Au rythme actuel, la taille moyenne des poissons pourrait chuter de 14 à 24 % dans les zones tropicales d’ici 2050, alertait une première étude en 2013. Cette tendance a été confirmée par une étude menée en 2023 au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle a observé la réduction de taille des poissons-clowns, en réponse à une vague de chaleur marine extrême.
Déséquilibre entre croissance et oxygène
C’est une loi de la nature et un constat établi depuis le 19e siècle par la loi de Bergmann : les espèces sont plus petites là où il fait plus chaud. Alors, intuitivement, le changement climatique devrait les rétrécir.
Une étude parue dans Science est la première à dresser ce constat en analysant les variations de tailles entre espèces et au sein des espèces. La hausse des températures et le manque d’oxygène des océans auraient un impact plus important que prévu et provoqueraient le rétrécissement de centaines d’espèces de poissons, des modifications de leurs habitudes alimentaires et des déplacements de leurs aires de répartition, compromettant leur survie et les activités de pêche qui en dépendent.
L’oxygène est le carburant du corps des poissons. L’augmentation de la température de l’eau accélère le métabolisme de ces animaux à sang froid, augmentant ainsi leur besoin énergétique. Or, les ressources en oxygène sont moins importantes quand il fait plus chaud. Conséquence : leur corps s’adapte en réduisant sa taille, puisqu’un corps plus petit a besoin de moins d’oxygène.
« Cela peut induire une sélection des individus plus petits qui survivent mieux, et peut aussi affecter le ratio de sexe des poissons » commence Bill François, biophysicien et naturaliste, pour La Relève et La Peste.
« Nous avons découvert que la taille du corps des poissons diminue de 20 à 30 % par degré supplémentaire dans la température de l’eau » explique William Cheung, professeur en biologie marine à l’Université de la Colombie-Britannique, co-auteur de l’étude, et directeur du département des sciences pour le programme Nereus de l’organisation Nippon Foundation.
« Le corps des poissons grandissant plus rapidement que leurs branchies, les animaux finiront par ne plus avoir suffisamment d’oxygène nécessaire à leur croissance normale » complète Daniel Pauly, auteur principal de l’étude, et co-auteur de notre livre-journal Océans
Le réchauffement bouleverse les équilibres écosystémiques, rendant également certaines sources de nourriture moins abondantes ou nécessitant plus d’énergie pour être obtenues. La baisse de taille des sardines est considérable, particulièrement en Méditerranée.
« La diminution de proies abondantes les pousse à filtrer l’eau, ce qui est plus fatigant et moins rentable, entraînant une croissance plus lente et une réduction de leur taille » continue Bill François pour La Relève et La Peste.
Une réduction de taille liée à la surpêche
Selon Bill François, une autre cause de la réduction de la taille des poissons observée ces dernières années est en corrélation avec la surpêche, qui a entraîné une diminution drastique de la taille moyenne des poissons dans le monde au cours des 50 dernières années.
Le biophysicien français explique : « Comme on sélectionne les plus gros poissons, les poissons restants se reproduisent plus tôt, à une taille plus petite, favorisant ainsi les individus qui grandissent moins vite. C’est très flagrant pour des poissons comme les cabillauds et les sardines. Et pour l’exemple de Terre-Neuve, les morues ne dépassent plus 45 cm, alors qu’elles atteignaient autrefois la taille d’un homme ».
Le cas du poisson-clown dans les récifs coralliens
Dans la baie de Kimbe, en Papouasie-Nouvelle‑Guinée, des biologistes ont observé 134 poissons-clowns entre février et août 2023. Cette période coïncidait avec le quatrième épisode mondial majeur de blanchissement des coraux. Les températures locales ont grimpé jusqu’à + 4 °C au-dessus des normales.
Les résultats sont frappants. Si certains poissons ont conservé leur taille, près de 75 % ont diminué en longueur : 44,4 % ne l’ont fait qu’une fois, tandis que 30,4 % l’ont fait à plusieurs reprises. Une alerte de plus de l’impact tangible du dérèglement climatique sur la biodiversité marine.
Le poisson-clown, comme la plupart des espèces tropicales, est ectotherme, c’est-à-dire que sa température interne varie selon celle de l’environnement. Ainsi, lorsque la température de l’eau augmente, son métabolisme s’accélère, déclenchant une cascade d’effets biologiques adaptatifs.
Des recherches antérieures avaient déjà montré que certains poissons peuvent rapetisser face à des conditions de vie difficiles, notamment si les ressources alimentaires se raréfient. Ce type d’adaptation avait été observé chez des iguanes marins. Toutefois, c’est la première fois qu’on documente ce phénomène chez les poissons-clowns.
En analysant les données, l’équipe a mis en évidence qu’un unique épisode de rétrécissement augmentait déjà la probabilité de survie d’un individu de 78 % par rapport à ceux qui n’avaient pas changé de taille. Mieux encore, tous les poissons ayant rétréci à plusieurs reprises ont survécu jusqu’à la fin de la période d’étude.
Selon la biologiste britannique Melissa Versteeg, « cette flexibilité pourrait permettre à ces spécimens d’ajuster dynamiquement leurs besoins énergétiques en cas de chaleur extrême, améliorant ainsi leur survie ».
Dans un contexte où les vagues de chaleur marines devraient s’intensifier dans les années à venir, il devient crucial de mieux comprendre les mécanismes physiologiques que déploient les vertébrés pour faire face à ce stress thermique. L’analyse de la plasticité de croissance chez les poissons-clowns offre un éclairage précieux pour anticiper comment les espèces vulnérables pourraient réagir à ces perturbations.
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