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Les néonicotinoïdes continuent de tuer les pollinisateurs des années après leur interdiction

Malgré ces constats accablants, les sept principales molécules neurotoxiques, produites notamment par Bayer et Syngenta, continuent d’être écoulées sur le marché européen, parfois sous des appellations ou des formes nouvelles mais fonctionnant sur le même principe, selon l’association Pollinis, qui lutte activement pour la protection des abeilles.

Depuis l’introduction des néonicotinoïdes sur le marché agricole, dans les années 1990, les trois quarts des insectes volants ont disparu des campagnes d’Europe occidentale. De plus en plus d’études montrent que les principaux responsables sont ces « pesticides tueurs d’abeilles », dont les répercutions terribles sont constatées dans la nature des années après leur utilisation. Un tel fléau nécessite d’urgence une décision radicale.  

Par néonicotinoïdes, on désigne une famille de molécules insecticides censées protéger les plantes des insectes ravageurs (taupins, oscinies, pucerons, cicadelles, sitones, etc.), c’est-à-dire ceux qui évoluent dans le sol et peuvent dévorer la graine. Ces nouvelles générations de pesticides, créées voilà trente ans, sont appelées « systémiques » car elles sont directement pulvérisées sur les semences, qu’elles enrobent et suivent dans toute leur croissance. De la sève à la feuille, des racines au pollen et au nectar, les néonicotinoïdes sont les insecticides les plus persistants et malheureusement les plus utilisés sur le Vieux Continent.

Mais leurs molécules, qui attaquent le système nerveux central des insectes, conduisant ceux-ci à la folie, la paralysie ou la mort, ont en réalité un spectre beaucoup plus large que la graine et tuent l’ensemble des arthropodes sans faire de distinction, y compris ceux qui ne vivent pas dans les sols mais se baladent dans les airs. 

C’est pourquoi les scientifiques et les apiculteurs de tous les pays constatent depuis trente ans un déclin vertigineux des populations d’insectes volants dans nos campagnes, un déclin d’en moyenne 75 %. Les insectes pollinisateurs — abeilles, bourdons, papillons, solitaires, etc. — figurent parmi les populations les plus touchées et surtout les plus vulnérables.

En butinant une fleur ou en y buvant l’eau que la rosée dépose, une abeille s’imprègne de ces molécules persistantes ou les absorbe ; après maints contacts répétés pendant plusieurs jours, son système nerveux détraque, affectant son sens de l’orientation, sa capacité de voler, de se reproduire et de butiner, ainsi que son immunité, quand ces contacts délétères n’entraînent pas directement la mort. Toute la colonie est d’ailleurs infectée : dans une étude récente, des chercheurs ont prouvé que les pesticides rapportés dans les ruches affectent tant les abeilles qu’ils réduisent la taille de leur cerveau à la naissance, si bien que la plupart des larves naissent handicapées

Crédit photo : Boris Smokrovic

En 2019, une petite étude, passée inaperçue, a montré que des néonicotinoïdes étaient présents sur toutes les plumes prélevées sur des oiseaux vivant dans des zones d’agriculture conventionnelle, à des doses qui dépassent largement le seuil critique fixé pour les abeilles, en théorie. En 2017 et en 2019, des chercheurs de l’Université de Neuchâtel, dans deux études successives, ont également relevé des traces de ces insecticides dans les trois quarts du miel qu’ils ont testé (en provenance du monde entier), ce qui prouve que les colonies d’abeilles sont exposées pendant toute leur vie à ce danger. Depuis maintenant vingt ans, les scientifiques savent que cette famille d’insecticides est à l’origine d’un massacre organisé et inéluctable de toutes les populations d’abeilles, sauvages comme domestiques ; aujourd’hui, les preuves toutes plus flagrantes les unes que les autres n’en finissent pas de se multiplier, à des échelles de plus en plus grandes, comme nous allons le voir. 

Malgré ces constats accablants, les sept principales molécules neurotoxiques, produites notamment par Bayer et Syngenta, continuent d’être écoulées sur le marché européen, parfois sous des appellations ou des formes nouvelles mais fonctionnant sur le même principe, selon l’association Pollinis, qui lutte activement pour la protection des abeilles. 

En 2013, face à la levée progressive du scandale (un peu comme pour les perturbateurs endocriniens), la Commission européenne a adopté un moratoire interdisant l’utilisation de trois molécules (imidaclopride, thiaméthoxame et clothianidine), dans certains types de cultures, les plus à risques pour les pollinisateurs.

Reconduit sans interruption depuis bientôt sept ans, le moratoire a ainsi mis fin à l’enrobage dans les cultures massives du maïs, du colza, du tournesol et du coton, ce dernier n’étant pas cultivé en France. Parallèlement, ces molécules sont interdites en traitement du sol et en pulvérisation dans une cinquantaine d’autres cultures. En 2018, la France a entériné cette interdiction et l’a étendue à toutes les cultures en extérieur. Les firmes phytosanitaires, quant à elle, ont quand même le droit de continuer à produire des néonicotinoïdes sur notre territoire, quand ils sont destinés à l’exportation.

Cependant, le problème est loin d’être réglé, comme l’explique une enquête de Stéphane Foucart, journaliste au Monde. Tout d’abord, de nombreux États membres de l’Union européenne adoptent des dérogations depuis 2013 ; réticents à ces interdictions, ils empêchent l’Europe de parvenir à une décision commune sur la question. Ensuite, les industriels et leurs affidés mènent une contestation acharnée, à la fois sur les produits interdits, sur les seuils d’acceptabilité et sur les méthodes d’évaluation des risques, débattues dans le monde scientifique et critiquées pour leur caractère parcellaire et bien trop tolérant. Au lieu d’évaluer la seule toxicité aiguë de ces produits ravageurs, c’est-à-dire leur taux de létalité directe, il faudrait en effet mesurer leur toxicité chronique, à savoir les effets d’une exposition répétée pendant plusieurs jours.

Des études, comme celle de l’INRA en 2001, ont déjà mis en lumière le fait qu’une exposition chronique à ces pesticides, même à des doses très éloignées du seuil de toxicité aiguë, pouvait tuer une abeille domestique en une semaine. Barbara Berardi, spécialiste des pesticides travaillant à l’association Pollinis, le déclare sans ambiguïté :

« Les estimations conduites par les scientifiques de l’industrie eux-mêmes montrent que près de 80 % des usages d’herbicides, 75 % des usages de fongicides et 92 % des utilisations d’insecticides échoueraient à passer les tests de toxicité chronique sur l’abeille domestique. »

Enfin, une étude de grande ampleur publiée le 28 novembre dernier dans Science of the Total Environment a porté un coup de massue supplémentaire sur les néonicotinoïdes, en prouvant que ces molécules restent présentes dans l’environnement et continuent de tuer les insectes pollinisateurs comme les abeilles plusieurs années après leur interdiction. De 2013 à 2018, pendant les cinq années qui ont suivi le moratoire européen, des chercheurs du CNRS, de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l’Institut de l’abeille (ITSAP) ont mesuré les résidus de néonicotinoïdes dans le nectar de 291 parcelles de colza d’hiver. Ultra-persistants, se diffusant longuement dans la nature après leur utilisation, les trois néonicotinoïdes interdits par le moratoire ont été détectés à des taux plus ou moins élevés dans les 536 échantillons prélevés. 

« L’imidaclopride en particulier a été détecté chaque année, au total dans 43 % des échantillons analysés (48 % des parcelles), sans tendance à la baisse au cours des années mais avec une forte variation inter-annuelle », déclare le communiqué du CNRS.

Comme pour la radioactivité, impossible de prévoir la quantité de résidus d’une année sur l’autre : en 2015, seulement 5 % des parcelles étaient positives, alors que l’année suivante, en 2016, ce taux est monté à 90 %. Pire, les doses constatées augmentent en cas de précipitations et varient en fonction des types de sol, ce qui rend l’utilisation des néonicotinoïdes, véritables molécules d’apprentis sorciers, encore plus hasardeuse. Entre 2014 et 2016, 12 % des parcelles étudiées présentaient encore un risque létal maximal pour 50 % des abeilles butineuses, selon les seuils prescrits par les agences sanitaires. De la même manière, 10 à 20 % des parcelles en plein champ mettaient encore en danger de mort tous les autres pollinisateurs. 

Accablants, les travaux de ces chercheurs sont une preuve sans appel de la toxicité de ces pesticides « nouvelle génération », plus dangereux pour l’environnement et la biodiversité, mais aussi in fine pour l’homme, que tous leurs prédécesseurs. Malgré tout, l’industrie des phytosanitaires continue d’entretenir à toutes les échelles une « ingénierie du doute » qui rappelle les méthodes les plus inavouables des lobbies du tabac, tant les enjeux financiers sont considérables. Inventés pour durer, les néonicotinoïdes représentent une lente, méthodique et invisible destruction de la nature.

Augustin Langlade

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