs de la nature engagés, avec des habitants des territoires, qui bien souvent prennent part à des luttes locales.
Partant du constat de leur isolement et de la « croissance effrénée des projets » destructeurs du vivant, les membres fondateurs du collectif souhaitent « doter [leur] pratique d’une portée politique et en revendiquer la dimension nécessairement anticapitaliste », comme ils l’écrivent dans leur appel publié par la revue Terrestres en février dernier.
« Le geste naturaliste, abondent-ils, ne doit pas se résumer à la seule contemplation ou à l’inventaire du désastre. Nous pensons que le naturalisme peut revêtir un caractère plus collectif, devenir un savoir partagé et accessible. Il est un outil puissant dont chacun·e doit pouvoir s’emparer dans une perspective de lutte locale. »
Sur le site internet du collectif, une carte interactive permet à tout·e naturaliste de se manifester, et à toute personne d’entrer en contact avec elle ou lui.
Contre-expertises, inventaires indépendants pour contrecarrer des projets sur le plan réglementaire, balades ornithologiques et naturalistes, rencontres et diffusion du savoir : les Naturalistes des Terres ouvrent leurs disciplines au public, et promeuvent une sensibilité renouvelée au vivant.
Sources : ZNIEFF 540003348 Marais du Bourdet / « L’appel des Naturalistes des terres », Revue Terrestres, 09/02/2023