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Les plus vieux maraîchers de la côte basque luttent contre la destruction du dernier poumon vert d’Anglet

Paul-Guy et sa femme Mauricette sont la mémoire des lieux. Les derniers maraîchers d’Anglet en activité, avec les sœurs des Jardins du Refuge. Et les doyens du marché de Bayonne où ils vendent leurs légumes chaque samedi. À la fois gardiens de la forêt et figures discrètes, dédiées à la terre, incarnant comme peu d’autres le sacerdoce paysan.

Une dizaine d’hectares de la forêt de Juzan, au cœur d’Anglet, sont menacés de destruction pour bâtir un pôle de pointe dédié à la construction écologique. C’est une riveraine, universitaire, spécialiste des lanceurs d’alerte, qui a sonné l’alarme et lancé une pétition. Au cœur de cet espace naturel préservé vivent les plus vieux maraîchers de la Côte basque, Paul-Guy et Mauricette Dulau, qui, à plus de 90 ans, résistent à l’expropriation et luttent contre l’artificialisation des sols. Un reportage d'Erwan Desplanques.

Le poumon d’Anglet menacé

À la fin de l’hiver, en partant faire son footing, Mahaut Fanchini a aperçu un premier panneau devant la forêt de Juzan, à Anglet. Une petite pancarte « avec des fautes d’orthographe » signalant une enquête publique de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) au sujet de la future zone d’aménagement Arkinova dédiée à l’écoconstruction.

Quelques semaines plus tôt, elle avait déjà vu un bout de parcelle défriché par des tracteurs. Il se trouve qu’elle habite juste en face du sous-bois et ignorait jusqu’ici l’existence du projet. De surcroît, elle est universitaire, docteure en sciences de gestion (UPEC), spécialiste des lanceurs d’alerte. On ne pouvait rêver plus vigilante riveraine.

Elle s’est renseignée et a lancé une pétition fin mars, avec d’autres associations locales, pour tenter de sauver cette forêt, parfois surnommée le « poumon » d’Anglet : une vingtaine d’hectares, où nichent une soixante d’espèces animales, efficace rempart contre la pollution sonore de l’aéroport Biarritz-Parme. Plus de 5000 personnes ont déjà signé le texte, redoutant de voir les bulldozers bétonner l’un des derniers espaces naturels préservés de la ville.

Le sujet est particulièrement sensible : en 2020, un incendie a ravagé 75 hectares de la forêt du Pignada et les habitants mesurent mieux aujourd’hui l’ampleur des répercussions environnementales de l’artificialisation des sols à outrance.

Le maire d’Anglet, Claude Olive, a lui-même indiqué dans Sud-Ouest, qu’au regard de la Loi climat et résilience de 2021, le projet n’était « pas acceptable » en l’état et qu’il faudrait retravailler la copie. Un minimum.

Si de nombreux Basques ont découvert ce projet de construction début avril avec la mobilisation citoyenne, il y en a un qui suit — ou plutôt subit — cette histoire depuis longtemps : Paul-Guy Dulau, 92 ans, vit au cœur de cette forêt de Juzan, où il possède six hectares de terres agricoles.

Cela fait plus de trente ans que la mairie cherche à l’exproprier par tous les moyens pour raser ses plantations.

Les plus vieux maraîchers d’Anglet

Paul-Guy et sa femme Mauricette sont la mémoire des lieux. Les derniers maraîchers d’Anglet en activité, avec les sœurs des Jardins du Refuge. Et les doyens du marché de Bayonne où ils vendent leurs légumes chaque samedi. À la fois gardiens de la forêt et figures discrètes, dédiées à la terre, incarnant comme peu d’autres le sacerdoce paysan.

« Ils ne sont jamais partis en vacances de leur vie, raconte leur petite-fille Camille. Je ne les ai jamais vus à la plage alors qu’ils habitent à dix minutes de celle de Biarritz. Toute leur vie, ils se sont dévoués corps et âme à la ferme. Pour eux, la terre, le fruit de la terre, c’est quelque chose de sacré. » 

Leur maison a été construite il y a plus de deux cents ans. Propriétaires depuis 1957, les parents de Paul-Guy vendaient déjà leur production au marché de Bayonne. À l’époque, il y avait une vache laitière, une jument de trait.

Au moment de la succession, il s’est résigné à reprendre la ferme, par loyauté familiale plus que par vocation — à l’origine, il se destinait à devenir menuisier-ébéniste, avait fini son CAP, jouait de la flûte dans une banda, n’imaginait pas devoir finir ses jours ici.

À l’âge de sept ans, il se souvient qu’il désherbait à la main pour aider ses parents, « à quatre pattes pendant quinze jours ». À 92 ans, il est toujours au même endroit, penché sur cette terre familiale, plié en deux, répétant les mêmes gestes, surveillant comme le lait sur le feu ses radis, ses haricots, ses carottes, ses piments, soutenu par sa femme Mauricette ou par leurs enfants — notamment leur fils Patrick qui assure le renfort le week-end au marché de Bayonne.

Un jour, il y a trente ans, Paul-Guy a aperçu des silhouettes sur son champ. « Des géomètres venus prendre des mesures ». Des techniciens, puis des « gens en costume ». « Ils posaient des bornes, marquaient les arbres avec de la peinture », se souvient Patrick.

Puis les urbanistes de la ville ont fini par frapper à la porte : « C’est au sujet de l’expropriation ». Ils ont montré des plans, « avec un carrefour giratoire entre les deux bâtiments de la ferme ». Un huissier est passé quelques jours plus tard, vers 20h, avec un document qu’il cherchait avec insistance à leur faire signer — en vain.

Pendant dix ans, la mairie d’Anglet a tenté une solution à l’amiable qui n’a pas abouti.

« Ils ont sorti la grosse artillerie, raconte Patrick. La procédure d’expropriation est allée en justice et en 2003 le Tribunal administratif de Pau a finalement donné raison à mes parents. »

Les maraîchers d’Anglet se sont crus à l’abri, débarrassés des rôdeurs, des promoteurs, avant que les menaces d’expropriation ne reprennent il y a sept ou huit ans, cette fois portées par l’Établissement public foncier local du Pays basque. Six hectares en plein cœur d’Anglet, à moins de cinq kilomètres des vagues, ça aiguise les appétits.

« Ils ont proposé de nous racheter nos terres pour 25€ ou 30€ du mètre carré alors que nous possédons au moins trois hectares constructibles qui peuvent valoir 5000€ du mètre. »

Les Dulau ont proposé de céder leur terrain en échange d’un permis de construire pour bâtir au moins une maison pour leurs enfants à côté de la ferme. Sans obtenir de réponse de la mairie.

En novembre 2017, la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) a pris le relais, approuvant la création de la zone d’aménagement concerté (ZAC) Arkinova pour ajouter 100.000 mètres carré de surface plancher aux bâtiments déjà existants, le long de la route. Des bureaux censés compléter les laboratoires de recherche et de formation sur l’écoconstruction.

En gros — c’est là toute l’ironie de l’histoire — il s’agit de raser une forêt pour bâtir un éco-campus et accueillir de futurs ingénieurs soucieux de l’environnement !

Le technopole lorgne avec envie sur les champs de Paul-Guy et Mauricette

Pour cela, il faut modifier le P.L.U., déclasser des espaces boisés classés, bâtir sur des zones humides. Le projet de concertation en fait même un argument de choix : « Le cœur du site est l’un des rares secteurs non bâtis d’ampleur au sein de l’aire urbaine de Bayonne-Anglet-Biarritz », est-il écrit dans l’étude, comme s’il était urgent de mettre un terme à cette anomalie, éradiquer cette poche de nature incongrue au milieu de la ville.

Devant la ferme de Paul-Guy et Mauricette, il y a par exemple deux chênes classés, sans compter des éléments de façade de la maison qui remontent au XVIIIe siècle. « Ils finiront par être déclassés et abattus », souffle Paul-Guy. Ses rares voisins de la route de Juzan ont fini par vendre leur parcelle et déménager.

Le nonagénaire, lui, résiste. Si aucun de ses enfants ne souhaite reprendre l’exploitation, lui est toujours vivant, vaillant, au travail. Poursuivant humblement sa tâche, comme si le temps n’avait plus aucune prise. Ou comme si la colère le maintenait debout.

Le Bayonnais Louis Fabriès a commencé à le photographier en 2020, conscient de témoigner d’un modèle maraîcher en voie d’extinction — le Pays basque a perdu 2500 hectares de terres cultivables depuis 2015 et doit aujourd’hui importer 80% de sa nourriture.

À l’heure où l’on vante les circuits courts et l’agriculture de proximité, Paul-Guy fait aujourd’hui figure de modèle malgré lui, avec sa rigueur sacrificielle et son respect absolu de la nature. Son fils Patrick dit de lui : « Si vous lui enlevez ses terres, vous lui enlevez sa vie ».

Notes : L’enquête publique est ouverte jusqu’au 20 avril sur le site de la Communauté d’agglomération du Pays basque, avec le dossier de concertation préalable./ Pétition en ligne ici.

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