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Les occupations d’université, bientôt passibles de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende ?

Outre la criminalisation des militants, cette loi marque une mise au pas radicale des universités, privées de leur puissance historique d’opposition.

C’est l’épilogue d’un parcours de presque deux ans. Après une première lecture à l’Assemblée nationale en juillet, puis un examen au Sénat le 30 octobre, le projet de loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 a été adopté, lundi 9 novembre, en commission mixte paritaire. Dans ce contexte social bouleversé, les locaux des universités étant clos jusqu’à nouvel ordre, députés et sénateurs semblent en avoir profité pour ajouter au texte une disposition qui compromet l’avenir des mobilisations universitaires.

Une liberté historique bafouée

À l’heure actuelle, légalement, rien ou presque n’empêche des étudiants d’organiser un « blocage » de leur université pour manifester contre une loi ou protester contre des décisions émanant de la présidence et du conseil d’administration.

Ce privilège juridique, que les historiens font remonter au Moyen Âge, a permis de sanctuariser l’université, d’en faire un lieu où ses premiers bénéficiaires, les étudiants, possèdent un pouvoir d’action et d’opposition susceptible d’influer sur les orientations des établissements, voire sur la politique nationale.

Sans ce droit unique, les blocages étudiants de Mai 68 ou les manifestations contre la mise en place de la plate-forme Parcoursup de 2018 n’auraient pas été possibles, du moins légalement.

Mais cette tolérance juridique, héritage de temps reculés, est désormais vouée à disparaître. À la faveur d’un second confinement neutralisant toute velléité d’opposition de la part des étudiants, les sénateurs et les députés se sont entendus pour ajouter une nouvelle disposition pénale au texte de la LPR.

Il s’agit de l’amendement nº 147, adjoint par le Sénat et réécrit par la commission mixte paritaire,  qui sanctionnera d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».

Commis en réunion, ces nouveaux « délits » pourront être punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Si ce texte « scélérat » venait à être adopté dans les prochaines semaines en lecture définitive à l’Assemblée nationale, il signerait « la fin pure et simple des contestations sur les campus et la porte ouverte à toutes les dérives autoritaires », comme l’explique le comité de rédaction du site d’information universitaire Academia.

Finie la « franchise » de nos facultés : les forces de l’ordre pourront directement intervenir dans les campus et les procureurs engager librement des poursuites contre les étudiants, sans le concours préalable des présidents d’université et au seul détriment des militants, qui devront dorénavant mettre en jeu leur existence civile entière dans une occupation.

Outre la criminalisation des militants, cette loi marque une mise au pas radicale des universités, privées de leur puissance historique d’opposition.

L’amendement proposé au départ par le sénateur centriste Laurent Lafon, qui ne souhaitait pénaliser que l’entrave aux débats, a été aggravé par la commission mixte paritaire. Mais il ne représente en réalité qu’une adaptation en forme de copié-collé d’une disposition du Code pénal déjà en vigueur.

« Assemblée Générale » à l’université de Rennes 2 en France pendant le blocage de l’université du printemps 2009. Les étudiants et non-étudiants sont rassemblées devant le batiment « B ». Le graffiti « vive la commune » fut fait l’année précédente mais laissé en l’état pas l’administration de l’université. Le mouvement commencé en février allait s’achever fin avril. – Crédit : XIIIfromTOKYO

Une répression actuelle sévère sur la jeunesse

L’article 431-22 de la loi du 2 mars 2010 « renforçant la lutte contre les violences de groupes », concoctée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy pour répondre à l’essor des mouvements lycéens qui avaient fait leurs preuves contre la réforme des contrats de première embauche (CPE, 2006), permettait déjà à la police de réprimer l’intrusion ou le maintien de personnes non autorisées dans les « établissements d’enseignement scolaire », de la maternelle au lycée.

C’est en vertu de cette loi de 2010, par exemple, que des lycéens de toute la France ont pu être passés à tabac par les forces de l’ordre alors qu’ils manifestaient pour dénoncer l’insécurité sanitaire de leurs établissements depuis le lundi 2 novembre, date de reprise des cours après les vacances de la Toussaint.

Matraquage et gazage des élèves, cordons de sécurité, surveillance de la police aux abords des établissements, interpellations, amendes et parfois tirs de lanceurs de balles de défense (LBD), les tensions se sont multipliées cette dernière semaine, la loi permettant de traiter des lycéens comme des manifestants adultes. À Compiègne, vendredi 6 novembre, un lycéen a même eu la tête fracturée par un tir de LBD.

Le 11 décembre 2012, deux arrêts de la Cour de cassation fondés sur le Code de l’éducation entérinaient une nette distinction entre les « établissements d’enseignement scolaire » et les « établissements d’enseignement supérieur », lesquels ne devaient pas entrer selon elle « dans le champ d’application de l’article 431-22 du Code pénal ». Depuis lors, il n’était plus valable d’incriminer les étudiants qui occupaient ou bloquaient leur université.

C’est ce statu quo que la nouvelle loi de programmation de la recherche, en toute discrétion, sans aucune levée de boucliers possible pendant le confinement, entend aujourd’hui remettre en question, au moyen d’une légère modification du Code pénal apportée « en procédure accélérée ». Le projet de loi doit passer lecture à l’Assemblée Nationale le 17 novembre.

Crédit photo couv : Students are seen through a window at Nanterre College in Nanterre on April 9, 2018, as they are escorted from a building by gendarmes, during an occupation of the site near Paris. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Augustin Langlade

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